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Pour un Québec laïque et pluraliste

Les mesures visant à assurer la neutralité de l'État et sa séparation avec la religion sont certes importantes, mais ce ne sont que des mesures subordonnées aux visées essentielles de la laïcité que sont les principes du respect de la liberté de conscience et de l'égalité de chaque personne.
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Je dois dire d'entrée de jeu que je m'accorde avec l'idée que le Québec doit se doter d'une Charte de la laïcité. Certains considèrent que cet exercice est inutile ou, dans le meilleur des cas, purement symbolique et la raison en est que, selon eux, la laïcité est déjà implicitement inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne. L'argument est le suivant. On trouve déjà dans la Charte des droits et libertés le respect de la liberté de conscience et le respect de l'égalité des citoyens. Or, si l'on accepte une définition de la laïcité impliquant l'obligation de l'État de respecter la liberté de conscience et l'égalité des citoyens, on peut dire, en effet, que la laïcité découle de la Charte des droits et libertés.

Selon ce point de vue libéral individualiste, les mesures républicaines visant à assurer la neutralité de l'État et la séparation de la religion et de l'État sont certes importantes, mais ce ne sont que des mesures subordonnées aux visées essentielles de la laïcité que sont les principes du respect de la liberté de conscience et de l'égalité de chaque personne.

Mais on peut souscrire à une conception différente selon laquelle les principes de neutralité et de séparation de l'Église et de l'État sont des principes tout aussi importants que ceux de liberté de conscience et d'égalité, sans leur être subordonnés. Ce modèle peut être décrit comme libéral républicain. Il se situe entre le libéralisme individualiste et le républicanisme «jacobin».

Il ne faut pas opposer le républicanisme au libéralisme. Le républicanisme n'a pas à être nécessairement «jacobin», si on entend par là que l'État devrait se faire le promoteur d'une éthique de la vertu civique. Ce serait confondre malencontreusement la laïcité de l'État et la sécularisation de la société. Il ne faut pas chercher à émanciper les citoyens de la religion en s'appuyant sur une séparation tranchée entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public, puis en incitant fortement les citoyens à remiser leurs convictions religieuses dans un placard et à faire de la religion une affaire strictement privée.

Il ne faut pas non plus considérer l'individu comme la source ultime de revendications morales valides. Les peuples aussi sont des sources de revendications morales valides. Parmi celles-ci, il y a celle de se donner la constitution de son choix. Et cela implique le droit de se doter d'une charte de la laïcité qui contient autant des mesures étatiques que des mesures visant à protéger la liberté de conscience et l'égalité des citoyens.

Comme le philosophe John Rawls, il faut chercher un équilibre entre la Liberté des Modernes (les libertés négatives) et la Liberté des Anciens (les libertés positives). Cet équilibre se manifeste dans la volonté de ne pas hiérarchiser les deux volets du premier principe de justice. Pour parvenir à cet équilibre, il faut que le républicanisme renonce à promouvoir une éthique perfectionniste d'émancipation des individus à l'égard de la religion. Il faut aussi que le libéralisme cesse d'être fondé sur la valeur d'autonomie et qu'il se fonde plutôt sur l'égal respect à l'égard des personnes et des peuples. C'est de cette manière que l'on parvient à un libéralisme républicain.

S'agissant des politiques de l'État à l'égard des groupes religieux, il faut prendre acte du pluralisme au sein de la société. Certains promeuvent la sécularisation, d'autres non. L'État ne doit pas faire la promotion de la sécularisation, mais il ne doit pas non plus faire la promotion des groupes religieux. Pour être vraiment neutre, il faut donc qu'il ne finance plus les écoles privées confessionnelles et qu'il élimine les crédits d'impôt aux groupes religieux, sauf pour ceux qui font d'abord et avant œuvre d'organismes de charité.

Je m'accorde aussi avec le fait que les employés de l'État doivent éviter le prosélytisme et œuvrer à visage découvert. Je suis en plus d'accord avec le fait de baliser les demandes d'accommodement. Certains accommodements peuvent être jugés déraisonnables. Le test de virginité demandé par un père pour sa fille, la demande par un époux que sa femme soit vue par un médecin femme ou la demande par un homme que le test pour obtenir son permis de conduire soit supervisé par un homme plutôt que par une femme, sont des comportements sexistes qu'il ne faut pas accepter. Car si l'État les acceptait, il se ferait complice de comportements sexistes. Or, si l'État neutre ne doit pas intervenir pour interdire des comportements sexistes qui relèvent de l'éthos social, la neutralité commande aussi à l'inverse de ne pas s'en faire le complice. Il faut distinguer la question des signes religieux qui relève de la liberté d'expression de la foi, ce que l'on ne doit pas interdire, et l'ensemble des rituels, pratiques, coutumes, habitudes et traditions que l'on ne doit parfois pas autoriser.

À ce titre, je rappellerais la recommandation issue du mémoire de Québec Inclusif à l'effet de «mieux outiller les travailleurs et gestionnaires du secteur public et privé quant aux paramètres qui encadrent la gestion des accommodements en milieu de travail, tant pour des motifs religieux que pour les autres motifs prévus par la Charte des droits et libertés de la personne.» Je m'accorde essentiellement avec cette recommandation. Je préciserais toutefois que les demandes d'accommodement ne doivent pas seulement être balisés par le principe d'égalité homme-femme, mais aussi qu'ils doivent ne pas entraîner de mesures discriminatoires à l'égard de quelque minorité quelle qu'elle soit (les minorités LGBT, les personnes handicapées, les groupes ethniques minoritaires, etc.), ainsi que cela est précisé dans le projet de charte de Québec solidaire.

On pourrait créer une commission des accommodements raisonnables en se servant des services déjà disponibles à la commission des droits de la personne. Cette commission serait chargée d'informer toute personne ou organisme qui souhaite connaître la façon de répondre à une demande d'accommodement. La commission pourrait établir si la demande est prise en charge par l'état actuel du droit ou si elle se situe à l'extérieur du droit, n'étant ni autorisée ni interdite par le droit. Elle pourrait aussi suggérer des pistes de solution possibles sans être contraignante.

Qu'il soit clair par conséquent que je suis moi-même très critique à l'égard de certaines demandes d'accommodement. Je suis ainsi, par exemple, très critique à l'égard de la demande faite par l'étudiant de l'Université York qui ne voulait pas participer à un groupe de discussion composé de femmes. Je pense cependant que l'interdiction des signes ostentatoires et cette demande d'accommodement de l'étudiant de York ont beaucoup de choses en commun. Les deux démarches traduisent de façon inopportune des sensibilités teintées d'intolérance. L'intolérance à l'égard des femmes de la part de l'étudiant, et l'intolérance à l'égard du voile chez certains citoyens. L'étudiant de York réclame le droit de ne pas être exposé aux femmes au sein d'un groupe de discussion, alors que les seconds réclament leur droit à ne pas être exposé au voile dans la fonction publique. Il s'agit de deux demandes d'accommodement déraisonnables.

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