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De la mort et de la résurrection comme question philosophique

Le philosophe François Gachoud, qui fut professeur de philosophie et de littérature française en Suisse romande, publie ce printempsqui pourra intéresser les philosophes et théologiens chrétiens.
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Le philosophe François Gachoud, qui fut professeur de philosophie et de littérature française en Suisse romande, publie ce printemps Comment penser la Résurrection(1) qui pourra intéresser les philosophes et théologiens chrétiens convaincus par la Résurrection de Jésus de Nazareth, mais sans nul doute aussi les croyants d'autres religions, voire certains agnostiques ou athées, pour qui l'interrogation ou l'énigme première au même plan que celle du sens de l'existence reste la mort.

La première question que pose cet essai est celle-ci : «Il y a ceux qui y croient et ceux qui n'y croient pas! Où est la vérité?» Il n'est pas sûr que la vérité soit non plus dans cette question, renvoyant dos à dos les uns et les autres.

La question de la résurrection est inscrite déjà dans la Bible hébraïque, puis dans le Talmud et dans le Zohar, le chef-d'œuvre de la Kabbale juive. Si nous la trouvons de façon explicite dans les livres prophétiques, les maîtres du Talmud l'ont aussi trouvée de façon plus implicite dans la Torah ou Pentateuque. Ce phénomène intéresse donc aussi bien les juifs que plus tard les musulmans. Tandis que les deux grandes religions d'Asie, l'hindouisme et le bouddhisme (qui est une spiritualité agnostique) n'y croient pas, mais prônent un principe fondateur et fondamental: la métempsycose, la renaissance des âmes dans un autre être vivant. Le phénomène est connu sous le nom de réincarnation ou de transmigration des âmes.

La résurrection, telle est qu'elle décrite dans la Bible, mais aussi dans le Nouveau Testament, depuis celle du fils de la veuve de Sarepta (I R 17-22) ou celui de la Sunamite (II R 4), jusqu'à la célèbre résurrection de Lazare par Jésus, voire jusqu'à sa propre résurrection, est un état qui doit conduire à une seconde mort, ou à tout le moins à une disparition, que nous l'appelions ascension comme pour le prophète Élie, emporté sur son char de feu ou pour Jésus, ou assomption ou dormition pour Myriam (ou Marie) la mère de Jésus. Mais Ezéchiel (chap. 37) a écrit la page la plus puissante de résurrection collective de toute la Bible (Nouveau Testament compris). Au siècle qui suit les exterminations et les génocides, qui ne se comparent à rien de ce que l'humanité avait connu, Ezéchiel avec tout son génie évoque pour nous la résurrection de monceaux d'ossements desséchés.

François Gachoud choisit de placer son discours sur le plan philosophique et avant tout phénoménologique.

Dès son chapitre 2, il écrit que «Dieu s'incarne et le but ultime de son incarnation, c'est la résurrection. L'incarnation n'est rien d'autre que la réalisation plénière de l'alliance» (p. 29). Il est certain que face à cette entrée en matière, un non-chrétien, même philosophe, a du mal à suivre l'auteur, malgré sa tentative louable de vouloir approcher la question avant tout sur le plan phénoménologique, qui n'est pourtant jamais loin, ici, du substrat théologique.

Philosophe et chrétien affirmé, François Gachoud veut malgré tout que son livre soit lu comme un «essai philosophique», comme il le sous-titre, et non pas comme un essai théologique, et cela n'est pas sans surprendre le lecteur philosophe qui y voit un discours essentiellement théologico-philosophique.

Levinas, qui était philosophe et penseur juif, préférait "entendre un Dieu non contaminé par l'être" (2), tout autant capable de sauver l'humanité que le Dieu chrétien. Mais le Christ est précisément pour ceux-ci un Dieu-homme qui a choisi la contamination par l'être pour sauver l'humain par sa mort. L'événement au cœur de la recherche philosophique conduite par Gachoud, n'est autre que la résurrection de Jésus le Christ, mais face à un pareil non-événement historique, à jamais de l'ordre de la foi, donc improuvable, il ne reste au philosophe non pas tant le chemin de la phénoménologie que celui de l'herméneutique, du témoignage. Comment concilier alors sur le plan spéculatif, un récit construit entre phénoménologie et foi en la résurrection, au risque d'opérer un dédire dans le dire, tant ces deux termes paraissent tout à fait contradictoire, antinomiques?

Avant de consacrer de nombreuses pages à la philosophie de Michel Henry, à partir de laquelle F. Gachoud a construit sa problématique, il cherche à répondre à la question de savoir comment la phénoménologie est «apparue comme le lieu par excellence de la manifestation de l'être, comment y a-t-il eu, autrement dit, préséance de la phénoménologie sur l'ontologie» (35). C'est donc sur la phénoménologie non intentionnelle de Michel Henry, qui n'a pourtant jamais proposé d'interprétation de la résurrection, que Gachoud argumente, analyse et se bat.

Pourquoi celui qui écrivit Incarnation - Une philosophie de la chair n'a-t-il jamais «développé une analyse phénoménologique spécifique de la résurrection?» interroge François Gachoud. Le silence d'Henry l'accule à nous proposer à la fin de son livre quelques réponses possibles.

À partir de l'herméneutique du témoignage dans sa confrontation au silence (ou au doute) d'Henry sur la résurrection, qui peut être compris comme la révolte irréductible, contre l'absurdité première qu'est la mort, la fin d'une subjectivité, François Gachoud développe toute une philosophie issue de la résurrection et qui fait du croyant un «être-contre-la-mort». Cette assurance de la résurrection peut être vue comme un cri, comme une révolte inversée contre la mort, mais non pas tant la seule mort corporelle que la mort de l'âme, du souffle de vie, qui, s'il a été donné une fois pour toutes à l'humain, l'a été pour l'éternité. Sinon pourquoi? Dans quel but?

C'est alors que nous voulons poser dans le débat la question cardinale édictée par George Steiner, juif agnostique ayant réfléchi à ces questions depuis plus d'un demi-siècle avec toute sa puissance spéculative, à savoir: la résurrection du Christ ne répond pas à la question du Golgotha et n'enlève pas son dard à la mort que les trépassés ont connue et que chacun d'entre nous connaîtra. Pour le penseur juif, l'un des derniers Maîtres du siècle passé, si une chose est sûre c'est que l'horreur du Golgotha «n'était pas rachetée [...] par le miracle présumé de la résurrection ou par une quelconque promesse de réparation céleste.» (3) Pour Steiner, la simple (si l'on peut dire) mort propre n'est pas l'unique question, il y a au-dessus la question du Golgotha et au-dessus encore la question de la Shoah.

Disons pour terminer que ce livre de François Gachoud est un cri d'espérance, qui, s'il ne prouve rien dans l'ordre philosophique aux non-chrétiens, redit à force d'arguments que non, la vie ne peut pas s'arrêter avec la mort.

(1) Cerf, 200 p.

(2) Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, "biblio essais", Livre de Poche, LGF, p. 10.

(3) Errata, trad. de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, Folio, p. 222.

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