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Loi 99: au-delà de la mort constitutionnelle du Québec

Keith Henderson et Ottawa ont voulu jouer la carte de l'intimidation judiciaire. C'est leur choix. À ce stade, défendre et faire valoir nos droits et nos intérêts nationaux les plus élémentaires, c'est simplement faire preuve de bon sens et de dignité. C'est donner signe de vie.
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Stéphane Beaulac réagissait au lancement, le 17 janvier dernier, d'une importante pétition exigeant du gouvernement canadien qu'il s'abstienne de participer au procès censé débuter au mois de mars prochain. Adressée à la Chambre des Communes, cette pétition réitère la volonté unanime de notre Assemblée nationale, telle que révélée en 2013 dans une résolution au même effet. Pour en savoir davantage sur cette campagne citoyenne et pour signer la pétition, consultez le site Loi99.com.

Depuis lors, comme le veut - hélas! - la coutume en ce pays, le Canada a préféré faire fi du message pourtant clair et unitaire exprimé par les parlementaires québécois... D'où la nécessité, en pareilles circonstances, de monter graduellement le ton. Question de dignité, la pétition parrainée par le député fédéral de Terrebonne, Michel Boudrias, se veut une manière de signifier à Ottawa qu'il y a des limites à cracher au visage des Québécoises et Québécois. Faisant d'une pierre deux coups, elle permet également de faire oeuvre d'un peu de pédagogie politique en ce 150e du Dominion...

Car, plus ça change, plus c'est pareil.

Aujourd'hui comme depuis 1867, le Canada est toujours demeuré allergique à la simple idée qu'il existât ici un peuple nommé Québec. Pourtant, comme l'a déjà vigoureusement clamé Jean-François Lisée, «on existe, on existe!»... N'est-ce pas «extraordinairement perceptible»?, dirait René Lévesque.

Bien évidemment que le peuple québécois existe! Dans les faits, du moins. Mais en droit?

Même à Ottawa, il arrive qu'on se résigne, le plus souvent par lassitude ou du bout des lèvres, à admettre l'évidence... Cependant, lorsqu'il s'agit de traduire cette évidence en droit(s), c'est une toute autre histoire.

Depuis les débuts de la Confédération, les innombrables rondes de tournage en rond constitutionnel ne manquent pas de nous le rappeler. Sans compter le coup d'État de 1982, les échecs lamentables de Meech et Charlottetown, et moultes autres frustrations essuyées notamment à la Cour suprême.

Autant d'événements qui achevèrent de désillusionner ceux qui, dans la «belle province», entretenaient encore jusqu'à récemment «une certaine idée» québécoise du Canada. Le biculturalisme, les deux peuples fondateurs, le droit de véto, les «sièges-en-jeu-pour-du-changement», l'espoir de la reconnaissance d'un statut particulier pour le Québec, la société distincte, l'aspiration pan-canadianiste à la Henri Bourassa, le confédéralisme, le bilinguisme coast-to-coast, et j'en passe...

Autant le dire. Tout cela est mort. Mort et enterré. «Eliminado, terminado, finito, kaput», pour citer Stéphane Dion à la veille de sa grande débarque...

Le peu d'espoir constitutionnel qui, d'aventure, oserait encore gigoter, dégage une drôle d'odeur de putréfaction sur des kilomètres à la ronde. Mais, apparemment, la mort constitutionnelle du Québec ne suffisait pas à satisfaire les ambitions ténébreuses de certains fanatiques du Canada. Il leur fallait finir la «job de bras», pour reprendre l'expression du professeur Beaulac, en s'acharnant sur le restant de dignité juridique que peut encore invoquer le peuple québécois : la Loi 99.

***

Contrairement à ce qu'affirme monsieur Beaulac, il n'y a pas que des «souverainistes» qui prennent part à la campagne de pétition évoquée précédemment, laquelle se veut ouvertement transpartisane. D'ailleurs, même la Coalition avenir Québec y adhère, sans oublier le très vénérable Jean Allaire qui a tenu à être sur scène et à prendre la parole lors du lancement. Au fait, on peut trouver ici un extrait de son discours éloquent et sans ambiguïté. Quant au gouvernement Couillard, même s'il a préféré ne pas s'y associer directement, celui-ci n'a toutefois pas tardé à rappeler le lendemain au fédéral que le Québec forme une nation.

D'autre part, soit dit avec égards, on ne saurait banaliser ce qui se passe en ce moment devant les tribunaux. Outre qu'il nie explicitement l'existence du peuple québécois, le requérant Keith Henderson, ancien chef du Parti Égalité, et la Procureure générale du Canada cherchent à neutraliser les dispositions de la Loi 99 mettant en oeuvre les droits universels à l'autodétermination dont le peuple québécois est «titulaire» au sens de l'article premier de la Loi 99, lui-même attaqué. On entend notamment faire le procès du droit «inaliénable» du peuple québécois de «choisir», tout simplement, «le régime politique et le statut juridique du Québec» et de «déterminer seul, par l'intermédiaire des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités d'exercice» pour ce faire (articles 2 et 3 de la Loi 99, eux aussi en proie à l'invalidation).

Par ailleurs, même s'il n'existe aucun droit absolu à l'indépendance dans la constitution canadienne, à tout le moins peut-on arguer que la Loi 99 articule et sauvegarde validement les modalités d'exercice par le Québec de son droit constitutionnel de «chercher à réaliser la sécession». Reconnu par la Cour suprême au paragraphe 92 de son Avis de 1998 sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec, le droit du Québec de chercher à faire la sécession se veut le corolaire de l'obligation de négocier de bonne foi incombant à tous les acteurs politiques au Canada, au sortir d'un exercice démocratique où l'option indépendantiste obtiendrait la faveur populaire.

Sans ce recours juridique à la rupture, les négociations seraient d'avance vouées à l'échec, faute d'équilibrage adéquat des forces en présence. Ironiquement, telle situation pourrait précipiter une déclaration unilatérale d'indépendance de la part du Québec, éventualité politique à laquelle la Cour suprême, en introduisant en droit interne un processus légal de sécession, a justement voulu remédier.

Ainsi, dans la mesure où ce droit de chercher à réaliser la sécession existe, rien n'empêche le Québec d'indiquer dans quelles conditions et en vertu de quels principes il l'exercera. En l'occurrence, la Loi 99 nous apprend que le Québec se sentira à l'aise de se réserver ou de mettre en oeuvre ce droit, notamment dans le cas d'une victoire référendaire de 50% + un vote en faveur du OUI, cela dans le respect de la Loi sur la consultation populaire (article 4 de la Loi 99, contesté par Henderson). Également, dans cette quête, le Québec se conduira en appuyant son action sur différents principes comme l'égalité de droits entre les peuples, le droit du peuple québécois à disposer de lui-même (article 1, contesté), son droit de "choisir" librement le régime politique et le statut juridique du Québec (article 2, contesté), la légitimité démocratique (article 5, contesté), la souveraineté de l'Assemblée nationale (article 13, contesté), etc. Ces mêmes principes orienteront aussi la manière dont le gouvernement québécois négociera avec les autres acteurs politiques au Canada, le cas échéant.

Contrairement à la Loi fédérale sur la clarté de Dion, qui abuse clairement des conclusions du Renvoi sur la sécession, la Loi 99 donne, elle, validement effet à l'exigence qualitative de clarté formulée par la Cour suprême, en réaffirmant que la règle universelle du 50% + 1 s'applique pour déterminer l'option gagnante d'un référendum, considérant par ailleurs les garanties appréciables de la Loi québécoise sur la consultation populaire (article 4 de la Loi 99, contesté), laquelle permet de satisfaire à des hauts standards de «clarté» démocratique.

Enfin, au-delà des avocasseries, je ne saurais concevoir que personne au Québec ne réagisse lorsqu'une loi aussi fondamentale que la Loi 99 est attaquée par les forces canadianistes. Dans ce dossier, c'est le Canada qui cherche encore à piéger le Québec, à l'empêtrer davantage dans son carcan, et non le contraire. Les Québécois et les Québécoises, eux, n'ont rien demandé d'autres que de vaquer à leurs affaires, - certains diraient leurs «vraies affaires»...

Henderson et Ottawa ont voulu jouer la carte de l'intimidation judiciaire. C'est leur choix. À ce stade, défendre et faire valoir nos droits et nos intérêts nationaux les plus élémentaires, c'est simplement faire preuve de bon sens et de dignité. C'est donner signe de vie. Surtout, c'est laisser entrevoir qu'après la mort constitutionnelle infligée à petites doses par Ottawa, il existe un au-delà pour le peuple québécois.

Note : le 31 janvier dès 11h30 à l'auditorium B-4345 du pavillon Jean-Brillant de l'Université de Montréal (3200, rue Jean-Brillant), je donnerai une conférence sur l'affaire de la Loi 99. Cet événement s'inscrit dans le cadre de la Semaine de la Souveraineté, organisée par le Mouvement des étudiants-tes souverainistes de l'UdeM.

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