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Une liberté d'expression qui se ratatine comme une peau de chagrin?

Doit-on rappeler que les enseignants des niveaux postsecondaires québécois, sont d'abord au service de leur discipline respective, de leur devoir d'intégrité intellectuelle et de la population qui finance cette noble profession?
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Il y a quelques semaines, les professeurs Mathieu Bock-Côté et Normand Baillargeon, des intellectuels québécois qui ont largement démontré, par leurs contributions, leur grande valeur, dénonçaient des situations de non-respect explicites de la liberté d'expression, de la libre circulation des idées et du libre rassemblement des personnes à l'Université du Québec à Montréal. S'agissait-il d'un cas isolé ou plutôt d'un phénomène qui s'installe dans le panorama actuel des maisons d'enseignement postsecondaire du Québec?

Hélas, il faut bien réaliser que depuis l'antiquité, les lieux d'enseignement ont fréquemment été perturbés par des idéologies et des pouvoirs politiques, religieux et dogmatiques, qui cherchaient à imposer un cadre de pensée unique, stérile et clos. On pense, par exemple, à l'assassinat de la mathématicienne et philosophe Hypathie, par les sbires de l'évêque Cyrille d'Alexandrie, au procès de Galilée, aux persécutions et exécutions innombrables d'intellectuels juifs durant la seconde guerre mondiale, à la répression de masse des intellectuels, savants et artistes durant la période soviétique. Et, au Québec, combien de libres penseurs et de créateurs ont subi les foudres et l'exclusion du clergé catholique, sans oublier, la navrante situation des femmes à qui les portes des universités ont été closes durant des siècles? Sans négliger également les conflits multiples qui opposaient et déchiraient les groupes de professeurs et d'étudiants, dans les années 1970, lors de débats houleux en venaient presque au poing entre les partisans de la gauche (et de la gauche entre ses nombreuses factions), de la droite ou du nationalisme «séparatiste». Faut-il se surprendre du fait qu'aujourd'hui encore, nos institutions soient par moments perverties par des courants et des groupuscules idéologiques aussi dogmatiques que virulents, qui cherchent à imposer leurs vues et à manipuler la cohorte des autres étudiants, à l'aide de tous les moyens qui ont été mis à leur disposition?

Qui sont exactement ces nouveaux censeurs? Ce serait essentiellement des groupes de défense des minorités identitaires, sexuelles ou économiques, des partisans de la gauche régressive et multiculturaliste, des altermondialistes et opposants à la mondialisation, des écologistes radicaux, qui estiment que la fin défendue justifie leurs actions de boycottage, d'opposition et de répression, en prétendant que leurs adversaires détiennent a priori un pouvoir de persuasion antérieur et socialement avantagé face au leur.

Mais ces groupuscules ne représentent qu'une facette de la réalité relative à la liberté d'expression, mise à mal, qui s'impose depuis un certain temps dans nos «grandes écoles». Tentons un sibyllin portrait de cette nouvelle réalité. Premièrement, plusieurs soutiennent que les exécutifs syndicaux se sont assez largement affaiblis, d'une part en raison de l'individualisme-hédoniste qui gagne du terrain auprès d'une signifiante partie du corps enseignant actuel et, d'autre part, en vertu d'une relative dévalorisation sociétale de l'action syndicale et de ses combats. La participation aux assemblées se révèle souvent assez faible et l'engagement du personnel s'affiche minimal et ponctuel, à l'exception des réunions où se profilent les négociations liées aux ententes collectives de travail.

Nous observons également une relative «désintellectualisation», doublée d'une espèce de «professionnalisation» du corps enseignant, plutôt tourné vers la vie privée, la famille, la santé, le sport, le plaisir et le bien-vivre, lequel personnel démontre une vision moins hiérarchique, combative et militante des rapports entre les différents groupes de travailleurs institutionnels.

Les directions, bien que limitées par le respect des conventions, des droits et libertés et des nombreuses règlementations institutionnelles, disposent d'une plus grande marge de manœuvre pour remettre dans les rangs, les différentes sortes de brebis égarées et cela se fait, de nos jours, au nom d'une espèce de sacro-sainte loyauté à l'institution et du respect de ceux et celles qui sont installés confortablement dans les multiples comités et regroupements voués à la bonne marche de leur noble institution.

Ceci dit, depuis quelques années, de nombreux cas de censure, d'exclusion, de neutralisation, de répression de la liberté de parole, d'expression et d'action, ont été rapportés. Il n'est pas rare de voir des individus travaillant en marge de leur département, harcelés par certains de leurs pairs, avec la complicité réelle, involontaire, ou tacite de la direction de leur institution. Les exécutifs syndicaux croulent sous les griefs qui souvent n'aboutissent à rien de concret, faute de moyens, de supports et de force collective. Et certains conflits se soldent, hélas, par des poursuites judiciaires de professeurs contre leur département, ou à l'endroit de certains «collègues» ou encore de leur direction. La délation a fréquemment valeur égale à des faits dument prouvés et documentés. Les enseignants ont parfois peu de moyens de défense face à des collègues ou même face à des étudiants qui rapportent des ragots et des pseudo-vérités à des membres de la direction qui devraient, a contrario, faire preuve de confiance envers leurs collègues et qui échappent ainsi à leur devoir de défendre l'intégrité, la liberté et la rigueur intellectuelle, dans leur institution.

Il règne dans nos «grandes écoles» une bien-pensance, une gnose officielle et diffuse, une doxa pédagogique et idéologique qui, hypocritement, paralyse les débats, exclut des personnes de valeur, obtient la part du lion des subventions, des soutiens ou dégagements de tâches institutionnels, sans que la population et les élus en soient le moindrement informés.

Nous savons que depuis quelques années, plusieurs enseignants ont été importunés, rencontrés et pénalisés, pour des prises de parole qui n'étaient pas conformes aux vues de certaines majorités bien actives et «protégées» dans leur institution. Il règne dans nos «grandes écoles» une bien-pensance, une gnose officielle et diffuse, une doxa pédagogique et idéologique qui, hypocritement, paralyse les débats, exclut des personnes de valeur, obtient la part du lion des subventions, des soutiens ou dégagements de tâches institutionnels, sans que la population et les élus en soient le moindrement informés.

Il n'est pas facile aujourd'hui de questionner, d'enclencher la discussion, de susciter la réflexion sur des thèmes malheureusement et illégitimement captifs de l'intelligentsia dominante. Par exemple, la question du féminisme. Il est aisé de réaliser qu'il y a une kyrielle de postures et d'analyses de la condition féminine ou des rapports hommes-femmes dans le monde en 2017. Pourtant, ceux et celles qui essaient de s'exprimer dans un langage différent de celui, plus officiel, de l'accusation, du rejet, de la dénaturation des faits, de la plainte ou de l'aveuglement (et souvent de l'ignorance), par rapport aux gains réalisés depuis, disons, les 60's, ont bien de la difficulté à pouvoir proposer leur point de vue. Et que dire de la gauche, celle qui défend tous azimuts les droits individuels, ceux des minorités et du multiculturalisme nivelateur, à la manière de Michel Seymour ou de quelques personnes phares de QS? Dorénavant, lorsque nous défendons notre langue, même si sa santé s'affiche bien imparfaite, celle qui a néanmoins résisté à quatre cent ans d'histoire houleuse, de même que la pléthore de valeureux combats effectués par nos prédécesseurs, à notre culture diversifiée, à notre respect des droits individuels et collectifs, à nos racines gréco-latines axées sur la libre discussion, la démocratie, le sens critique, la raison et l'argumentation rigoureuse, mais, en même temps ouverte et tolérante, devons-nous nous cacher, nous faire tout-petits, renoncer à ce que nous sommes, au nom d'une bien-pensance qui sera de toute évidence, passagère, bien qu'elle a déjà semé de tristes fruits sur son passage?

Ultimement, doit-on rappeler que les enseignants des niveaux postsecondaires québécois, sont d'abord au service de leur discipline respective, de leur devoir d'intégrité intellectuelle et de la population qui finance cette noble profession, en s'attendant à ce que ceux-ci et celles-ci offrent le meilleur de leurs aptitudes et contribuent à édifier une société de liberté, de justice, de respect, et toujours fière d'être en marche vers sa propre émancipation?

P.S. Je dédie ce texte à ceux et celles qui ont goûté à cette funeste médecine, ainsi qu'à toutes ces généreuses personnes qui s'activent pour leur rendre justice.

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