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Depuis 1991, les cadres, administrateurs et professionnels des établissements ont survécu à cinq réformes dans le réseau de la santé.
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Le réseau de la santé québécois se retrouve régulièrement sur la place publique où les critiques mâchurent largement les décisions du premier ministre et du ministre de la Santé et des services sociaux dans la gouverne de la réforme du système de santé. La liste est longue des récriminations sur les augmentations jugées excessives des revenus des médecins, la détresse des infirmières ou les délais des patients afin de voir un médecin ou recevoir les soins appropriés.

La question qui se pose est la suivante: s'agit-il vraiment d'une véritable réforme du système de santé? Nous pensons que non! Depuis 1991, les cadres, administrateurs et professionnels des établissements ont survécu à cinq réformes dans le réseau de la santé. Chaque fois, l'apriori de l'implantation de celles-ci reposait sur le même cadre de gestion, c'est-à-dire un changement de structure vers la centralisation. La mesure et l'évaluation de la performance devenaient alors un élément de plus en plus important du plan stratégique du ministère. L'adoption, cette fois-ci, des lois 10, 20 et 130 et les choix stratégiques et les visions contingentes du ministre actuel de la santé et des services sociaux ont mené à une excessive centralisation des structures et des décisions entre ses mains et celles des fonctionnaires du ministère.

Les impacts de cette réforme sont le fruit de cette « culture bureaucratique » que nous décrivions ainsi en 2010 dans les termes suivants : « Voyons globalement les données (ratios, moyennes, indices, pourcentage, etc.) dans la mise en place des composantes de gestion... Établissons un contrôle maximum de ces données pour s'assurer de ne pas sortir des paramètres établis; puis mettons à la tâche des gestionnaires de système. Cela entraîne trois conséquences. Un : nous sommes fortement sur-administrés. C'est chiffré et connu. Deux : l'objet de la gestion n'est plus concrètement le personnel à la base des opérations ni même la clientèle à desservir mais les systèmes eux-mêmes. Trois : le discours du « métier » est totalement ignoré, c'est-à-dire le discours de ceux et celles qui, sur le terrain... savent ce qu'il faut penser, faire et comment organiser le travail... Pire, les directions des établissements sont évaluées sur l'application des règles et normes étatiques ».

Le regroupement des divers établissements dans les nouvelles superstructures (notamment les CISSS et CIUSSS) est devenu l'illustration de la servitude dans laquelle les gestionnaires et administrateurs des établissements en santé sont tenus par une nouvelle technocratie. De fait, la réforme en santé a érigé deux univers : celui du nouveau contexte « ministériel » dans lequel se retrouvent inféodés les gestionnaires et celui des établissements lesquels, en plus de perdre leur identité, ont perdu dans les faits le pouvoir de diriger et décider ce qui serait souhaitable pour les patients et leur personnel.

Cela n'est pas sans conséquence

Dans l'univers « ministériel », la réforme exige des gestionnaires de consacrer beaucoup plus de temps à l'exercice de ce que Henry Mintzberg appelle les « sciences de l'artificiel », c'est-à-dire s'appliquer à jouer sur les leviers de la division du travail, les mécanismes de coordination, le flux du personnel comme celui des usagers, les liens d'autorité et le processus de décision, et enfin la circulation de l'information afin de répondre aux exigences des nouvelles structures centralisées du système de santé. Cela conduit à confondre le bien-être humain avec le bien-être de l'organisation. Ainsi, le contenu de l'activité humaine dans de telles organisations est jugé à la mesure des indicateurs de santé, ce qui contribue à élever au rang de vertus humaines des notions de productivité, de performance et d'efficience.

Si le sens de l'engagement et la créativité doivent faire partie intégrante du travail des gestionnaires d'établissements du réseau, cela est d'autant plus vrai pour le personnel sur le terrain des opérations.

Ensuite, et considérant le champ des responsabilités professionnelles, il faut parler de « culture » du métier. Ainsi, faire partie du personnel soignant à titre de médecin ou d'infirmière, c'est d'abord s'identifier positivement comme protecteur du patient, ce qui est la raison d'être du système de santé. Si le sens de l'engagement et la créativité doivent faire partie intégrante du travail des gestionnaires d'établissements du réseau, cela est d'autant plus vrai pour le personnel sur le terrain des opérations. Sans quoi, si non reconnus, l'exercice d'une profession ou d'un métier qui mène trop souvent au désenchantement et l'évaluation des interventions professionnelles réduites à leur seule dimension quantitative peuvent conduire à l'affaiblissement de l'éthique du travail.

Dans l'état actuel du réseau de la santé, le désarroi et le désenchantement du public et du personnel sont souvent palpables. Tout est devenu une question de transactions, de négociations, d'argent. L'exemple le plus frappant est certes celui des médecins. Ils sont dans le système de santé des travailleurs autonomes, reconnus comme tel sur le plan fiscal : ni les établissements ou grandes structures de coordination n'ont d'autorité sur leurs pratique, conditions de travail et autres obligations professionnelles.

Dans Le Devoir du 24 mars, la question était posée à d'ex-présidents de commissions sur la réforme à venir du réseau de la santé. Si on laisse de côté les interrogations sur la façon de s'y prendre, sur le fond leur réponse est claire : « Redonner de l'autonomie aux établissements et revoir le monopole des fédérations médicales ». Sortir du « Tout État » et voir un jour un ministre de la santé se centrer exclusivement sur la définition de la mission des établissements en leur laissant l'autonomie et le choix des moyens pour l'accomplir, sous réserve d'une reddition de comptes annuelle, voilà l'espoir de voir des établissements se doter d'un caractère distinctif, s'ajuster constamment aux besoins particuliers et évolutifs de la population qu'ils desservent, tout en développant chez leur personnel un fort sentiment d'appartenance et de fierté. Une telle délégation de responsabilités là où les services sont dispensés pourrait aussi générer une participation citoyenne de proximité veillant à l'accessibilité et la qualité desdits services.

Ce texte est cosigné par Normand Chatigny, Michel Héroux, Denys Larose et Jean-Noël Tremblay. Les auteurs sont des retraités habitant Québec et Montréal. Denys Larose et Jean-Noël Tremblay ont été directeurs généraux de collèges. Normand Chatigny fut maire de Cap rouge et Michel Héroux a œuvré en information et en communication.

Avril 2018

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