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Quel modèle de laïcité pour le Québec? (2/3)

Si on écoutait Charles Taylor, en effet, il faudrait mettre de côté la problématique identitaire du peuple québécois, qui selon lui n'a pas vraiment sa place dans nos débats sur la laïcité.
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L'approche libérale individualiste

S'agissant de l'approche libérale individualiste anglo-américaine, Rioux rappelle que dans le mythe fondateur américain, «les Pilgrim Fathers fuient les persécutions religieuses. C'est pourquoi les Américains se défient de toute action de l'État face aux religions. Ils sont d'ailleurs nombreux à faire de la liberté religieuse « the first freedom ». D'où aussi, ces innombrables « accommodements ».

Officiellement, cette approche recommande de séparer la laïcité, qui est institutionnelle et étatique, de la sécularisation qui, elle, est individuelle et sociétale. Comme le dit Charles Taylor, l'État doit être laïque et les individus doivent être libres.

Cette approche distingue les moyens de la laïcité (neutralité et indépendance de l'État) et les finalités (liberté de conscience et égalité). Pour qu'un État soit vraiment laïque, il faut qu'il assure la liberté de conscience et l'égalité de tous les individus. La liberté individuelle l'emporte alors haut la main. Cela peut conduire à la primauté de la liberté religieuse par rapport à d'autres libertés. Cela peut conduire à n'admettre aucune exception en matière de tenue vestimentaire pour les agents de l'État. La reconnaissance risque aussi de ne pas être réciproque entre le peuple dans son ensemble et les minorités religieuses. Cela peut donner lieu à une politique de multiculturalisme qui reconnaît les minorités, sans que celles-ci aient un devoir d'intégration.

Dans cette perspective, il importe peu de se doter d'une charte de la laïcité.

Cela peut conduire à accorder la priorité absolue à la charte des droits et libertés. Dans cette perspective, il importe peu de se doter d'une charte de la laïcité. Dans le cas où l'on choisirait quand même d'en adopter une, il faudrait la subordonner à la charte des droits et libertés.

Pourquoi ne pas adhérer à ce modèle ?

Le modèle libéral individualiste a ceci de gênant qu'il accorde la plus haute importance à l'individu au point d'ignorer les réclamations légitimes de la collectivité. Celle-ci est toujours perçue comme une menace. La demande d'intégration est toujours perçue comme suspecte, comme susceptible de nuire à la poursuite rationnelle de son plan de vie personnelle. Au lieu d'engager le dialogue avec ceux qui ont à cœur les réclamations concernant les conditions du vivre ensemble, on s'emploie à mettre de côté la problématique identitaire de même que les enjeux liés au besoin d'affirmation nationale de la collectivité dans son ensemble, au profit d'un débat qui porterait exclusivement sur la place de la religion dans notre société. Les débats entourant les accommodements raisonnables et la charte des valeurs ont donné lieu à des réactions viscérales d'islamophobie, de xénophobie et de racisme, mais l'approche libérale individualiste n'entend ces cris que comme des réactions déplacées, mal informée et fondée sur des perceptions erronées, sans tenir compte de la crise identitaire sous-jacente qui s'exprime au travers de ces réactions déplacées, mal informées et erronées.

Bien que d'une certaine façon, présents dans nos délibérations sur la laïcité, les enjeux identitaires doivent selon ce point de vue être expulsés du débat, au profit d'une approche qui restreint la discussion au niveau de notre rapport à la religion. Les véritables enjeux concernent la charte des droits et libertés et à la rigueur aussi la politique de multiculturalisme. Certes, cette dernière tient compte des facteurs identitaires, mais seulement concernant des groupes minoritaires issus de l'immigration et non concernant l'identité de la communauté d'accueil dans son ensemble.

Quel modèle pour le Québec ?

En cette période de no man's land, alors que le Québec se cherche et est attiré par le repli identitaire, il est tentant de se laisser guider par le modèle français, et d'adopter la charte des valeurs du PQ. Les interdits vestimentaires souhaités pourraient inclure non seulement le niqab, la burqa et le tchador, mais aussi le kirpan, le hidjab et le burkini.

Si par le passé, le Québec a déjà vécu un tel repli identitaire en se réfugiant dans la ruralité, la religion catholique et la littérature française du XIXe siècle, les seules professions libérales étant pour l'essentiel celles de notaire, médecin ou membre du clergé, notre époque est plutôt celle d'un attachement à la France républicaine jacobine des années 2000, avec des politiciens ou chroniqueurs québécois qui, du haut de leur chaire, nous avertissent sur un ton alarmiste de la montée en flèche, sur notre propre territoire, de l'intégrisme (Drainville), de l'islam politique (Benhabib), du salafisme (Houda-Pépin), du terrorisme islamique (Martineau) et du choc des civilisations (Rioux). C'est la raison pour laquelle il faudrait se réfugier dans les bras de la mère patrie.

Christian Rioux voudrait bien que le Québec retrouve les racines françaises de son identité et il reproche à Charles Taylor de tirer la couverture dans l'autre direction. Si on écoutait Taylor, en effet, il faudrait mettre de côté la problématique identitaire du peuple québécois, qui selon lui n'a pas vraiment sa place dans nos débats sur la laïcité. Il faudrait accepter pleinement la charte canadienne des droits et libertés et reconnaître que notre propre charte québécoise fixe déjà pleinement les conditions du vivre ensemble. On pourrait au fond souscrire pleinement aussi à une politique de pluralisme culturel, dans le même esprit que la loi canadienne du multiculturalisme, quitte à l'agrémenter d'une politique visant à favoriser horizontalement le dialogue interculturel.

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