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La géo-ingénierie: une solution au changement climatique?

Elle procède de la même attitude arrogante qui se trouve à l'origine du problème climatique: au lieu de changer notre rapport au monde, nous continuons à exploiter la nature et à chercher à la dominer.
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La géo-ingénierie fait l'objet de discussions toujours plus importantes dans les cercles scientifiques, économiques et politiques. Le dernier rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en traite à plusieurs reprises. Elle est discutée dans un nombre croissant de rapports officiels et elle sera sans doute abordée dans le cadre de la Conférence de Paris qui aura lieu fin 2015 (COP 21). Ces débats ont été initiés par un article publié en 2006 par Paul Crutzen, qui présente la géo-ingénierie comme une solution au problème de la paralysie politique internationale (1).

Selon le lauréat du prix Nobel de Chimie, les échecs répétés des sommets sur le climat justifient la prise en compte d'un nouveau type de réponse au changement climatique (2). Mon projet doctoral porte sur les problèmes philosophiques soulevés par le changement climatique et sur certaines manières d'y répondre. Je voudrais montrer ici en quoi la géo-ingénierie ne représente pas une de ces réponses en formulant une série de critiques visant à mettre en garde contre son déploiement.

Qu'est-ce que la géo-ingénierie?

La géo-ingénierie est un néologisme qui recouvre un ensemble de dispositifs technologiques visant à réduire le réchauffement global de la planète et à atténuer ses effets par une intervention délibérée et à grande échelle sur le système climatique. Le système climatique est composé de trois puits qui s'échangent en permanence du dioxyde de carbone (CO2): l'atmosphère, la biosphère et les océans. Les technologies de la géo-ingénierie sont classées selon deux visées principales: soit on réduit artificiellement la concentration de CO2 de l'atmosphère en amplifiant les autres puits de carbone; soit on réduit le rayonnement solaire.

Un projet qui entre dans le premier type de géo-ingénierie correspond à la fertilisation des océans par un épandage à large échelle de sulfate de fer. L'objectif de ce projet est d'accroître significativement le phytoplancton marin, ce qui devrait augmenter la capacité des océans à absorber le CO2.

Crutzen défend pour sa part un projet qui entre dans la seconde catégorie. En s'inspirant des effets des éruptions volcaniques sur le rayonnement solaire, il propose de projeter plusieurs millions de tonnes d'hydrogène sulfuré (H2S) dans la stratosphère: la réaction avec l'air produirait du dioxyde de soufre (SO2), formant ainsi un écran qui diminuerait sensiblement la température au sol.

Les conséquences potentiellement néfastes de la géo-ingénierie

Une première réserve porte sur les effets secondaires des programmes d'ingénierie du climat. Des idées qui semblent simples deviennent des interventions complexes, dont nous ne maîtrisons que très peu, voire pas du tout, les ramifications. Par exemple, la pulvérisation de particules de H2S dans la stratosphère pourrait avoir comme effet la réduction des précipitations dans certaines parties de l'Amazonie et de l'Afrique. Elle pourrait également gravement perturber la mousson indienne.

Dans les deux cas, les impacts sur la production agricole seraient catastrophiques. De plus, les composés soufrés pulvérisés dans l'atmosphère pourraient retarder la restauration du trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique de plusieurs décennies. Une manipulation à large échelle du système climatique donnera très probablement lieu à une série de conséquences inattendues. Alors que les progrès accomplis par les sciences du climat ces dernières années devraient nous inciter à davantage d'humilité, les défenseurs de la géo-ingénierie tirent une conclusion à l'exact opposé.

Des conséquences politiques aussi

Une seconde critique concerne les difficultés politiques liées à la mise en œuvre de ces vastes dispositifs technologiques. Les pays les plus pauvres, en raison de leur localisation géographique et de leurs faibles capacités d'adaptation, seront plus vulnérables aux effets potentiellement néfastes de la géo-ingénierie et moins consultés sur les technologies à développer et les manières de les déployer. Loin d'être une solution d'urgence permettant d'atténuer les effets dangereux du réchauffement global, la géo-ingénierie pourrait très bien multiplier les impacts nuisibles de la perturbation anthropique (c'est-à-dire causée par l'homme) du système climatique sur les populations vulnérables, exacerbant ainsi les injustices climatiques mondiales (3).

Une autre difficulté politique porte sur les différents scénarios possibles de déploiement de la géo-ingénierie: la géo-ingénierie voyou, déployée par un État solitaire sans consulter les autres États, ou par plusieurs pays qui décident de déployer simultanément des mesures susceptibles d'interagir de façon désastreuse; la géo-ingénierie prédatrice, mise en œuvre par un ou plusieurs pays en vue de désavantager ses rivaux géopolitiques; ou encore la géo-ingénierie militarisée, qui viserait une militarisation du système du contrôle du climat avec l'objectif d'affaiblir ses ennemis (4).

Une dernière difficulté politique porte sur la durée du déploiement des programmes de géo-ingénierie. Pour injecter une dose suffisante d'H2S dans la stratosphère, ou pour fertiliser le phytoplancton marin consommateur de CO2 à large échelle, beaucoup d'acteurs doivent participer sur le long terme. Si certains ne tiennent pas leurs engagements, le dispositif pourrait devenir inefficace et le réchauffement global pourrait devenir abrupt. Interrompre un programme d'ingénierie du climat de manière soudaine, en raison de troubles politiques, d'effets secondaires comme l'altération de la mousson indienne ou d'avarie mécanique se traduirait par un bond soudain des températures mondiales.

C'est peut-être l'aspect le plus dangereux de la géo-ingénierie: elle porte en elle le potentiel de rendre les choses bien pires qu'elles ne le sont déjà.

L'objectif ultime de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est d'empêcher toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique (Art. 2 (5)). Les critiques évoquées précédemment montrent que les dispositifs de la géo-ingénierie entrent manifestement en contradiction avec l'objectif que la société internationale s'est fixée en matière de lutte contre le changement climatique.

Une proposition illusoire et arrogante

Il existe un problème supplémentaire. La géo-ingénierie se concentre sur les effets du réchauffement global, en renonçant à toute action sur sa cause. Au lieu de s'efforcer de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle cherche simplement à en diminuer la concentration dans l'atmosphère ou à refroidir le sol et la basse atmosphère. Au lieu de s'attaquer au cœur du problème et de réformer le système énergétique global, la géo-ingénierie ne fait que différer l'action, tout en donnant l'illusion dangereuse qu'elle répond au changement climatique. Elle maintient le statu quo tout en donnant aux politiciens et citoyens des principaux pays émetteurs une conscience tranquille. C'est pour cela qu'elle est autant séduisante. C'est aussi pour cela qu'il faut y résister.

En apparence, la géo-ingénierie n'est que la démonstration de l'ingéniosité technique humaine; pourtant, elle représente une transformation profonde de la relation de l'être humain à la Terre. Elle parie sur une solution technologique fondée sur l'idée selon laquelle la nature doit être soumise à la volonté humaine. La séduction qu'exerce l'ingénierie du climat a des racines profondes, elle s'inscrit dans la droite ligne du projet de domination de la nature par des moyens techniques. Elle représente le stade ultime de la démesure et de l'orgueil. Elle procède de la même attitude arrogante qui se trouve à l'origine du problème climatique: au lieu de changer notre rapport au monde, nous continuons à exploiter la nature et à chercher à la dominer comme si nous en étions les maîtres.

La géo-ingénierie: un leurre plutôt qu'une solution

Ces différentes réflexions critiques convergent toutes vers le même résultat: la solution de la géo-ingénierie est un leurre. Elle déguise des dispositifs technologiques avec des effets potentiellement dangereux et injustes en une solution au changement climatique.

Ceux qui sont prêts à s'engager dans cette entreprise ne montrent pas leur détermination à lutter contre le problème climatique; ils montrent au contraire jusqu'où ils sont prêts à aller pour éviter de s'y confronter directement (6).

Références:

1.Crutzen, Paul J., "Albedo Enhancement by Stratospheric Sulfur Injections: A Contribution to Resolve a Policy Dilemma?", Climatic Change, vol. 77, n°3-4, 2006, p.211-219.

2. Pour une brève présentation de l'état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, je renvoie à la filmographie très instructive de l'organisation Globaïa.

3. Pour une présentation de certaines des injustices climatiques globales les plus urgentes, je renvoie à mon article "Climate Change, Human Rights and the Problem of Motivation", De Ethica: A Journal of Philosophical, Theological and Applied Ethics, vol. 1, n°1, 2014, p.37-52.

4.Gardiner, Stephen M., "The Desperation Argument for Geoengineering", PS: Political Science and Politics, vol. 46, n°1, 2013, p.28-33.

5.La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)

6. Pour en savoir plus sur la géo-ingénierie et les problèmes éthiques qu'elle soulève, voir: Bourg, Dominique, Hess, Gérald, "La géo-ingénierie: réduction, adaptation et scénario du désespoir", Natures Sciences et Société, vol. 18, 2010, p.298-304.

Voir également Hamilton, Clive, Les apprentis sorciers du climat. Raisons et déraisons de la géo-ingénierie, trad. par C. Le Roy, Paris, Seuil, 2013

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