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Chertsey: détruire une forêt millénaire et un site de villégiature avec un coup de crayon

Si les coupes forestières se font, d'ici quelques années il n'y aura probablement plus de chevreuils, d'orignaux, d'ours, de loutres (j'en ai encore sur mon terrain), de lynx et de toute la diversité ailée exceptionnelle qu'il y a dans nos bois.
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(Photo de mon lac prise dimanche matin. Si rien n'est fait, d'ici quelques mois, les collines de gauche et du milieu seront rasées.)

Vous avez tous déjà entendu parler des coupes sauvages qui sont dénoncées dans le documentaire L'erreur boréale de Richard Desjardins. Comme moi, vous avez trouvé ça scandaleux. Mais bon, c'est dans l'bois, à des kilomètres des grands centres. Il faut bien que l'industrie forestière survive. Le bois, c'est fait pour être coupé. Et puis, si ce n'était pas l'homme qui coupait, ce serait les feux de forêt qui brûleraient. C'est sans doute le genre de raisonnement qu'on peut avoir lorsque ça se passe ailleurs. C'est sans doute aussi ce qui se passe dans la tête des forestières et des élus de la MRC Watawinie dans Lanaudière, qui s'apprête avec un coup de crayon, à détruire une portion de la forêt millénaire de Chertsey.

Chertsey est un secret bien gardé. Lorsque je dis que j'y vis, on me demande souvent de répéter le nom et on n'a aucune idée d'où ça se situe. Ce n'est pourtant qu'à 65 kilomètres de Montréal. Mais ça pourrait aussi bien être en Abitibi. Pour vous situer, c'est juste au nord de Rawdon. Ha Rawdon, tout le monde connaît. C'est aussi à 50 km au sud de St-Donat. St-Donat, tout le monde connaît aussi. Il y a du gros cash là-bas. Il y a aussi le maire de St-Donat, Joé Deslauriers, qui préside le comité des TPI pour la Matawinie, qui d'un coup de crayon, va autoriser des coupes à blanc, pas chez lui, mais chez les pauvres de Chertsey. Jamais il ne permettrait qu'on rase la forêt aux abords du grand lac Archambeault ou St-Donat, mais ailleurs, bon, bof, «it's business».

On a souvent dit que Chertsey c'est une ville de BS. Le centre-ville ressemble presque à une réserve indienne. C'est tout dire. Mais sa forêt elle est spectaculaire. Et autour de ses lacs, des chalets y sont construits depuis une centaine d'années. Chaque lac est homogène. Il y a des lacs de pauvres, de classe moyenne et de très riches. Mais personne ne le sait. On ne parle que très peu de Chertsey.

Il n'y a donc pas grand-chose à Chertsey. En fait si, il y a quelque chose d'exceptionnel. Il y a quelque chose de si extraordinaire que jusque dans les années 50, les gros Américains riches étaient propriétaires de certains de ces lacs (dont celui où j'habite et que je ne nomme jamais pour raison de sécurité personnelle. Comme vous le savez sans doute, à cause de mon statut de «symbole transsexuel» je reçois fréquemment des menaces de mort), y faisaient des camps de chasse et de pêche privée et venaient s'y amuser en hydravion.

Je dis d'ailleurs en boutade que l'hiver ce n'est pas dangereux de frapper un chevreuil. C'est plutôt dangereux de frapper un troupeau de chevreuils, puisqu'ils traversent les rues du comté par groupe de cinq à six. D'ailleurs dans mon lac, le ministère de la faune fera des prélèvements de truite grise puisque je vis autour d'un des lacs avec la truite indigène la plus vigoureuse à cette latitude. On veut d'ailleurs se servir de la génétique de nos truites, pour repeupler (entre autres) les lacs de St-Donat. Quelle ironie! Mon lac regorge aussi de truite mouchetée, d'Achigan, d'écrevisse et de plein d'autres espèces.

Mais il faudra qu'ils fassent vite. Même très vite. Puisque si les coupes forestières qui sont programmées pour cet été se font, d'ici quelques années il n'y en aura plus. Il n'y aura probablement plus de chevreuils, d'orignaux, d'ours, de loutres (j'en ai encore sur mon terrain), de lynx et de toute la diversité ailée exceptionnelle qu'il y a dans nos bois.

Il faut comprendre que les lacs du Québec sont sensibles au phosphore. Ce qui protège de ce phosphore et des algues bleues qui y pullulent lorsqu'il y en a trop, c'est le couvert végétal qui entoure le lac. Si les arbres sont coupés trop près de ceux-ci, en plus de décrisser de manière évidente le paysage, le phosphore des souches en décomposition se frayera un chemin sans entrave vers les lacs touchés. On peut aussi comprendre que les gens qui ont investi depuis des années dans des résidences aux abords de ces lacs perdront leurs investissements. Qui voudrait aller rester autour d'un lac sans arbres et avec des algues bleues?

Bon, vous vous dites, elle exagère. Juste pour vous convaincre de la gravité de mes prétentions, je vous invite à regarder l'un des nombreux plans de coupe de la MRC. Celui-ci se nomme Plan de coupe du cinq. On y voit plusieurs lacs, dont le 7e Lac, le lac Lane et le Lac Brûlé qui sont tous des lacs avec de très nombreux chalets. Vous pouvez très facilement visualiser le ridicule et l'outrageux saccage qu'on s'apprête à y faire directement en bordure de ces lacs. Ce n'est là qu'un des très nombreux et éloquents exemples des dévastations qu'on s'apprête à y faire. Notez aussi que les lignes pointillées sont des pistes de randonnées et de ski de fond.

Les assauts aux forêts de Chertsey sont multiples et dévastateurs.

Pourtant, les gens du coin sont visionnaires. Depuis des années ils ont investi entre autres pour développer un parc régional exceptionnel. La forêt de Ouareau. C'est une forêt de 350km carrés. On s'y promène en quad 4 saisons par année. On y campe, on y randonne, on y fait du ski de fond et on y découvre une forêt quasi vierge. Mais les sablières et les forestières y sont déjà à l'œuvre. Par endroits, il y a d'immenses «pit de sable» ou de clairières sans arbres, mais avec les déchets de coupes de bois qu'on y a laissés. On pouvait donc lire dans le journal L'Action de Joliette du 13 juin 2015:

«Il n'y aura aucun arrangement, c'est fini la coupe de bois. C'est notre parc régional et la nature c'est notre patrimoine, c'est ça qui attire les gens dans la région», a déclaré le maire. Il a aussi accusé le ministère de vouloir retirer 150 000 $ en redevances pendant que les contribuables de cinq municipalités payent 150 000 $ en quotes-parts pour développer le récréotourisme dans le parc régional de la forêt Ouareau.

«C'est comme si les contribuables payaient 150 000 $ pour regarder les arbres disparaître», a-t-il ajouté. Il a aussi rappelé que le conseil de Chertsey a adopté une résolution s'opposant à toute coupe de bois et réclamant le statut d'aire protégée pour la forêt Ouareau. Le maire de Chertsey évoque que la Municipalité maintiendra son opinion concernant ce sujet, mais ne sait pas exactement quel est le poids d'un refus municipal.

Et plus récemment, dans La Presse de la semaine dernière, notre bon maire disait aussi:

« Notre marque de commerce, c'est la nature. Une coupe de bois autour d'un lac, c'est une moins-value. Les gens ne viennent pas ici pour regarder une friche industrielle!», dit le maire Surprenant.

Les coupes envisagées auraient lieu dans des terres publiques intramunicipales (TPI, ... jouxtant les grands lacs de Chertsey, un secteur de villégiature depuis le XIXe siècle, à une heure au nord-est de Montréal.

Les craintes des résidants permanents et des propriétaires de chalets sont multiples: détérioration des bassins versants et augmentation des concentrations de phosphore dans les lacs, destruction des paysages qui les ont incités à s'établir dans ce coin de pays, circulation de machinerie lourde dans des zones densément peuplées.

La nuit dernière, j'ai très mal dormi. Je me suis réveillée d'angoisse à 5h du matin et j'ai écrit ce billet. Ma quiétude et mon environnement immédiat sont menacés. Depuis maintenant 3 ans, je me lève aux aurores pour regarder la beauté de mon lac. Voici d'ailleurs le montage qu'a fait le pote Alain de Lamirande de mes nombreuses photos. Profitez-en bien puisque les collines de gauche et du centre de toutes mes photos, sont prévues pour être rasées. Je pourrais cependant pleurer adossée à l'un de mes pins centenaires. Comme ils sont sur mon terrain, personne ne les coupera...

Ce que vous pouvez faire

Vous informez à propos des coupes à blanc à Chertsey sur le site http://protection-forets.com

Faire circuler l'hyperlien de ce billet et de la pétition

Alerter vos amis activistes et journalistes

Si vous êtes croyant, priez pour que cet indécent saccage ne se fasse pas.

Finalement, vous pouvez aussi lire Les principes directeurs de la Loi sur le développement durable et mesurer par vous même, tout le ridicule de cette situation.

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