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Projet de loi 60: pour sortir de l'impasse

La tragédie historique que nous vivons est celle d'un dialogue de sourds entre les laïcistes et les inclusifs.
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Toutes mes recherches m'ont conduit à justifier, comprendre et articuler les politiques de la reconnaissance, c'est-à-dire les politiques de pluralisme culturel (qu'il s'agisse du multiculturalisme, de l'interculturalisme ou d'autre chose).

Les minorités issues de l'immigration, les minorités religieuses et les minorités ethniques doivent être protégées et promues dans leur identité. Je suis donc pour la laïcité ouverte ou inclusive, pour les accommodements raisonnables, pour l'interculturalisme et pour le cours d'ECR, car il faut promouvoir et protéger le pluralisme identitaire des minorités.

Mais du même souffle, il faut aussi protéger et promouvoir l'identité du peuple dans lequel se trouvent inscrites ces minorités. Il faut être à l'écoute du besoin d'affirmation nationale du peuple québécois qui est à l'origine de la crise des accommodements raisonnables de 2008-2010. Il faut pouvoir répondre au besoin d'affirmation nationale du peuple québécois et à son besoin de fixer les règles du vivre ensemble au Québec. Les citoyens du Québec sont venus dire aux deux commissaires que les « valeurs » fondamentales du Québec étaient l'égalité homme femme, la laïcité et le français comme langue publique commune.

Il faut reconnaître les minorités et reconnaître le peuple qui contient ces minorités.

La reconnaissance doit être réciproque sans quoi ce n'est plus de la reconnaissance, mais de la domination. En proposant une charte de la laïcité, le gouvernement du Québec a tenu compte du besoin d'affirmation nationale et tenu compte du principe de laïcité.

On ne peut pas prétendre que la charte de la laïcité met en jeu l'identité des personnes portant des signes ostentatoires et affirmer du même souffle que cette charte ne doit pas être associée à l'affirmation de l'identité nationale québécoise. Si la charte soulève des enjeux identitaires, cela vaut non seulement pour les groupes minoritaires, mais aussi pour le peuple qui inclut ces minorités. Dans la mesure où elle formule les conditions du vivre ensemble au Québec, la charte de la laïcité a une portée identitaire.

La charte est l'expression d'un certain patriotisme constitutionnel. Même si on ne remplace pas le nationalisme par le patriotisme constitutionnel et l'identité nationale par l'identité postnationale, le patriotisme constitutionnel fait partie de l'identité nationale. Il en est une des manifestations les plus éclatantes.

On parvient à un équilibre si la politique de la reconnaissance se traduit par des droits différenciés et non seulement par des droits à l'égalité, et que ces droits différenciés sont aussi accordés à des groupes et non seulement à des personnes.

C'est donc dans le but de répondre au besoin d'affirmation nationale du peuple québécois que le PQ est favorable à une charte de la laïcité. Le projet de charte est un document ayant une portée quasi constitutionnelle. Malheureusement, la version proposée est tout sauf rassembleuse. Elle a créé une division sans précédent entre la majorité francophone et les minorités anglophone et allophone, entre nous et eux (les citoyens issus de l'immigration), entre la majorité catholique et les minorités religieuses, entre Montréal et les régions. Elle s'appuie sur le modèle français de laïcité et expulse de son identité toute référence au multiculturalisme canadien qu'elle associe à un modèle «anglo-saxon». En ce sens, le nationalisme qui s'exprime dans la charte manifeste un repli identitaire.

Le gouvernement s'est aussi engagé dans une forme particulièrement insidieuse de wedge politics inspirée par le parti conservateur du Canada. Il s'est livré à un discours populiste qui entretient les préjugés à l'égard de certains groupes d'immigrants, cultive les réactions hostiles à l'endroit de l'Islam et nourrit la xénophobie. Il est même parvenu, grâce à la stigmatisation de la femme voilée, à rassembler autant des catholiques que des personnes éprouvant un sentiment de haine à l'égard de la religion. En ce sens, sa démarche est aussi l'expression d'un nationalisme conservateur.

Enfin, le gouvernement du Parti québécois se comporte un peu comme s'il pouvait faire abstraction des minorités issues de l'immigration vivant sur l'île de Montréal pour réaliser le rêve d'un Québec souverain. Dans la foulée du discours de M. Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995, il se comporte comme si nous étions entrés dans une ère où la seule voix qui importe est celle de la majorité. De la même manière que le Parti conservateur cherche désormais à acquérir une majorité d'appuis au Canada sans chercher celui du Québec, le gouvernement du Parti québécois cherche à obtenir une majorité d'appuis au sein de la population sans chercher à obtenir celui des minorités. En ce sens, le nationalisme québécois se caractérise par un nationalisme du ressentiment.

Ces constats sont terriblement douloureux pour tous ceux qui ont cru que le navire amiral de la souveraineté, le Parti québécois, allait maintenir le cap sur la voie d'un Québec inclusif. Le nationalisme québécois, sous la gouverne péquiste, est un bateau à la dérive. Mais cela ne doit pas nous inciter à condamner toute forme de nationalisme. On peut promouvoir une identité inclusive au lieu de promouvoir le repli identitaire, un nationalisme progressiste au lieu d'un nationalisme conservateur et un nationalisme projeté vers le futur au lieu du nationalisme fondé sur le ressentiment.

Les commissaires Bouchard et Taylor ont souligné la nécessité que le peuple québécois reconnaisse les minorités religieuses, mais ils n'ont pas assez souligné l'importance de reconnaître le besoin d'affirmation nationale des Québécois.

Dans les années qui ont suivi le dépôt de leur rapport, un fossé s'est creusé entre ceux qui promeuvent le pluralisme sans mentionner ou tenir compte du besoin d'affirmation nationale du peuple québécois et ceux qui promeuvent le droit du peuple québécois de se doter d'une charte de la laïcité, mais qui ne tiennent pas compte des identités religieuses minoritaires.

C'est encore dans cette opposition stérile que nous nous retrouvons avec, d'une part, la charte de la laïcité défendue par le PQ, qui procède du repli identitaire, du ressentiment et du conservatisme, et l'opposition à cette charte qui, trop souvent, est totalement indifférente au besoin d'affirmation nationale du peuple québécois.

Pour ma part, je défends une charte de la laïcité inclusive et à plus long terme une constitution interne pour le peuple québécois qui incorporerait les principes fondamentaux de la charte des droits et libertés, de la charte de la langue française et de la charte de la laïcité. Il va sans dire que j'espèrerais aussi que cette constitution soit aussi celle du peuple souverain, mais j'estime aussi que ce serait une avancée importante pour le peuple québécois de se doter de sa propre constitution interne. Cette avancée doit être vue aussi comme une avancée dans la perspective d'un Québec souverain, parce qu'elle doterait le Québec d'une constitution provisoire au moment de faire son entrée dans le concert des nations.

La tragédie historique que nous vivons est celle d'un dialogue de sourds entre les laïcistes et les inclusifs. En quoi consiste cette tragédie ? Dans le fait que la vaste majorité des laïcistes sont nationalistes québécois, mais rejettent les politiques de pluralisme culturel et dans le fait que la vaste majorité des inclusifs sont des pluralistes, mais ils rejettent le nationalisme québécois.

Je crois que nous ne sortirons pas de cette crise si nous ne nous mettons pas dans les souliers de l'adversaire politique pour essayer de le comprendre et de tenir compte de son point de vue. Mais ce souci d'un dialogue authentique ne doit pas en rester à un vœu pieux. Plusieurs inclusifs souhaitent le dialogue, mais n'entendent pas céder dans le dénigrement du nationalisme québécois. Et plusieurs laïcistes souhaitent aussi le dialogue, mais ils n'entendent pas céder quoi que ce soit dans leur dénigrement du multiculturalisme et des politiques de pluralisme culturel.

Pour les inclusifs, reconnaître le nationalisme québécois n'implique pas nécessairement que l'on souscrive à la souveraineté du Québécois. Cela peut signifier que l'on reconnaît au peuple québécois le droit de s'autodéterminer de manière interne au sein de l'État canadien. Cela implique notamment qu'on a le droit de se doter d'une constitution interne, incluant la Charte des droits et libertés, la Charte de la langue française et une charte inclusive de la laïcité.

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