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Tuerie à Sainte-Foy: de l'inutilité relative des bons sentiments

Jeudi, dans le hall d'entrée de notre belle institution d'éducation, comme d'ailleurs dans de nombreux endroits et institutions publiques du Québec, avait lieu un rassemblement «contre la haine». Je n'y ai pas participé, et cela pour plusieurs raisons.
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Jeudi, dans le hall d'entrée de notre belle institution d'éducation, comme d'ailleurs dans de nombreux endroits et institutions publiques du Québec, avait lieu un rassemblement «contre la haine» et aussi de soutien à la «solidarité pour les proches des victimes et la communauté musulmane» face à l'attentat terroriste dans la mosquée de Sainte-Foy.

Je n'y ai pas participé, et cela pour plusieurs raisons. Je crois notamment, et d'une manière générale que cela relève de l'infantilisme et de la bien-pensance angélique. Plus spécifiquement, parce que je ne pense pas que de telles manifestations de bons sentiments puissent jouer un rôle significatif face à la répétition (ou son contraire) de tels actes violents, absurdes et imprévisibles. Qu'on ne s'y méprenne pas, je suis choqué, attristé et préoccupé par la manifestation de semblables formes de violence inutile et injuste. Cependant, nous devons nous attendre à ce que d'autres Bissonnette, Lortie, Lépine, Breivik ou Abdeslam s'en prennent cruellement à des innocents, des enfants, des Juifs, des musulmans ou des féministes...

Plus de 50 ans de Révolution tranquille, un large système d'éducation publique, l'existence de deux Chartes des droits et libertés, de plusieurs radios et télévisions publiques, de groupes de défense des droits, d'organismes d'information sur la tolérance, la convivialité, le respect des différences, des religions, de nombreux festivals artistiques et de culture publique, n'empêcheront pas les détraqués, les écervelés idéologiques, politiques et religieux, les mal-foutus et invertébrés neuronaux de tout acabit, de commettre des crimes violents, insensés et injustifiables sur le plan éthique ou politique.

J'ai entendu de nombreuses personnes au grand cœur exprimer leur colère, leur tristesse, de même que leur volonté de faire quelque chose pour que ce genre de folie sans nom ne se reproduise plus. Hélas, il faut nous rendre à la pesante réalité, à la plus chiche évidence : à notre (petit) corps défendant, il y en aura encore et peut-être même davantage. Parce que nous sommes humains et que comme le soutenait Freud, il y a en nous des pulsions agressives et destructives irréductibles. Sans oublier la pensée de Marx qui a brillamment tenté d'expliquer la lutte des classes, la volonté des puissants de s'emparer de tous les leviers pour se maintenir en place et, conséquemment, augmenter leur mainmise sur le monde et les autres humains. En 2017, pensons-nous vraiment que la révolution, l'abolition du salariat et la socialisation des moyens de production mettraient un terme à la violence et à la furie dominatrice des potentats et des psychotiques? Le grand René Girard croyait-il vraiment, en son abyssal for intérieur, que l'amour chrétien arriverait à enrayer la violence mimétique et ses funestes conséquences?

Il nous est difficile d'admettre notre très relative impuissance face à la barbarie. Pourtant, en Occident du moins, les faits et les chiffres tendent à démontrer la pacification relative de la vie sociale et le recul global de la violence contre les personnes. Mais qui dit recul, ne signifie pas éradication!

Toute la civilisation du monde viendra-t-elle à bout de la volonté de bousiller son semblable ou son autre? Encore une fois, la réponse est non, parce que la civilisation elle-même est porteuse de pressions qui poussent certains humains à péter les plombs. Elle leur offre un paravent face à la nature et face aux autres humains, mais elle impose a fortiori une étrange contrepartie. Nous devons renoncer - nous sommes contraints de, serait-il plus juste d'écrire - à une partie de nos désirs, afin de réussir à fonctionner dans les rouages exigeants de la société civilisée. Aucun humain n'en est totalement quitte. Nous sommes également obligés de réaliser que ce dualisme délétère prend des formes démesurées et débiles chez certains individus, malheureusement plus vulnérables et moins nantis de capacités d'homéostasie psychologique.

Partout, dans les médias, j'ai vu ou lu de bons et vertueux esprits tenter de comprendre, d'expliquer les tenants et les aboutissants du drame du Centre Culturel islamique de Sainte-Foy et parfois même entendu des commentaires à la limite de la santé mentale et intellectuelle. Par exemple, certains déployaient des efforts pour expliquer le geste de ce jeune infortuné homicide par l'élection de Trump et par la nomination de sa cohorte de sexistes, de racistes et d'anti-tout-ce-qui-n'est-pas-américain-chrétien-réactionnaire. D'autres mettaient en cause les propriétaires et les animateurs des radios-vidanges de la belle capitale. Quelques-uns ont même tenté de responsabiliser le PQ et les défenseurs d'une Charte de la laïcité. Mais ils ont négligé de responsabiliser le rap, le heavy métal, les jeux vidéo, les films violents, etc. Tous ces efforts pour établir une causalité stricte aux gestes de Bissonnette sont à la limite de la puérilité. Peut-être qu'un psychanalyste compétent parviendrait, à force de séances analytiques, à mettre certains mots sur la détérioration mentale de ce jeune homme, qui l'a conduit à ce que nous savons.

Il est fort à parier que celui-ci ne connaissait pas grand-chose de l'islam et de cette communauté polymorphe au Québec. Sinon, il se serait donné la peine de se rendre chez le zigoto haineux de Charkaoui ou chez d'autres groupes radicaux préhominiens qui recrutent la chair à canon islamo-québécoise, pour aller se faire exploser en Syrie, en Irak ou dans des attentats terroristes un peu partout en Occident.

Je crois (avec des limites) aux pouvoirs de l'éducation, du dialogue, de la culture et de la civilisation. Mais beaucoup moins aux manifestations de bons sentiments et autres démonstrations de solidarité ou d'amour envers les Islamo-Québécois. Les radicaux, les meurtriers et les déments aux prétextes idéologico religieux ou politiques me semblent largement imperméables à cette parade affective, de même qu'aux efforts multiformes dédiés à l'extension du processeur civilisateur. Ce sont des espèces d'anomalies imprévisibles de la loterie génétique et sociale. Qu'ils ne se soient pas manifestés avant cette date fatidique dans notre Belle Province est plus surprenant que son contraire. Alors, s'il vous plaît, ne nous rendons pas ridicules en parlant de «perte d'innocence». Nous avons juste été chanceux et liés à une histoire encore trop jeune pour avoir suscité la pléiade d'adversité que génèrent, sans tout à fait le vouloir, les plus vieux continents.

P.S. Mes condoléances aux familles et aux proches de ces inutiles et infortunées victimes.

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