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Affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens à Gaza: les faits qui dérangent

Les manifestations entourant la «marche du retour» touchent sans doute à leur fin, mais la situation désespérée des Palestiniens de Gaza demeure une source de revendications légitimes et récurrentes.
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Ibraheem Abu Mustafa / Reuters

Les heurts violents qui ont opposé manifestants palestiniens et soldats israéliens sur le pourtour de la bande de Gaza depuis un mois ont fait, comme nous le savons, de trop nombreuses victimes. Ils ont aussi déclenché un phénomène familier à tout observateur du conflit israélo-palestinien : la polarisation radicale des opinions en deux camps opposés. Ceux qui accusent Israël de tous les maux et crient au massacre des populations palestiniennes, sinon au génocide, et ceux pour qui, comme Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense israélien : « Il n'y a pas de gens innocents à Gaza » et pour qui « l'armée israélienne est l'armée la plus morale du monde ». Chacun de ces discours offre sa propre vision de la réalité, ignorant les données qui pourraient remettre en cause sa cohérence. Il est malheureux que les médias européens et nord-américains – chroniqueurs et universitaires inclus - fassent trop souvent écho à cette dichotomie simpliste et caricaturale. Dans cette perspective, j'aimerais offrir une liste non exhaustive de constats qui tendent à montrer que les événements récents ressortent d'une problématique complexe et tragique qui ne se laisse pas résumer par des jugements à l'emporte-pièce.

En premier lieu, il est tout à fait légitime, pour les Palestiniens de Gaza, de dénoncer la situation absolument inacceptable qui leur est imposée, du fait du double blocus israélien et égyptien. Problèmes aigus d'approvisionnement en eau et en électricité, eaux usées des égouts se déversant directement dans la Méditerranée, chômage généralisé, sans compter une économie locale en pièces. Ceci dit, le Hamas a un bilan accablant comme gestionnaire du territoire et a prouvé son incompétence en tant que gouvernement civil, imposant aux Gazaouis un régime théocratique, autoritaire et brutal. Il a également engagé Gaza dans trois guerres coûteuses contre Israël (2008, 2012, 2014). Soit des milliers de morts, et autant de destructions matérielles. Malheureusement, les Gazaouis ne peuvent pas se débarrasser du Hamas qui n'a pas permis d'élections depuis son arrivée au pouvoir en 2006. Les habitants de ce territoire ont donc de très bonnes raisons de se plaindre, autant de leur propre gouvernement que de l'État hébreu.

Les habitants de ce territoire ont donc de très bonnes raisons de se plaindre, autant de leur propre gouvernement que de l'État hébreu.

Si, pour beaucoup, la vraie demande est une levée du blocus, les manifestations populaires qui ont lieu depuis le 30 mars et ont culminé le 14 mai ont d'abord pour but de réclamer «le droit au retour» des centaines de milliers de Palestiniens – et leurs descendants - qui ont quitté - ou ont été chassés – en 1948 du territoire israélien. Une autre demande a priori légitime, même s'il est permis de douter du réalisme d'une telle revendication. Imaginer qu'Israël survivrait à l'arrivée de plus de cinq millions de musulmans n'est en effet pas vraiment crédible. En fait, l'idée d'un retour possible de la diaspora palestinienne sur le territoire occupé aujourd'hui par Israël souligne à quel point la notion d'un État juif n'est pas encore acceptée par les Palestiniens. Paradoxalement, il faut rappeler que pour beaucoup d'Israéliens, lorsqu'on parle de «droit au retour», on devrait peut-être aussi mentionner les 850 000 Juifs qui ont été expulsés ou ont dû quitter les pays arabes entre 1950 et 1972, laissant, souvent, toutes leurs possessions derrière eux. Ce serait évidemment gênant de parler à ce chapitre d'une «Nakba» juive ou même d'un «droit au retour» de ces populations...

Mais revenons aux récentes manifestations autour de Gaza. Les autorités israéliennes présentent cette mobilisation comme l'œuvre exclusive du Hamas. Celui-ci est accusé d'envoyer vers la clôture de sécurité entourant Gaza, des centaines de jeunes s'exposant aux tireurs israéliens. Qu'en est-il vraiment? Comme l'a noté Piotr Smolar, dans Le Monde, la « grande marche » est une initiative diversifiée, dont l'émergence doit beaucoup à la base des militants. Mais les factions politiques, dont le Hamas, ont saisi l'occasion et se sont approprié le mouvement. Ceci inclut des incitatifs financiers aux participants des manifestations et des compensations en cas de décès. « Plus le mouvement se poursuit, explique un analyste, et plus ce sont les factions qui le dirigent. La société civile ne peut mobiliser seule des dizaines de milliers de personnes. Cela nécessite des ressources. C'est un énorme effort logistique, pour les services médicaux, la nourriture, les drapeaux, etc.» Il est donc indubitable que le Hamas et d'autres factions organisent et appuient les manifestations que nous avons vues ces dernières semaines. Il est aussi assez clair que certaines de ces organisations ont incité les manifestants à s'attaquer à la clôture de sécurité qui sépare Gaza d'Israël. Comme l'a noté le New York Times : « Après les prières de midi, religieux et leaders politiques du Hamas, ont appelé les fidèles à se joindre à la manifestation. La barrière de sécurité a déjà été rompue, ont-ils faussement affirmé, la foule avance déjà en Israël ». Le Washington Post, quant à lui, a rapporté que « les organisateurs de la manifestation ont appelé la foule par mégaphone à s'attaquer à la barrière, leur disant que les soldats israéliens fuyaient déjà leurs positions, alors que ceux-ci les renforçaient ». Yahya Sinwar, le leader du Hamas à Gaza, a déclaré quant à lui : « Nous détruirons la barrière et nous arracherons leur coeur [aux Israéliens]» (sic). Le Hamas a finalement admis publiquement que des militants munis de cisailles, de cordes et d'explosifs se sont mêlés à la foule pour pouvoir s'approcher de la clôture et y ouvrir une brèche. «Lorsque nous parlons de résistance pacifique, nous ne disons pas tout à fait la vérité», a dit Mahmoud al-Zahar, un des fondateurs du Hamas. « Il s'agit de résistance pacifique appuyée par la force militaire ». Rappelons également que la foule présente lors de ces manifestations n'était pas si pacifique que cela. Les réseaux sociaux ont ainsi diffusé des instructions détaillées, destinées aux manifestants et les incitant à « apporter avec eux un couteau, un poignard ou une arme de poing si possible » et de « pénétrer sur le territoire d'Israël afin d'y kidnapper des civils».

Même si, très probablement, la grande majorité des 40 000 participants à la manifestation du 14 mai ne représentait pas un danger immédiat, l'intention des organisateurs de l'événement et d'un noyau de militants préparés et armés était clairement agressive et constituait donc une menace pour les populations civiles israéliennes avoisinantes.

Les forces israéliennes ont-elles su neutraliser la menace posée par les militants qui ont tenté d'attaquer la clôture de sécurité en tenant compte du grand nombre de manifestants civils à proximité, et en respectant le principe de la proportionnalité qui gouverne ce genre de situation ? La réponse est clairement négative. En effet, s'il est permis de constater que la grande majorité des Palestiniens tués lors de la manifestation du 14 mai étaient – de l'aveu même du Hamas et du Jihad Islamique – des militants et donc des combattants (53 sur 60 environ), il n'en demeure pas moins que près de 1359 manifestants (selon Médecins sans frontières) ont été blessés par balle en une seule journée. Ceci démontre sans aucun doute que les moyens utilisés pour dissuader et décourager les participants à la manifestation sont hors de proportion par rapport à la menace qu'ils représentent et une sérieuse réflexion devra être entreprise par l'armée israélienne pour revoir ses méthodes et ses règles d'engagement.

Les manifestations entourant la «marche du retour» touchent sans doute à leur fin, mais la situation désespérée des Palestiniens de Gaza demeure une source de revendications légitimes et récurrentes. Il est à souhaiter qu'au-delà des justifications et des discours satisfaits de son premier ministre, le gouvernement israélien réalise qu'il détient -- avec l'Égypte, la Jordanie et le Qatar -- la clé pour améliorer le sort de Gaza et, par là même, contribuer, non pas à la paix avec un grand « P », mais à l'amélioration des relations entre Israël et les Palestiniens.

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