Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pour que l'ours polaire ne soit plus la vache à lait des zoos

La naissance d'un ourson polaire en captivité n'est pas une vision d'espoir mais le constat d'un échec, de l'impossibilité de cohabiter avec une nature libre et sauvage.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

L'ours polaire est une espèce emblématique. Les Inuits le considéraient comme un parent, les explorateurs voyaient en lui le reflet de leurs souffrances et de leur ténacité à vaincre l'Arctique, les médias et les associations de protection de l'environnement en ont fait le symbole du dérèglement climatique. Personne ne souhaite nuire à l'ours polaire et ne veut éradiquer l'espèce de l'Arctique.

Depuis une dizaine d'années, son image, souvent dramatisée, a envahi les supports de communication au point d'exagérer la situation dans un processus autoalimenté qui s'éloigne toujours un peu plus de la réalité. Pourtant, les informations existent et sont accessibles à tous. Les zoos se sont emparés de ce concept d'animal menacé, voire en voie de disparition, pour drainer vers leurs parcs le maximum de public, profitant de l'effet d'aubaine pour «reverdir» leur image. Le réchauffement climatique est une opportunité qu'il faut saisir.

En 2012, 330 ours polaires étaient recensés dans 120 zoos du monde, et cette population était en déclin. Des ours polaires énormes, vieux et névrotiques, baignant dans une eau verdâtre, ne faisaient plus recette. Mais il n'est plus possible de prélever des ours «frais» dans la nature. Un événement est venu ouvrir la boîte de Pandore.

L'exemple de Knut, au zoo de Berlin, a jeté les bases de l'exploitation de ce phénomène populaire qu'est la naissance d'un ourson polaire en captivité. Depuis 30 ans, aucune naissance n'avait encore eu lieu dans ce zoo quand Knut a vu le jour le 5 décembre 2006. Il n'a survécu que grâce aux soins de son soigneur, qui le retira à sa mère pour le nourrir au biberon.

Le jour de la présentation de Knut, 400 journalistes sont présents. Un déferlement médiatique s'ensuit. Les visiteurs de l'Europe entière se précipitent vers Berlin. L'action du zoo de Berlin double sa valeur en une semaine. Très vite, les produits dérivés se déversent dans les bacs. Le zoo de Berlin dépose la marque Knut. Knut en couverture de Vanity Fair avec Leonardo Di Caprio... Knut sujet d'une chanson... d'une marque de bonbons... Son soigneur, Thomas Dörflein, meurt le 22 septembre 2008 dans l'indifférence générale.

Atteint d'une maladie neurologique, Knut mourut dans des spasmes le 19 mars 2011, devant des centaines de personnes. Son agonie fut filmée et une collecte permit de construire un mausolée à sa mémoire. Suite à cette réussite financière et médiatique, d'autres zoos se jettent dans l'aventure avec gourmandise.

2015-06-04-1433424191-4244314-OursPolaire.jpg

© Rémy Marion/Pôles d'images

L'heure est venue de surfer sur la vague du réchauffement climatique

En octobre 2009, la WAZA (World Association of Zoos and Aquariums) définit les bases d'actions à mener dans la prise en compte du changement global du climat.

Le plus surprenant dans cette histoire est que les zoos sont encouragés à développer leur population par l'un des plus grands experts de l'ours polaire, Steven Amstrup, ancien responsable à US Geological Survey, actuellement directeur scientifique de la plus importante association dédiée à la protection des ours polaire, Polar Bear International.

Sur le site de la WAZA, il tente de démontrer que les ours polaires captifs peuvent êtres des ambassadeurs pour la prise de conscience par le public des problèmes liés à l'évolution du climat, ce qui peut effectivement être le cas. Mais il justifie le bien-être des ours polaires en captivité par une longévité supérieure à celle observée dans la nature, expliquant qu'ils bénéficient d'une alimentation régulière et de soins vétérinaires.

Il explique également que les zoos pourront accueillir les animaux malades ou faméliques suite aux conséquences du réchauffement climatique et qu'il vaut mieux qu'ils soient captifs qu'abattus à proximité des villes lorsqu'ils fouillent dans les poubelles. Pour information, dans la petite ville de Churchill au Manitoba, deux individus sont abattus par an en moyenne et aucun ne l'a été en 2014...

Le brassage génétique, la validation en captivité de traitements pour soigner des ours polaires en milieu naturel sont également invoqués, tous les prétextes sont bons pour justifier l'injustifiable. Il est intéressant de constater que l'auteur d'un grand nombre de publications issues de 40 années de recherches de terrain puisse affirmer qu'il faut renforcer la population captive pour servir d'ambassadeur, voire de réservoir génétique, pour une population dont aucun chiffre fiable n'annonce la disparition à court ou moyen terme.

Steven Amstrup est aussi membre du groupe des spécialistes de l'ours polaire (PBSG) auprès de l'IUCN (International Union for Conservation Nature), organisme qui valide notamment les effectifs des populations de cette espèce. Ce qui signifie qu'il participe à la validation des valeurs qui seront utilisées pour définir le statut de l'ours polaire. Mais il est aussi celui qui donne les orientations d'une association qui récolte des fonds en annonçant la fin prochaine de cette même espèce, ce qui, en France, serait aux limites du conflit d'intérêts.

Les zoos peuvent se lancer dans le business polaire

En 2010, aux États-Unis, le zoo de Columbus ouvre un espace polaire après avoir fermé ses enclos à ours polaires en 1994, où avaient pourtant eu lieu des naissances à deux reprises, ce qui à l'époque était moins médiatique.

Le petit Siku du zoo de Kolind, au Danemark, est aussi une réussite médiatique: né le 22 novembre 2011, retiré à sa mère à l'âge de deux jours car, d'après le communiqué de presse, «il était en danger de mort». Signe des temps, Siku a sa page Facebook depuis sa naissance pour suivre sa croissance, il est référencé comme personnage public avec 57 000 likes. Il sera suivi de Nanu et Nuno dans le même établissement.

Le compteur du nombre de naissances en captivité s'affole: 9 en 2011, 11 en 2012, 11 en 2013, sans prendre en compte les naissances en Chine. Il existe même un calendrier des dates de naissance des oursons.

Aux États-Unis, le zoo de Saint-Louis a investi 20 millions de dollars, en France le Marineland d'Antibes 3,5 millions d'euros pour une chambre froide. Les investissements explosent, et il est difficile de croire que ces structures privées investissent sans planifier la rentabilité potentielle. Les installations sont tellement valorisées dans les communiqués de presse que l'on pourrait presque imaginer que les ours polaires, s'ils en prenaient connaissance, quitteraient la banquise pour venir dans ces édens réfrigérés...

Ces projets s'intègrent dans une stratégie internationale, comme le souligne Marineland d'Antibes sur son site: «Afin de préserver cette espèce, Marineland souhaite lancer un programme de reproduction des ours polaires et travaille en collaboration avec l'EEP (Programme européen d'élevage)».

Autre dérive, autre mentalité. Vous voulez faire un film avec un jeune ours polaire? Pas de problème, le centre Penglai Oceanic Polar World, en Chine, vous propose de le faire naître à la période voulue, par insémination artificielle. Au Dalian Laohutan Ocean Park, toujours en Chine, les oursons sont élevés comme des enfants, des fêtes sont organisées pour leur anniversaire. Ces parcs chinois, rompus à ces techniques grâce aux expérimentations réussies sur les grands pandas, espèce dramatiquement en voie de disparition celle-là, risquent fort de vouloir commercialiser leur savoir-faire.

En ce début 2015, les annonces des naissances qui ont eu lieu en novembre ou décembre arrivent dans tous les médias, qui font de la promotion gratuite pour les zoos.

Rotterdam, Antibes (2), Moscou (2), Rostock Zoo (1, demi-frère de Knut), Ouwehand Zoo à Rhenen (3), Toronto (1). Au parc de Ranua (Laponie), 2 morts: la femelle, qui avait eu en 2012 un petit qui fut envoyé en Autriche, a mangé ses oursons. À Columbus, le 23 décembre 2014, les deux oursons sont morts à la naissance ou quelques heures après.

Le zoo de La Flèche, en France, et le parc Assiniboine à Winnipeg, se préparent à accueillir de nouvelles naissances en installant des maternités.

2015-06-04-1433424295-9526899-OursPolaire2.jpg

© Rémy Marion/Pôles d'images

Des ours malheureux, névrotiques

Très rapidement, les ours polaires en captivité deviennent névrotiques, montrent des comportements stéréotypés que les zoos tentent de gommer en insérant dans les bassins et enclos des jeux, des exercices. Le symbole de la sauvagerie de l'Arctique devient une bête de cirque.

Deux oursons frère et sœur, baptisés Blizzard et Star, ont été installés au parc Assiniboine de Winnipeg, dénommé pompeusement «Centre international des ours polaires». Ce sont des orphelins recueillis sur la banquise dans la région de Churchill, 1000 kilomètres plus au nord. Kali, ourson découvert dans la tanière maternelle à l'âge d'un mois au nord de l'Alaska, a été récemment installé au zoo de Chicago. Ces orphelins sont des cadeaux inespérés pour les zoos, la capture d'ours polaire en milieu naturel étant interdite, sauf en cas d'ourson en difficulté. Aucun de ces oursons ne pourra recouvrer la liberté.

Les ours polaires sont des mines d'or pour les zoos. Les femelles ne retrouvent leurs jeunes qu'à l'âge de 3 mois, quand le risque qu'elles les tuent est limité. Lorsque les oursons sont exposés au grand jour, c'est un déferlement médiatique, au point que de grands médias nationaux se font l'écho d'un évènement purement commercial, comme pour l'arrivée d'un nouveau produit sur le marché. Quelques mois plus tard, l'ours a grandi et est échangé ou vendu à une autre structure qui cherche à développer son activité ou renforcer son attractivité.

En prenant comme référence les chiffres officiels publiés par les chercheurs de PBSG (Polar Bear Specialist Group) de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), on constate qu'en 1993 l'effectif global de la population d'ours polaires était de l'ordre de 21 470 à 28 370 individus, estimé en 1997 entre 22 000 et 27 000, soit un point médian à 24 500 individus. Suite à quelques informations complémentaires sur certaines populations, cette estimation a été ramenée en 2001 à 21 500 - 25 000, puis en 2005 à 20 000 - 25 000, soit une moyenne de 22 500 individus. Il ne s'agit-là que d'une estimation très partielle, certaines sous-populations n'étant pas documentées. Depuis, aucune nouvelle estimation globale n'a été publiée.

Les médias et les zoos se basent donc sur une diminution estimée à 9% en 20 ans en ce qui concerne l'ours polaire, alors que les estimations de disparition des espèces sur la planète se rapprochent de 50% en 40 ans.

Si effectivement dans certains cas, les structures comme les zoos peuvent participer financièrement ou par l'élevage en captivité à la préservation d'espèces menacées comme le cheval de Przewalski ou le bison d'Amérique, il n'en est pas de même pour les grands carnivores qui ont besoin de plusieurs mois, voire plusieurs années, pour appréhender leur environnement, les techniques de chasse, etc. Il faut noter quelques exemples très rares, comme le zoo d'Oregon qui étudie le sang de deux ours captifs pour suivre l'absorption de traceurs tels que des polluants pour déterminer une méthode à mettre en place dans la nature et étudier les changements alimentaires liés au réchauffement climatique.

Il est certain que le milieu de vie de l'ours polaire subit une modification profonde et rapide. La banquise a perdu plus de 50% de son volume en 50 ans, et en mars 2015 sa superficie a été la plus faible jamais mesurée en hiver. L'ours polaire, espèce particulièrement bien adaptée aux rigueurs du Grand Nord, est fragilisé par l'augmentation de température en Arctique, mais également par la pollution et les perturbations liées au développement des activités humaines.

Le seul moyen de protéger l'ours polaire est de limiter les émissions de gaz à effet de serre et donc de ralentir le réchauffement climatique, de consommer moins et mieux de carburants fossiles.

Si la banquise disparait durant l'hiver, ce qui n'est pas près d'arriver, il n'y a aucun intérêt à conserver une espèce uniquement avec des individus nés en captivité qui ne pourraient en aucun cas renforcer une population en déclin. Il ne faut pas que l'avenir de l'ours polaire masque d'autres problèmes plus importants, tels que l'acidification des océans, la déforestation... Rien ne peut arrêter ces dégradations majeures, sauf changer de mode de consommation massivement et de manière pérenne.

La naissance d'un ourson polaire en captivité n'est pas une vision d'espoir mais le constat d'un échec, de l'impossibilité de cohabiter avec une nature libre et sauvage.

Ce billet est également signé par:

Franck Dupraz, docteur vétérinaire

François Moutou, docteur vétérinaire

Françoise Passelaigue, docteur ès sciences, secrétaire de l'association Pôles Actions

François Sarano, biologiste marin.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le rhinocéros de Sumatra

Les 100 espèces les plus menacées dans le monde

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.