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Des Afghans sont condamnés à mourir, faute de pouvoir se réfugier dans un pays sûr

L'offensive printanière des Talibans, qui s'est soldée par la mort de 64 personnes en majorité civiles mardi dernier, a confirmé ce que les Afghans savaient déjà: leur gouvernement est dysfonctionnel et incapable de les protéger.
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La journaliste et ex-otage canadienne Melissa Fung en compagnie du directeur national de la sécurité afghane Amrullah Saleh, qui a obtenu sa libération le 8 novembre 2008. (Photo : DNS/Reuters)

Il y a deux ans, la Direction nationale de la sécurité afghane (DNS) a sauvé ma vie. Son directeur de l'époque, Amrullah Saleh, est parvenu à me faire libérer en orchestrant un échange de prisonniers. J'étais otage d'une bande de criminels qui menaçaient de me vendre aux Talibans, mais Saleh a découvert qui ils étaient et a fait arrêter la mère de leur chef.

Je serai à jamais redevable envers ce jeune homme à l'intelligence remarquable. Si l'Afghanistan avait des politiciens de cette trempe, je crois que l'avenir du pays serait entre de bonnes mains.

Quelques années plus tard, Saleh a été congédié par le président Hamid Karzai après qu'une attaque à la roquette ait menacé la Loya jirga (Grande assemblée) à laquelle ce dernier participait. En décembre 2015, le successeur de Saleh, Rahmatullah Nabil, a démissionné en étalant sur la place publique ses désaccords avec le président actuel Ashraf Ghani.

Il faut préciser que Ghani s'est rendu au Pakistan pour tenter de négocier la paix avec les Talibans. Or, comme bon nombre de ses concitoyens, Nabil croit que ce pays est la source du problème, puisqu'il fournit aux Talibans toute l'aide et l'espace dont ils ont besoin pour planifier leurs attaques.

Cinq mois se sont écoulés et la DNS n'a toujours pas de directeur. Le président Ghani et le chef de l'exécutif Abdullah Abdullah n'ont pas réussi à s'entendre sur un candidat (ni quelque autre sujet que ce soit, par ailleurs).

Des policiers afghans montent la garde devant le siège de la Direction nationale de la sécurité, qui a été la cible d'un attentat le 19 avril 2016. (Photo : Haroon Sabawoon/Anadolu Agency/Getty Images)

L'offensive printanière des Talibans, qui s'est soldée par la mort de 64 personnes en majorité civiles mardi dernier, a confirmé ce que les Afghans savaient déjà: leur gouvernement est dysfonctionnel et incapable de les protéger.

«Ce gouvernement est faible», affirme Fawzia Koofi, une députée afghane avec qui j'entretiens un lien d'amitié. «Il n'a aucun sens de l'initiative, et la population se sent laissée à elle-même.»

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les Afghans soient aussi nombreux à tenter de fuir le pays.

Lors de ma plus récente visite, au mois de novembre, le général Sayed Omar Saboor m'a confirmé que 1 500 personnes par jour font une demande de passeport dans ce but exprès.

Environ 150 000 citoyens afghans ont quitté leur pays durant la seule année 2015, et la plupart ont dû payer des passeurs pour atteindre l'Europe contre vents et marées. Ceux que j'ai interrogés au bureau des passeports m'ont tous répondu la même chose: le pays n'est pas sécuritaire et le gouvernement n'est pas en mesure de protéger la population contre les Talibans.

«Les habitants de Kunduz sont condamnés à mourir, c'est horrible»

- Marzia Rustami, militante pour les droits de la femme

Le site The Long War Journal a récemment estimé que les zones contrôlées par les Talibans - ou disputées par ceux-ci - couvrent près d'un cinquième du territoire national. Les forces armées ont atteint la limite de leurs capacités et subissent de lourdes pertes. Lorsque Kunduz a été occupée en octobre, les Talibans ont fouillé un logement après l'autre à la recherche de politiciens, de journalistes et de militantes féministes. La ville a momentanément renoué avec les sombres années 1990.

Ces dernières semaines, les Talibans ont repris leur offensive en périphérie de Kunduz, et les résidents de la ville se préparent au pire. «Ils sont là, juste à l'extérieur», m'a confirmé Marzia Rustami cette semaine. «Les habitants de Kunduz sont condamnés à mourir, c'est absolument horrible.»

Cette militante féministe en sait quelque chose, puisque son nom figurait sur la liste noire des Talibans lorsque ceux-ci ont occupé la ville.

Après avoir trouvé refuge à Kaboul, Marzia Rustami est revenue chez elle lorsque les forces armées ont repris le contrôle. Or, la situation demeure précaire dans la ville de Kunduz elle-même, ainsi que dans toute la province du même nom.

«C'est ici que vivent les membres de ma famille et mes collègues. Je n'ai nulle part où aller», m'a-t-elle confié lorsque je lui ai demandé pourquoi elle ne repartait pas dès maintenant.

Un parent pleure une victime de l'attentat au camion piégé perpétré par les Talibans le 19 avril 2016. (Photo : Shah Marai/AFP/Getty Images)

À l'instar de Mme Rustami, les Afghans en quête d'un lieu sûr sont nombreux à ne plus savoir où aller. Plusieurs gouvernements européens, débordés par l'afflux de réfugiés syriens, ont décrété que l'Afghanistan et sa capitale sont assez sécuritaires pour y renvoyer les demandeurs d'asile.

La Macédoine, la Croatie et la Serbie font clairement savoir aux ressortissants afghans qu'ils ne sont pas les bienvenus, tandis que l'Allemagne et le Royaume-Uni les déportent à Kaboul, même si l'ONU dénote que les civils y sont de plus en plus à risque. De fait, un nombre record de 3 500 Afghans ont été tués en 2015, alors que le nombre de blessés s'élève à 7 500.

Un bilan macabre

L'attentat du 19 avril va certainement alourdir ce bilan macabre, et l'offensive printanière des Talibans ne fait que commencer. Quatorze ans après l'intervention des États-Unis et de ses alliés, personne ne veut admettre que l'Afghanistan est un État défaillant, ce qui explique pourquoi personne ne veut accueillir ses réfugiés.

Les perspectives de paix apparaissent de plus en plus lointaines. Les Talibans manifestent peu d'intérêt envers la solution négociée du président Ghani et semblent même sur le point de déclarer une guerre totale. À moins d'une réduction notable des hostilités, les Afghans ont toutes les raisons de vouloir échapper à une mort de plus en plus probable.

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés définit ceux-ci comme «toute personne qui, craignant d'être persécutée [...], se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays». Voilà qui résume bien la situation actuelle.

L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés va plus loin: si des pays sûrs refusent de les accueillir et de leur offrir de l'aide, «cela équivaut à les condamner à mort».

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