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Cessons de normaliser l'autiste, normalisons plutôt l'autisme

Si le cerveau des autistes se développe de manière différente et ne comporte pas de lésions, pourquoi continuons-nous de recommander des thérapies comportementales intensives basées sur un modèle social déficitaire de l'autisme?
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Le cerveau autistique fonctionne différemment du cerveau des neurotypiques. Il y a plusieurs différences cérébrales notables, observables par le biais de l'imagerie par résonnance magnétique (IRM). Le cerveau des autistes n'est pas endommagé. Il comporte des différences de proportions des composantes cérébrales. Un cervelet plus petit ou encore un ventricule gauche plus allongé par exemple. Les circuits faisant les différentes connexions et interactions neuronales ne sont pas endommagés. Ils sont simplement développés différemment par rapport à la moyenne.

Le cerveau autistique est distinct.

Avoir un cerveau différent pour un autiste engendre des défis entre autres au niveau des habiletés sociales. Cependant, la capacité perceptive est plus élevée chez les autistes. Ils utilisent une plus grande zone de leur cerveau pour certains de ces domaines perceptifs. Les régions temporales et occipitales du cerveau des autistes s'activent plus que la moyenne. Cette réorganisation corticale favorise les zones d'expertises et la supériorité du traitement de l'information perceptive, de l'apprentissage, de la mémoire et du raisonnement.

En d'autres mots, le cerveau des non-autistes est conçu pour avoir des habiletés sociales et le cerveau des autistes est conçu pour avoir des aptitudes perceptives.

Depuis 2003, au Québec, on recommande aux parents venant de recevoir un diagnostic d'autisme pour leur enfant, d'entreprendre une intervention comportementale intensive (ICI) d'environ 20 h par semaine. Ces interventions visent les jeunes enfants autistes de moins de 5 ans. L'objectif premier de l'ICI est de rendre l'enfant «moins autiste» en modifiant ses comportements. Selon le principe de l'ICI, «le plus tôt, le mieux», il faut intervenir rapidement afin que le cerveau de l'enfant reprenne son cours normal de développement.

L'autisme étant considéré comme un trouble du cerveau, le but de l'intervention est de modifier les circuits cérébraux avant que les séquelles neurologiques deviennent permanentes. Selon le principe «le plus, le mieux», il est recommandé de suivre une intervention intensive pouvant aller jusqu'à 40 h par semaine. Cette intensité repose sur la répétition des apprentissages que l'on souhaite faire maîtriser à l'enfant autiste, le tout basé sur le modèle social neurotypique actuelle.

On cherche à rendre l'enfant autiste plus social. Pourtant, il n'y a aucun déficit social chez les autistes. Leur socialisation est normale, c'est-à-dire qu'ils démontrent de l'empathie, de la considération pour les humains, un attachement à leurs semblables, mais les indices sociaux visibles sont différents et le trajet développemental est aussi distinct. On cherche à modifier les comportements jugés problématiques. Pourtant, à l'exception de certains rares cas potentiellement dangereux, ces comportements sont normaux selon la neurologie autistique. Les comportements répétitifs et les intérêts dits restreints sont un mode d'exploration et d'apprentissage pour les autistes.

«Notre société préfère l'uniformité plutôt que l'originalité. On préfère faire entrer chaque individu dans une petite fente. La fente de ladite normalité.»

Les ICI briment le développement de l'intelligence naturelle et briment le plein potentiel de l'enfant autiste.

On tente de faire acquérir des compétences à l'enfant autiste ou à lui faire rattraper son dit retard sans tenir compte que le développement d'un enfant autiste diffère totalement de celui d'un enfant typique. L'enfant autiste n'est pas en retard pas plus que ses capacités sont déficitaires. Les aptitudes s'expriment à un autre moment ou de manière différente.

Si le cerveau des autistes se développe de manière différente et ne comporte pas de lésions, pourquoi continuons-nous de recommander des thérapies comportementales intensives basées sur un modèle social déficitaire de l'autisme?

Comme le souligne le Dr Mottron, «l'intervention précoce en matière d'habiletés sociales et de langage chez les autistes n'a pas donné de résultats concluants.» Lorsqu'on utilise ces méthodes, «c'est comme si on criait à un sourd congénital, au lieu de l'aider avec le langage des signes.»

Cette comparaison vaut mille mots. Jamais on ne songerait à aider un sourd en lui criant après. Cela n'a aucun sens. Mais, en aidant un sourd avec le langage des signes, nous l'aidons à grandir, à interagir avec son environnement, à développer sa personnalité et à développer son plein potentiel. Nous acceptons sa difficulté, la surdité, et nous l'aidons avec des outils adaptés pour lui.

Par équivalence aux personnes sourdes à qui on enseigne le langage des signes, il serait préférable d'offrir des outils d'aide similaires pour les autistes. Selon le Dr Mottron, ces outils pourraient être de «favoriser l'accès au code écrit du fait de leur intérêt perceptif pour le matériel imprimé.»

Notre société préfère l'uniformité plutôt que l'originalité. On préfère faire entrer chaque individu dans une petite fente. La fente de ladite normalité. Une fente qui moule chaque individu unique afin qu'il devienne identique à ses semblables. On préfère normaliser l'énigmatique personne autiste plutôt que de viser son épanouissement.

Nous demandons à un autiste d'effacer sa personnalité. De ne pas être qui il est afin de ne pas déplaire à la société. Au prix de quoi? D'une souffrance énorme pour l'autiste et son entourage. Et au prix d'une standardisation sociale. Pourtant, une société a tout à gagner avec la diversification de ses individus. Une société a besoin de tolérance. Une société a besoin de visionnaires. Une société a besoin de gens qui amènent des idées nouvelles, de gens qui agissent différemment de la norme pour évoluer.

Plutôt que d'investir temps et argent pour tenter de mouler un individu autiste, il serait peut-être préférable de concentrer nos énergies en aidant les parents à vivre avec un enfant autiste, en leur donnant des outils, de l'information sur ce qu'est vraiment l'autisme. Il serait préférable d'aider les adultes autistes en acceptant qui ils sont. Le tout, sans vouloir changer leur nature profonde. Il serait plus judicieux d'offrir aux autistes et à leur entourage des outils pédagogiques meilleurs afin de mettre en valeur leur potentiel.

Nous devons oublier tous les barèmes standards de développement d'un enfant. Nous devrions favoriser les périodes d'exploration libre plutôt que contrôler les activités de l'enfant autiste. Nous devrions nous intéresser à leurs intérêts spéciaux en nous incluant de manière parallèle, et non intrusive, à leur jeu, même si celui-ci ne fait pas de sens pour vous. Nous ne devrions pas chercher d'interactions sociales spontanées ou d'indices sociaux typiques. Nous pouvons alimenter ses apprentissages en imitant et en complexifiant son jeu à côté de lui et non avec lui directement dans une relation de réciprocité émotionnelle et sociale. En silence, l'enfant autiste observe et apprend.

Avoir un cerveau différent amène forcément une autre forme d'intelligence. Avec son lot de défis et son lot de réussites. Plus nous parlerons du spectre autistique et de la neurodiversité moins il y aura de jugements, d'idées préconçues et de discrimination.

Nous ne devons plus normaliser un autiste. Nous devons normaliser l'autisme!

Mélanie Ouimet est la fondatrice du mouvement deLa Neurodiversité - L'autisme et les autres formes d'intelligence autistes qui milite en faveur de la reconnaissance positive de l'autisme.

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