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Les Sonates de Beethoven par Pollini

Ces Sonates sont une pure incarnation du génie beethovénien.
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Les Sonates pour piano de Ludwig van Beethoven (1770-1827) sont au nombre des chefs-d'œuvre universels avec le Clavier bien tempéré de Bach, les Impromptus de Schubert, les Nocturnes de Chopin, les Barcarolles de Fauré...

Maurizio Pollini, né en 1942, donna à dix ans son premier récital à Milan. En 1960, il reçut le premier prix au concours international Chopin de Varsovie. Deux ans plus tard, il bénéficia des master classes d'un géant du piano, Arturo Benedetti Michelangeli. Très vite, il s'imposa aux grands chefs ; Sergiv Celibidache, Karl Böhm, Karajan, Abbado, Seiji Ozawa, comme aux plus grands interprètes: Fischer-Diskau pour le Winterreise de Schubert ou Rostropovitch, avec qui il joua les Sonates pour violoncelle et piano.

Son catalogue est impressionnant. En 1987, il interpréta à New York avec le Vienna Philharmonic et Abbado les cinq Concertos pour piano et orchestre de Beethoven. Le critique allemand Joachim Kaiser s'exclama en 1979: "Chaque nouvel enregistrement de Pollini est une joie. Ses disques sont les dimanches de notre vie musicale". À la veille de son soixantième anniversaire, fin 2001, la Deutsche Grammophon publia l'édition Maurizio Pollini (13 Cd's). Son répertoire s'étend de Bach à deux oeuvres composées pour lui: Sofferte onde serene de Nono et de Masse, et Omaggio a Edgar Varèse de Manzoni.

Aujourd'hui, la Deusche Grammophon (Universal classic) publie son intégrale des Sonates pour piano de Beethoven, qu'il a enregistrée sur des décennies. Coffret d'exception !

Serait-ce malgré lui que Pollini est devenu unanimement célébré, lui qui se montra opposé aux musiciens classiques qui jouaient à devenir des pop stars?

"Les musiciens classiques ne devraient pas être des figures de carton-pâte pour la society", disait-il à la veille de l'an 2000 au magazine Profil. Il est vrai que le phénomène amplifié depuis deux ou trois décennies a pris des proportions exacerbées dont vivent les maisons de disques même si les chiffres de vente ont chuté, et bien sûr les super stars du classique.

C'est donc avec les Sonates pour piano (8 CDs) que Pollini nous arrive aujourd'hui pour notre grand bonheur musical. Cette intégrale composée sur près de quarante ans est -même si l'on se méfie du mot si galvaudé- bouleversante ou si l'on préfère : monumentale. Ces Sonates sont une pure incarnation du génie beethovénien.

Peut-on ajouter quelque chose qui vaille sur un pareil chef-d'œuvre et une pareille interprétation? Quelque chose qui vaille aussi bien pour notre vieille Europe que pour le Nouveau Monde qu'est le Canada et en particulier le Québec?

Vingt-huit sonates depuis l'op. 2 n°1 jusqu'aux quatre dernières - l'op. 101, 106, 109, 110 et 111, qui constituent l'acumen du génie, le sommet de la compassion par la musique autant que l'un des sommets de l'art atteint par ce "sourd qui entendait l'infini", pour emprunter à Victor Hugo sa si célèbre parole? Il ajoutait: "La gamme va de l'illusion au désespoir, de la naïveté à la fatalité, de l'innocence à l'épouvante" (in Shakespeare, Flammarion, "Nouvelle Bibliothèque romantique", 1973, pp. 479-480). Au 20e siècle, quel autre écrivain que Romain Rolland consacra à Beethoven une œuvre littéraire dans le domaine français?

Ses Sonates marquent une césure dans l'histoire de la musique et s'imbriquent - comme les neuf Symphonies - dans l'histoire de l'Europe. Il y a la "Pathétique" op. 13, l'opus 26 en la bémol Majeur avec sa "Marche funèbre pour la mort d'un héros" qui préfigure la majestueuse "Marche funèbre" de la 3e Symphonie, dite "Héroïque", la célébrissime sonata quasi una fantasia en ut mineur op. 27 n°2, improprement nommée Au clair de lune, puis l'opus 31 avec ses trois sonates toutes dédiées à la comtesse von Browne, qui comprend en particulier la sublime n°17, improprement surnommée "la tempête". Mais Beethoven n'est pas satisfait de lui, il veut "emprunter un nouveau chemin" confia-t-il à Czerny, rompant avec la forme trine (trois mouvements) adoptée par Mozart et poursuivie par Haydn. Nous sommes en 1802 et la surdité de Beethoven s'aggrave encore.

Pollini incarne dans cette intégrale les inventions stylistiques les plus audacieuses du compositeur et sa connaissance de la musique contemporaine lui permet de comprendre une part essentielle de l'intériorité de cette intrépide modernité beethovénienne. Son jeu est à la fois noble, ample et comme saisi par l'humilité qu'il rend par une finesse extrême, proche de la douceur, puis par sa façon d'appréhender le souffle, la puissance incomparable du génie viennois.

Un dernier mot sur les dernières sonates. Il composa l'opus 101 en 1816, l'op. 109 en 1820, acheva l'op. 110 le 25 décembre 1821 et l'ultime op. 111 en janvier 1822. Par elles, Beethoven révolutionna la forme sonate. Quand il composa l'op. 101, il accompagna chaque mouvement d'une annotation. Pour le premier mouvement, il précisa donc : "Avec le sentiment le plus intime". Il est alors totalement sourd, son frère Carl vient de mourir et une affligeante bataille autour de son fils Karl va opposer violemment Beethoven à sa belle-sœur, mais rien apparemment ne transparaît dans son génie créateur.

L'ultime 32e sonate, op. 111, s'ouvre - comme la 5e Symphonie, comme la sonate n°14, opus 27 n°2 ("au clair de lune") - par trois accords qui frappent le piano comme les trois coups du destin. Deux mouvements la composent, Maestoso - Allegro con brio ed appassionato et l'Arietta: Adagio molto semplice cantabile , où Beethoven annonce par une rupture de rythme unique dans toute son œuvre, l'invention du jazz. Pollini nous la restitue dans toute sa fougue hallucinante. La montée en puissance de la composition parvient à ces portées ascensionnelles où l'auditeur est comme pétrifié par le génie visionnaire de Beethoven qui se fait précurseur du blues, précurseur du jazz. L'Arietta achève la 32e sonate par une gamme épurée jusqu'au sublime. Pollini touche là au zénith de son art.

En ce dernier jour de l'année 2014, il nous reste encore des archipels préservés du génie humain. Il nous faut nous y accrocher pour ne pas sombrer dans ces temps aspirés si souvent par le désespoir, par la haine de l'autre, par le tragique, par l'absence de tout repère durable.

Dans ces trente-deux sonates pour piano, Ludwig van Beethoven a parcouru l'ensemble du désespoir qu'un homme, qu'un musicien devenu totalement sourd, a pu connaître, celui aussi d'un homme qui ne fut jamais aimé d'amour en retour par l'une des ces femmes à qui il dédia d'aussi sublimes œuvres. Pourtant, traversant de tels tréfonds de malheur, il a livré à l'humanité pour les siècles, ces témoins de ce qu'a pu créer un homme débordant à la fois de génie musical et de compassion pour l'humanité. Il suffit qu'un très grand pianiste, Maurizio Pollini, nous les restitue après tant d'autres et avant tant d'autres, pour qu'une immense gratitude nous saisisse.

M. de Saint-Cheron est philosophe des religions, dernière publication, Du juste au saint. Ricoeur, Levinas, Rosenzweig (DDB, 2013).

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