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L'immigration et la langue française dans l'œil de François Legault

Au Québec, débattre du nombre d'immigrants que l'on devrait accueillir chaque année est un sujet tabou.
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Dans un article paru dans divers médias, notamment le Huffington Post Québec, François Legault a dénoncé le «pays imaginaire [rêvé par] une bonne partie de nos concitoyens» pour annoncer ensuite le moment venu de «bâtir le pays réel». Prônant «un esprit de collaboration - et non de confrontation - avec le gouvernement fédéral, [il affirme que] le Québec doit pouvoir compter sur les pleins pouvoirs en matière de langue et d'immigration».

En ce qui concerne l'immigration internationale, le chef de la Coalition avenir Québec déclare sans détour que «[l]e Québec doit [...] être le seul à fixer les seuils et à choisir les immigrants». Quant à la langue, il fait sienne une revendication du Bloc québécois : «Le gouvernement fédéral doit reconnaître qu'il faut préserver l'intégralité de la Loi 101 [et faire en sorte qu'elle] soit pleinement respecté comme langue de service et de travail, [y compris] dans les entreprises à charte fédérale».

L'immigration, un pouvoir partagé

Il serait étonnant que le gouvernement fédéral accepte d'amender la Loi constitutionnelle de 1867 pour laisser au Québec tous les pouvoirs en matière d'immigration internationale, un domaine partagé entre les deux paliers de gouvernement. Pense-t-on vraiment à la CAQ qu'il suffirait d'un «esprit de collaboration» pour l'obtenir ? Que donner en retour de ce nouveau pouvoir que les autres provinces n'auraient pas ?

Le reportage de Martin Croteau sur les déclarations de M. Legault (La Presse, 2 novembre 2014) précise que «la fixation du nombre d'immigrants [...] est actuellement déterminée au prorata de la population des provinces». C'est faux, que cela vienne de M. Legault ou du journaliste. Les provinces de l'Atlantique en accueillent beaucoup moins (2,8% seulement en 2013-2014) tandis que l'Ontario reçoit tout naturellement sa quote-part (38%), voire plus.

Dans le cas du Québec, le graphique qui suit montre bien qu'en dépit d'une hausse récente de l'importance relative de l'immigration internationale (ligne bleue), nos objectifs d'immigration des quatre dernières décennies ont toujours été en deçà de notre poids dans la population canadienne, lequel poids diminue constamment (ligne rouge). Au début des années 1990, Madame Monique Gagnon-Tremblay, alors ministre de l'Immigration dans le deuxième gouvernement Bourassa, désespérait de pouvoir suivre l'ensemble du Canada en la matière. Le graphique montre clairement une dégringolade de la ligne bleue jusqu'à 13,3% au milieu des années 1990.

Il ne fait pas de doute que M. François Legault souhaiterait réduire le nombre d'immigrants à destination du Québec. La CAQ n'a-t-elle pas proposé lors de l'élection générale de 2012 de faire passer leur nombre de plus de 50 000 à 45 000 pour les deux années suivantes? Bien que cette proposition m'ait semblé plutôt timide, elle est unique en son genre : au Québec, débattre du nombre d'immigrants que l'on devrait accueillir chaque année est un sujet tabou. En effet, si au cours des années 1990 nous avons accueilli moins de 35 000 immigrants par année, la hausse jusqu'à 44 000 dans les années 2000 s'est faite sans débat de société. De même depuis 2010 avec au moins 50 000 immigrants annuellement.

Sélectionner les immigrants

Outre le nombre d'immigrants que le Québec accueille annuellement, le chef de la CAQ insiste sur la sélection des candidats. Selon le journaliste de La Presse, M. François Legault aurait déclaré que «[l]e Québec doit obtenir tous les pouvoirs en matière de sélection des immigrants». Sélectionnant déjà 7 immigrants sur 10, M. Legault voudrait étendre ce pouvoir aux catégories d'immigrants qui relèvent d'Ottawa : les réfugiés ainsi que ceux, plus nombreux, qui peuvent profiter du «programme de réunification familiale».

Comme bien d'autres Québécois avant lui, François Legault attache trop d'importance à la sélection des immigrants. Par exemple, longtemps nos gouvernements se sont donné pour objectif de sélectionner un immigrant sur deux qui saurait s'exprimer en français. L'objectif a été dépassé et le gouvernement actuel vise une proportion pour 2015 qui se situera «à environ 55 % du volume global». Or, les données révèlent que cette augmentation est principalement due au recrutement d'immigrants bilingues français-anglais. Si la connaissance du français a progressé, celle de l'anglais n'est pas loin derrière (1).

D'aucuns perçoivent la Terre comme un vaste bassin où recruter les travailleurs dont nos entreprises auraient cruellement besoin pour combler notamment les départs à la retraite des baby-boomers. Ainsi, la sélection devrait s'y adonner en priorité. Or, depuis quelques lustres, la sélection des immigrants est plutôt bâclée. Pour atteindre les hauts niveaux d'immigration fixés, chaque agent de recrutement ne peut consacrer tout le temps qui devrait être nécessaire à l'examen de chaque requête, notamment à la suite d'une entrevue.

Intégrer les immigrants

En général, l'intérêt de nos chefs politiques pour l'immigration porte essentiellement sur l'amont (avant l'arrivée de l'immigrant), au détriment de l'aval (après la migration). Or, ce que nous faisons des immigrants une fois admis au sein de notre société laisse toujours à désirer, notamment en matière linguistique.

Il ne suffit pas de choisir le plus grand nombre possible de candidats ayant une connaissance du français, ni même de diriger leurs enfants dans nos écoles françaises. Encore faut-il respecter l'engagement que nous avons pris en 1990 d'enseigner rapidement le français à tous les immigrants adultes qui ne connaissent pas notre langue officielle au moment de leur arrivée (2).

Or, dans son programme électoral de 2012, la Coalition avenir Québec avait proposé, fort à propos, d'augmenter les «ressources pour l'intégration des immigrants à la majorité francophone». Toutefois, ce n'est pas en doublant les budgets de l'Office québécois de la langue française que l'on atteindrait cet objectif, cette responsabilité ne relevant pas de la loi 101. Elle dépend plutôt des programmes mous du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Intégration (MIDI) dont les budgets n'augmentent pas en fonction du nombre d'immigrants. François Legault devrait noter qu'il y aurait beaucoup plus à faire de ce côté-là que d'enjoindre le gouvernement fédéral d'appliquer la loi 101 dans les institutions qui relèvent de lui sur le territoire du Québec.

Il importe enfin d'ajouter que l'intégration linguistique des immigrants n'appartient pas qu'à l'État, ni d'ailleurs aux immigrants eux-mêmes qui s'engagent à s'intégrer. Elle dépend fortement des attitudes et des comportements de la population d'accueil, au premier chef, la majorité francophone. Or, une importante fraction de la population francophone «bilingue» préfère d'emblée faire usage de l'anglais devant quiconque parle avec un accent, parle péniblement, ou montre des traits physiques attribués à tort ou à raison aux minorités visibles. Dès lors, et à l'instar de Tania Longpré, on peut se demander si pour certains, parler français est «une maladie honteuse».

(1) Michel Paillé, «Le revers de la médaille : une immigration à la fois de plus en plus bilingue et de plus en plus unilingue anglaise», Mémoire présenté à la Commission parlementaire de la Culture de l'Assemblée nationale du Québec portant sur la planification de l'immigration pour la période 2008-2010, Québec, août 2007.

(2) Il s'agit du «contrat moral» formulé dans Au Québec pour bâtir ensemble, Énoncé de politique du gouvernement Bourrassa.

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