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Face aux crises actuelles, est-il possible de remettre de l'humain au cœur des relations internationales?

Face au constat de l'état actuel du monde, qui n'appelle pas à l'optimisme et auquel répond l'impuissance des états à proposer des solutions, l'espoir résiderait-il dans une implication accrue des sociétés civiles dans la diffusion de valeurs partagées?
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Face au constat de l'état actuel du monde, qui n'appelle pas à l'optimisme et auquel répond l'impuissance des états à proposer des solutions, l'espoir résiderait-il dans une implication accrue des sociétés civiles dans la diffusion de valeurs partagées?

La nature des conflits aujourd'hui a changé. La fin de la Guerre froide a modifié la donne: à l'opposition frontale d'armées régulières s'est substituée la prolifération d'acteurs non étatiques usant sans ciller de la violation des droits de l'homme comme d'une méthode centrale du combat. La terreur est devenue la finalité des conflits.

Les crises sont aujourd'hui transnationales, tant par leur nature que par leurs conséquences, au premier rang desquelles les flux migratoires qu'elles engendrent. Face à ce nouveau constat, les États se trouvent bien en mal d'apporter une réponse aussi crédible qu'efficace. En effet, ces conflits ont le plus souvent cours dans des pays dits "faillis", à la légitimité contestée par les populations. Ces guerres de déconstruction des États paralysent dès lors ces derniers, les rendant incapables d'opposer une réponse globale.

Aujourd'hui, face à des crises qui se multiplient et dont l'intensité n'a d'égale que l'inhumanité, est-il possible de refuser la fatalité et d'espérer remettre de l'humain au cœur des relations internationales?

Questionner les "valeurs occidentales" et les intérêts réels

Un tel projet n'impliquerait-il pas en premier lieu de sortir d'une appréhension classique des relations internationales et de faire table rase des schémas de lecture traditionnels, au premier rang desquels les "valeurs occidentales", si souvent brandies en étendard? Les démocraties occidentales tendent en effet parfois à oublier que ce qui leur apparaît comme un présupposé objectif tient bien souvent davantage à une sélection subjective de réalités objectives. En effet, ces valeurs, que d'aucuns pensent universelles et que nos démocraties tentent sporadiquement d'exporter au prix de guerres humainement coûteuses et stratégiquement contestables, sont le résultat d'une analyse du monde au prisme d'une vision occidentale. Elles ont aujourd'hui perdu leur force d'attraction, assiégées par des états autoritaires incarnant des modèles concurrentiels de développement, où les droits de l'homme ne sont pas à l'agenda, foulant ainsi au pied ces valeurs, au demeurant magnifiques et louables.

En réponse, les États occidentaux mènent ponctuellement des interventions dans des états amoindris par des conflits internes, au nom de la protection des populations. Néanmoins, la frontière est ténue entre une intervention légitimée par le droit international et une ingérence étrangère, dans des systèmes reposant sur des valeurs autres, bafouant le principe premier de souveraineté. Une analyse réaliste et honnête des interventions étrangères occidentales mettrait effectivement en lumière, parmi les raisons ayant présidé à la décision de l'intervention, l'intérêt de l'état en question à la mener. Cette logique tient dès lors bien davantage du hard power que de la promotion désintéressée de valeurs soi-disant universelles. Il serait ainsi intéressant de se questionner sur la notion de valeurs, afin de faire émerger celles réellement universellement partagées.

Les états sont-ils toujours les maîtres du jeu sur la scène internationale?

Ces considérations conduisent à une réflexion plus générale sur le rôle des états sur la scène internationale aujourd'hui: sont-ils toujours les seuls véritables maîtres du jeu ou l'émergence de nouveaux acteurs à caractères multiples remet-elle en cause leur monopole? Conçue à l'origine comme le théâtre d'un exercice de puissance entre les états, la scène internationale a vu l'irruption de multiples acteurs non étatiques, complexifiant considérablement le jeu. Néanmoins, cette prolifération ne semble pas pour autant avoir réussi, pour l'instant du moins, à créer de nouveaux centres d'autorité tangibles. Toutefois, l'émergence de sociétés civiles construites a eu pour mérite de rappeler aux états, parfois douloureusement, que leur légitimité leur provenait de leur capacité à incarner ou non la Nation.

C'est précisément la faillite de certains États à créer une véritable cohésion nationale qui a conduit à des dérives identitaires sources de violences. La remise en cause du modèle des États-nations, en théorie créateurs d'une "citoyenneté partagée" (1), a engendré une impression de dissolution des peuples dans une mondialisation qu'ils subissent et à laquelle certains ont réagi en se tournant avec force vers des identités de substitution. De nombreuses sociétés se sont ainsi recomposées autour de nouvelles appartenances notamment religieuses. Les religions constituent effectivement des cadres symboliques producteurs de narrations répondant aux désirs humains d'exister en tant que sujets dans un monde globalisé. Véritables liens sociaux, elles recréent des communautés au sein desquelles les individus retrouvent un sentiment d'appartenance, palliant leurs failles identitaires dans un processus de "recouvrement de l'identité" (2).

Néanmoins ces processus de communautarisme vont de pair avec un accroissement des tensions entre ces mêmes communautés. Basées sur des conceptions uniques et exclusivistes de l'identité, il leur est de fait difficile de concevoir l'altérité et de composer avec un autre, conduisant à des divisions et à un risque accru de conflits et violence.

Recréer des sociétés intégrantes qui encouragent la société civile

Une première réponse serait de réussir à recréer des sociétés intégrantes, confiantes dans les capacités de leurs citoyens et au sein desquelles les individus parviendraient à se réaliser autour d'un projet commun. Un changement global vers plus d'humanité et un retour à l'essentiel est aujourd'hui appelé du vœu des citoyens, en témoigne le fleurissement d'initiatives, tant écologiques que sociétales, politiques ou encore économiques, en partie portées par des jeunes. Encourager une action de la société civile serait un premier pas vers plus d'humanité. Un changement au niveau des politiques semble effectivement bien utopique à court terme, tant les relations internationales sont aujourd'hui conditionnées par des considérations stratégiques et économiques multiples. Toutefois, il paraît envisageable de s'appuyer sur cette société civile, qui est déjà un acteur à part entière de la scène internationale. Une solidarité transversale des sociétés les unes avec les autres est aujourd'hui à construire sous la forme de ponts de paix, d'empathie et d'humanité.

Les décennies successives du XXe siècle ont vu éclore des idéologies et causes ayant fédéré la jeunesse autour de projets communs et lui ayant donné les moyens de se transcender pour devenir des sujets du monde: les droits des femmes, la lutte contre divers carcans, l'engagement humanitaire. Les premières décennies du XXIe siècle pourront-elles être celles de la citoyenneté mondiale?

À l'heure où les start-ups créées par des jeunes foisonnent et où la jeunesse du monde entier s'empare des questions sociétales et politiques et aspire à davantage de participation, ne laissons pas pâlir le mouvement dont elle s'empare. À une période charnière de l'Histoire, l'avenir du soft power de nos démocraties occidentales dépend en partie de notre capacité à faire valoir ces acteurs autonomes de la société civile et à exporter leur rayonnement à l'étranger dans un nouveau modèle de puissance, plus humain et plus juste. N'oublions pas: "Les hommes ont tout à fait perdu de vue, de nos jours, que la vraie sécurité ne s'obtient pas dans la solitude, mais dans l'union des efforts et dans la coordination des actions individuelles." (3)

C'est ce nouveau modèle de rayonnement des sociétés civiles, porteuses d'une intelligence collective, que défend le concept d'Humanitary Power: l'émergence d'une puissance citoyenne mondiale défendant des valeurs de paix, de fraternité et d'humanité inspirées des aspirations universellement partagées.

(1) Pierre-Jean Luizard, Entretien dans les Clés du Moyen Orient, 24 novembre 2015

(2) Farhad Khosrokhavar, Entretien dans La Croix, 10 avril 2015

(3) Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Les Frères Karamazov

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Mai 2017

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