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La douleur n’est pas considérée comme une «maladie» dans le lexique de la profession médicale.
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Passer d’un vocabulaire biomédical à des descriptions plus terre à terre peut sembler inoffensif, mais cela aurait des implications profondes pour la prestation des soins.
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Passer d’un vocabulaire biomédical à des descriptions plus terre à terre peut sembler inoffensif, mais cela aurait des implications profondes pour la prestation des soins.

Le forum annuel de la prestigieuse Académie des sciences de la santé qui s'est déroulé à Vancouver il y a quelques semaines avait cette année pour thème les douleurs chroniques et, bien entendu, le drame des décès attribuables aux opioïdes y a été abordé. Néanmoins, la plupart des discussions ont porté sur des sujets plus larges: quels sont les mécanismes biologiques de la douleur chronique? Que vivent les personnes qui souffrent? Quels moyens pourrait-on adopter au Canada pour leur prodiguer des soins avec davantage de compassion et d'efficacité?

La douleur est un sujet difficile pour le milieu de la santé. Elle peut découler d'une foule de maladies, mais pas toujours. Pour donner un exemple, la présence d'arthrite dans une articulation, visible par radiographie, ne causera aucune douleur chez certains patients, alors que chez d'autres, la douleur ressentie sera forte au point de les handicaper complètement.

La douleur est subjective, si bien que l'on considère parfois les personnes souffrantes comme des mauviettes ou des simulatrices. La science commence tout juste à découvrir des marqueurs biologiques susceptibles de constituer une preuve «objective» confirmant qu'une personne souffre réellement.

Autre problème: quand vient le temps de déterminer où investir les fonds destinés à la recherche et à la prestation des soins, nous ne tenons pas compte du phénomène de la douleur.

Connaissez-vous les deux adages: «on ne connaît que ce qu'on a observé» et «on ne peut pas gérer un problème qu'on n'a pas observé»? Dans le secteur de la santé au Canada, les orientations reposent sur des statistiques concernant l'espérance de vie et les causes de décès qui faussent la réalité. Nous accordons bien peu d'attention aux fardeaux sanitaires que portent les vivants – dont la douleur. Mais nous pouvons changer cet état de choses.

Le Canada, comme la plupart des pays, établit un classement des principaux problèmes de santé dans la population à partir des maladies inscrites sur les certificats de décès. Ce n'est que tout récemment, c'est-à-dire depuis que nous menons de grandes enquêtes sur la santé de la population, que nous avons commencé à disposer de bonnes données sur ce qui nous fait parfois filer un mauvais coton de notre vivant.

La douleur n'est pas considérée comme une «maladie» dans le lexique de la profession médicale.

Dans le classement précité, le cancer et les maladies du cœur figurent aux premier et deuxième rangs, car elles sont les causes de mortalité les plus fréquentes. La douleur chronique n'y figure pas, puisqu'elle n'est pas mortelle en règle générale.

La douleur n'est pas considérée comme une «maladie» dans le lexique de la profession médicale. Le plus souvent, on la considère comme le symptôme d'une maladie «réelle». De plus, elle n'a pas de siège anatomique évident, comme le cœur ou les poumons.

Et si nous recourions à un autre indicateur sanitaire?

Que se passerait-il si nous recourions à un autre indicateur sanitaire appelé «espérance de vie ajustée en fonction de la santé» ou EVAS? Celui-ci est analogue à l'espérance de vie, mais avec une différence majeure. Au lieu de compter simplement les années sur la base des équations «vivant = 1» et «mort = 0», on n'additionne que les années vécues en bonne santé. Dans le même ordre d'idées, on pourrait accorder aux périodes de mobilité réduite ou de douleur chronique une valeur située quelque part entre 0 et 1. Les années passées en moins bonne santé obtiendraient ainsi une valeur positive, mais pas aussi élevée que pour celles passées en parfaite santé.

Passer d'un vocabulaire biomédical à des descriptions plus terre à terre peut sembler inoffensif, mais cela aurait des implications profondes pour la prestation des soins.

Il existe des méthodes reconnues permettant de déterminer quelles valeurs numériques accorder au fait d'éprouver tel ou tel souci de santé. Lorsqu'on les applique, les problèmes non mortels comme la douleur chronique ou la maladie mentale font un bond spectaculaire dans le classement. Le fardeau de l'arthrite (et des troubles musculosquelettiques), par exemple, devient alors le problème de santé numéro un chez les femmes, devant le cancer du sein, le cancer du poumon et les maladies du cœur.

On pourrait enquêter sur les problèmes de santé en utilisant des termes non techniques faciles à comprendre, plutôt qu'un langage médical. Votre vision est-elle bonne? Êtes-vous capable de vous déplacer? Avez-vous des problèmes de mémoire? Souffrez-vous de douleurs chroniques?

Le fait de passer d'un vocabulaire biomédical à des descriptions plus terre à terre peut sembler inoffensif, mais cela aurait des implications profondes pour la prestation des soins. Les médecins sont généralement formés pour poser des diagnostics et traiter des maladies. Avec la spécialisation, les domaines sont de plus en plus cloisonnés. Le cardiologue se concentrera sur la fonction cardiaque de son patient, le rhumatologue, sur ses articulations. La douleur qu'il ressent arrivera parfois au second plan.

Lorsqu'on utilise l'EVAS comme indicateur en tenant compte des douleurs chroniques sans égard à leur source (ou sans cause évidente), on observe un impact quatre fois supérieur à celui des deux causes de mortalité les plus courantes – soit les maladies du cœur et le cancer. Si on affine l'analyse afin d'y intégrer des facteurs de risque comme le tabagisme et l'obésité, les douleurs chroniques ont une incidence beaucoup plus grande encore.

Il est temps que nos ministres de la Santé, s'ils veulent alléger les fardeaux sanitaires que porte réellement la population canadienne, publient les bons indicateurs et prennent les moyens qui s'imposent.

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