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Projet de loi 60: un débat de société, pas d'État

Même s'il reste encore beaucoup à faire, la société québécoise est plus proche d'une égalité démocratique réelle de l'homme et de la femme que bien d'autres sociétés. Nos révolutions sont tranquilles et nos combats se poursuivent au niveau des mentalités.
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Le 30 septembre 2013, dans un article publié dans Le Devoir intitulé Réplique à Charles Taylor - Les religions «indiscrètes» doivent respecter la société civile, mon collègue et ami Yvan Lamonde concentrait en quelques paragraphes un bon nombre d'objections sérieuses formulées par les partisans de la Charte des valeurs québécoises (devenue depuis le projet de loi 60). Puisque le projet de loi reprend pour l'essentiel le projet de charte, les questions soulevées par M. Lamonde demeurent pertinentes. Je considère ici quatre objections et je fournis quelques réponses.

1ère objection: «Dans l'appareil gouvernemental, la neutralité de l'État doit, entre autres, se reconnaître à l'absence de signes qui diraient l'alliance du civil et du religieux, de l'État et des Églises.» (...) «Elle [l'Église Catholique] me semble dire qu'elle ne veut plus être associée à l'État et à la politique, seule approche pour que le religieux et le sacré ne soient plus ou pas instrumentalisés par quelque partisanerie.»

Réponse : La meilleure façon de détacher le politique d'une alliance avec le religieux est de voir la présence de personnes ayant des affiliations religieuses diversifiées. La présence de signes religieux visibles est, non seulement compatible avec la laïcité des institutions, elle la confirme. Ce modèle n'est pas «multiconfessionnel», comme le prétendait Djemila Benhabib à RDI le 8 novembre dernier. C'est un modèle dans lequel les institutions sont laïques et les individus ont plusieurs confessions.

2e objection : «Pourquoi celui-ci [l'espace étatique] devrait-il infléchir l'égalité démocratique en reconnaissant les signes religieux de certaines personnes alors qu'il défend le port de signes politiques ou partisans ?»

Réponse : Il est normal d'exiger un devoir de réserve sur le plan politique lorsque l'employeur est une organisation politique. En outre, les partis politiques sont des associations. Le lien à un parti politique n'est pas identitaire. Les logos des partis politiques n'ont pas une portée identitaire. L'adhésion à une idéologie politique peut être identitaire, mais doit être interdite lorsque l'employeur est une organisation politique.

En outre, les catholiques, les sikhs, les juifs et les musulmans sont des groupes ethno-religieux. Ces religions ont, dès le départ, contribué à la cohésion sociale et culturelle au Proche-Orient, au Punjab, dans la diaspora juive et dans les pays arabes, même si chacune d'elles se répandirent ensuite dans d'autres cultures. À telle enseigne que dans certains cas, les symboles religieux conservent une portée identitaire culturelle, même lorsque leur signification est détachée du système de croyances religieuses.

3e objection : »Cette liberté religieuse individuelle, M. Taylor me semble la défendre au bout du compte parce qu'il croit et qu'il pense - je garde les deux mots - que la religion apporte des réponses à l'homme. Il y a toutefois des femmes et des hommes qui ne retiennent pas ces réponses, qui n'en ont pas besoin ; bien qu'ils les respectent chez leurs concitoyens.»

Réponse : Ici, l'objection semble être que ceux qui sont agnostiques ou athées sont injustement traités par l'autorisation de signes religieux. On peut toutefois imaginer que les personnes athées, agnostiques ou anticléricales pourraient se confectionner des signes qui expriment ces croyances. Ce serait moins exigeant de procéder ainsi que de demander aux personnes de renoncer à leurs signes identitaires religieux pour s'en inventer de tout nouveaux, comme le propose le pictogramme des signes interdits et autorisés du gouvernement.

4e objection : «L'égalité dont il y est question est l'égalité civile d'une société démocratique, l'égalité des femmes et des hommes dans une société civile. Cette égalité démocratique place citoyennes et citoyens sur un pied d'égalité au-delà de toute considération raciale, religieuse, linguistique».

Réponse : C'est pour ma part l'objection que je considère comme la plus sérieuse. Les religions ont toujours été sexistes. Elles ont toujours consacré des rapports de domination de l'homme sur la femme. C'est particulièrement le cas dans les pays d'origine de plusieurs citoyens issus de l'immigration où des ignominies sans nom ont été, et sont encore perpétrées, parfois en détournant politiquement le texte religieux originel ou alors en s'appuyant sur la lettre, sans en saisir l'esprit et sans relativiser au contexte, car l'inégalité des hommes et des femmes remontent à très loin dans le temps.

Il faut toutefois distinguer le texte sacré, les institutions religieuses qui en véhiculent une certaine interprétation, les mouvements politiques qui en détournent la signification et les individus qui expriment leur foi religieuse.

Ces choses doivent être discutées dans la société civile et ne pas reposer sur les épaules de l'État. Ce dernier doit, pour être neutre à l'égard de la religion, ne pas intervenir et se contenter de créer des conditions qui favorisent la liberté des individus. Il faut distinguer la laïcisation de l'État et la sécularisation de la société. L'État s'occupe de laïciser l'État et laisse aux citoyens le soin de décider si l'éthos social doit être séculier ou non.

Le Québec a une histoire très différente de l'Afghanistan ou de l'Iran et les modèles applicables dans d'autres sociétés pour contrer les intégrismes (en Algérie ou en Turquie) ne le sont peut-être pas ici.

Même s'il reste encore beaucoup à faire, la société québécoise est plus proche d'une égalité démocratique réelle de l'homme et de la femme que bien d'autres sociétés. Nos révolutions sont tranquilles et nos combats se poursuivent au niveau des mentalités. L'État fait déjà beaucoup pour favoriser l'égalité des hommes et des femmes. Il le fait en adoptant des mesures institutionnelles. Il doit continuer en ce sens pour dissiper les nombreuses inégalités résiduelles.

Il n'a pas à intervenir contre les Yvettes ou pour les Janettes. Il n'a pas non plus à légiférer dans sa fonction publique sur la tenue vestimentaire des employées sous prétexte que ce sont des symboles sexistes. Laissons les femmes juger par elles-mêmes quels vêtements elles veulent porter, sans leur reprocher d'être trop vêtues ou de ne pas l'être assez. Cessons une fois pour toutes de nous servir du corps des femmes pour mener des batailles politiques.

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