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Qu'est-ce que le poutinisme?

Jusqu'où nous emmènera le poutininisme ? C'est désormais une question qui ne concerne plus seulement le peuple russe.
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Vladimir Poutine, au début des années 2000, s'est présenté comme un pragmatique. Mais depuis, il a lesté son action d'un discours anti-occidental nourri de références à certains penseurs russes conservateurs. Pourra-t-il faire marche arrière, alors qu'il est devenu une référence pour tous les «non-alignés» et les conservateurs de la planète?

En accédant à la présidence de la Russie, à l'orée de l'an 2000, Vladimir Poutine déclare solennellement : «Je suis opposé à la restauration en Russie d'une idéologie d'État officielle sous quelque forme que ce soit» («La Russie au tournant du millénaire»). Son objectif est de stabiliser un pays durement touché par la crise économique et sociale et de faire oublier les blessures d'un passé récent. Il tente de réconcilier les mémoires blanches et rouges du pays, mélangeant les symboles du tsarisme et de l'Union soviétique. Cette politique d'harmonie est évidemment un acte idéologique puisqu'elle conduit à empêcher toute lecture librement critique de l'URSS. Le retour rampant du stalinisme en est aujourd'hui la preuve. Au lieu de regarder le passé en face, Poutine propose au pays de l'enterrer pour avancer.

Son premier mandat, de 2000 à 2004, est marqué par une attitude qui se veut pragmatique -- il s'agit d'aider la Russie à rejoindre les «standards» occidentaux -- et pro-européenne. Poutine cite souvent Emmanuel Kant. Cependant, dès 2004, les propos du président se durcissent. Il assiste à l'adhésion des pays baltes à l'OTAN et à l'Union européenne. Il voit les anciens satellites (Géorgie fin 2003, Ukraine fin 2004) secoués par des révolutions de couleurs. Ancien du KGB, Poutine n'y voit qu'une manipulation des services secrets américains. Jusqu'à la fin de son deuxième mandat en 2008, son discours se teinte de notes anti-occidentales. Il se met à citer lors de grands discours le philosophe russe émigré Ivan Ilyine (1883-1954) qui critique les démocraties européennes et rêve pour la Russie d'un «Guide» qui «sache ce qu'il faut faire». D'après Ilyine, «le guide sert au lieu de faire carrière ; combat au lieu de faire de la figuration ; frappe l'ennemi au lieu de prononcer des mots vides ; dirige au lieu de se vendre aux étrangers» (Nos Missions, non traduit). Un portrait en creux, flatteur, de celui qui est en train de devenir un leader national.

Après l'épisode Medvedev, le tournant conservateur

Mais il faut attendre le troisième mandat de Vladimir Poutine, après l'épisode Medvedev (2008-2012), pour assister à la renaissance d'une idéologie russe. Après une année 2012 consacrée à la mise au pas des opposants, 2013 est celle du «tournant conservateur». Poutine fustige des pays «euro-atlantiques [qui] refusent les principes éthiques et l'identité traditionnelle : nationale, culturelle, religieuse ou même sexuelle. On mène une politique mettant au même niveau une famille avec de nombreux enfants et un partenariat du même sexe, la foi en Dieu et la foi en Satan. Les excès du politiquement correct conduisent à ce qu'on envisage sérieusement d'autoriser un parti ayant comme but la propagande pédophile. Les gens, dans de nombreux pays européens, ont honte et craignent de parler de leur appartenance religieuse»... Ceci, conclut le président, ne peut que mener à une «crise démographique et morale». Voulant incarner la lutte contre cette tendance, il en appelle à la «défense des valeurs traditionnelles» et assume : «c'est une position conservatrice». Il cite d'ailleurs le penseur anti-occidental Constantin Leontiev (1831-1891), qui assure que l'Europe est tombée en décadence et vante au contraire la «complexité florissante» de l'Empire russe. Et si la Russie rappelait ses racines chrétiennes à une Europe plongée dans l'amnésie? Ce discours tombe dans l'oreille de certains politiques européens.

La «voie russe"

Le deuxième pilier du poutinisme, dans la lignée de certains penseurs slavophiles comme Nicolas Danilevski (1822-1885), auteur du classique La Russie et l'Europe, s'incarne dans la défense d'une «voie russe» à la fois culturelle et politique. En mars 2014, en réaction à la révolution ukrainienne interprétée par les médias officiels russes comme un «putsch» fasciste, le Kremlin annexe la péninsule de Crimée. Lors du grand discours qui célèbre l'événement, le 18 mars 2014, Vladimir Poutine lance :

«La politique d'endiguement de la Russie, qui a continué au XVIIIe, au XIXe et au XXe siècle, se poursuit aujourd'hui. On essaie toujours de nous repousser dans un coin parce que nous avons une position indépendante, parce que nous la défendons, parce que nous appelons les choses par leur nom et ne jouons pas aux hypocrites. Mais il y a des limites».

Un programme, revanchiste, est clairement exprimé.

Enfin, le 1er janvier 2015, l'Union économique eurasiatique entre en vigueur. Reprenant la notion d'Eurasie, théorisée par un courant intellectuel des années 1920 et très en vogue depuis les années 1990, ce projet vise à constituer un marché unique de 180 millions de personnes. Il unit la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie, l'Arménie, le Kirghizistan, en attendant d'autres États d'Asie centrale. L'idée d'une communauté d'États continentale, rivale d'une Europe considérée comme mort-née et d'un atlantisme dominateur, est lancée. Et Poutine cite alors Lev Goumilev, un eurasiste du XXe siècle.

Un anti-occidentalisme radical

Conservatisme contre dégénérescence morale de l'Occident, défense d'une «voie russe» face aux manœuvres hostiles de l'étranger, affirmation d'une puissance eurasiatique en contrepoids à la sphère atlantiste, ces vecteurs de la nouvelle idéologie du Kremlin sont affirmés avec force par les plus hautes instances de l'État. Ils sont enseignés aux hauts fonctionnaires, font l'objet de colloques et d'émissions de télévision. En 2015, alors que l'économie russe souffre, ces fragments d'idéologie sont destinés à créer l'adhésion. Il est bien évident que ces emprunts à une certaine philosophie russe -- sa partie la plus anti-occidentale, belliciste et à prétention scientifique -- ont avant tout une portée pragmatique, et que Poutine n'a rien d'un président-philosophe. Néanmoins, la preuve de l'efficacité de ce patchwork idéologique est son influence, désormais mondiale. En France, politiques et intellectuels se découvrent pro ou contra. Une partie de l'opinion, anti-américaine et anti-système, ou conservatrice, se reconnaît dans la politique russe de l'homme fort qui ne mâche pas ses mots.

Une nouvelle étape est franchie avec l'intervention en Syrie, précédée d'un discours à l'ONU d'un anti-occidentalisme plus radical que jamais. Jusqu'où nous emmènera le poutininisme ? C'est désormais une question qui ne concerne plus seulement le peuple russe.

Michel Eltchaninoff interviendra samedi 21 novembre à «Mode d'emploi», dans le cadre de la conférence intitulée «La Russie de Vladimir Poutine».

Deux semaines de rencontres et de spectacles ouverts à tous, dans toute la Région Rhône-Alpes: interroger le monde d'aujourd'hui avec des penseurs, des chercheurs, des acteurs de la vie publique et des artistes.

- Prendre le temps des questions

- Accepter la confrontation

- Imaginer des solutions

- Trouver le mode d'emploi

Mode d'emploi est conçu et organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec les Subsistances. Ce festival est soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication, le Centre national du livre, la Région Rhône-Alpes et la Métropole de Lyon.

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