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Lundi, c'est jour de douche

Le lundi je pense souvent à Garfield. C'est jour de douche. Le début de la semaine. La fin de l'enfer de la fin de semaine. Mon paradis.
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Le petit enfant reste toujours profondément ancré en nous. Dans toutes sortes de situations, aussi diverses les unes que les autres, il rejaillit parfois spontanément dans un intense souvenir, tel un éclair chargé de puissante adrénaline juvénile. L'émotion alors ressentie varie beaucoup selon la couleur des mémoires du moment, la large palette des teintes allant du jaune ensoleillé et rigoleur au spectre totalement opposé, le très sombre noir opaque et maussade. Heureusement, mon passé n'a plus l'oppressante lourdeur d'antan, ma paix intérieure peinture maintenant les relents d'une précédente réalité, plutôt du côté des journées où monsieur, madame météo, appelle à boire plus de deux litres d'eau et à se crémer la peau. «Aujourd'hui, le soleil sera à son plus beau.»

L'irrévérencieux Garfield m'a sorti de mon monde et emmené dans le sien, permis mon évasion à de nombreuses reprises. Le lundi je pense souvent à lui. C'est jour de douche. Le début de la semaine. La fin de l'enfer de la fin de semaine. Mon paradis. Tout le contraire de lui. Et la liste de nos oppositions est longue : je hais la lasagne, j'aime les araignées, John est l'idiot de son village, mais le débrouillard du mien, mon appétit est celui d'un oiseau tandis qu'il gobe tout avec son estomac à la profondeur abyssale et, chaque lundi, l'eau coulant sur mon dos est l'apothéose de mes rêves, mais sans doute le pire de ses cauchemars. J'ai commencé à lire les aventures de ce gros matou orange et noir quand je mesurais trois, peut-être quatre, livres de longueur. Souvent, le visage caché derrière un bouquin ouvert sur la table de cuisine, tenu par mes petites mains couvertes du ketchup du repas. Ma mère disait souvent: «Michelin, on ne lit pas à la table, c'est impoli. Partage ton sourire, ce que tu as à dire avec le monde autour de toi.» Puis, d'un coup sec, les pages se refermaient, s'envolaient sous mon regard incrédule, tirées par la force de mains plus grandes, plus propres et plus autoritaires que les miennes.

La voix de ma mère résonne encore.

Partage ton sourire, ce que tu as à dire avec le monde autour de toi.» Ma mère disait souvent, sans le savoir, tout à fait aléatoirement, ce genre de sages paroles prophétiques. Par exemple: parce que j'étais chanceux aux jeux lors de ma jeunesse: «Bon là, c'est assez! Tu as la merde collée aux fesses.» C'était la façon la plus courante dont se terminaient nos joutes de toutes sortes.

Je suis vraiment chanceux. Deux. Deux douches par semaine.

« ...Tu as la merde collée aux fesses. » Entouré de blanche céramique, de porcelaine et d'acier, plus qu'à l'aise dans cet endroit étroit doucement assaillit par la fausse et chaude pluie, l'écho de ces mots anodins tonne avec vigueur sur l'éclat de mon épiderme ruisselant. Les expressions maternelles ont décidément la couenne dure. Ce matin, les pieds dans la baignoire, l'improbable véracité de cette maxime, digne des meilleures paraboles incompréhensibles de Nostradamus, prend, dans un éclair de lucidité avancé, tout son sens.

Je suis vraiment chanceux. Parce que je suis incontinent du derrière et du devant, un juteux bonus, dégoulinant de partout, fait maintenant partie intégrante de mes routines matinales: une deuxième douche. Les humains en forte perte d'autonomie, dépendant de leurs mouvements, mais pouvant évacuer au bon endroit en ont qu'une... Je suis vraiment chanceux. Deux. Deux douches par semaine.

Je vais prendre un 6/49 s.v.p.

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