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Un gouvernement de trop? Recettes et dépenses d'un Québec indépendant

RÉTRO 2013 - Lancé l'année dernière au milieu du «printemps érable», le livrede Stéphane Gobeil n'a pas reçu l'attention qu'il méritait. Gobeil, un conseiller au cabinet de l'actuelle première ministre et ex-employé du Bloc québécois, a épluché les comptes publics fédéraux afin de déterminer la part que reçoit le Québec du gouvernement fédéral, et surtout pour estimer les économies que pourrait réaliser un Québec indépendant en coupant les dédoublements administratifs. Sa conclusion: un Québec indépendant aurait économisé 7,5 milliards de dollars pour l'année fiscale 2009-2010 en dédoublements administratifs et en programmes qui ne servent pas - ou peu - le Québec.
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Lancé l'année dernière, au milieu du «printemps érable», le livre Un gouvernement de trop de Stéphane Gobeil n'a pas reçu l'attention qu'il méritait. Gobeil, un conseiller au cabinet de l'actuelle première ministre et ex-employé du Bloc québécois, a épluché les comptes publics fédéraux afin de déterminer la part que reçoit le Québec du gouvernement fédéral, et surtout pour estimer les économies que pourrait réaliser un Québec indépendant en coupant les dédoublements administratifs.

Il a utilisé l'hypothèse qu'un Québec indépendant offrirait exactement les mêmes services que le gouvernement canadien, payerait sa part de la dette fédérale et offrirait les mêmes services que le gouvernement provincial pour 2009-2010, le tout sans aucun transfert du gouvernement canadien (bien entendu).

Sa conclusion: un Québec indépendant aurait économisé 7,5 milliards de dollars pour l'année fiscale 2009-2010 en dédoublements administratifs et en programmes qui ne servent pas - ou peu - le Québec. En calculant ce que perdrait le Québec (péréquation, transferts en santé, etc.) et ce qu'il devrait payer, Gobeil arrive à la conclusion qu'un Québec indépendant dégagerait une marge de manœuvre additionnelle de 2 milliards de dollars pour l'année fiscale 2009-2010. Rappelons-nous que le déficit du Québec pour 2009-2010 était de 3,2 milliards de dollars, alors que le déficit fédéral était de 55,6 milliards de dollars pour la même période (pour 2010-2011, le déficit fédéral était de 33,4 milliards de dollars, tandis que le Québec affichait un déficit de 3,2 milliards encore une fois - bien que nous savons maintenant que le montant déclaré sous-estimait le déficit réel.

Recettes de l'administration fédérale

Évidemment, tout ceci peut sembler irréaliste. Le fait que Stéphane Gobeil soit clairement indépendantiste n'aide en rien à diminuer la méfiance de ses détracteurs. Comment, en pleine crise économique, le Québec aurait-il pu économiser autant s'il était indépendant? En regardant les chiffres publiés par Statistique Canada, on dirait plutôt que la situation est catastrophique depuis 2008. J'ai compilé quelques données obtenues de Statistique Canada. Notez que les données pour les années 2010, 2011 et 2012 n'ont toujours pas été publiées par Statistique Canada. Voyons tout d'abord les recettes du gouvernement fédéral et la part des provinces dans ces recettes :

En incluant les impôts, les taxes et autres revenus, le Québec avait contribué aux recettes fédérales à hauteur de 39,7 milliards de dollars en 2009 sur un total canadien de 216 milliards - soit 18,4 % du total canadien. Difficile d'expliquer la baisse marquée des recettes provenant du Québec comparativement aux années antérieures, mais la crise économique et la réduction de la TPS de deux points de pourcentage pourraient expliquer cette diminution. Pour ceux qui se disent que l'Alberta verse plus que le Québec, notez que la province n'a versé que 16,7 % du total en 2009, soit 36 milliards. C'est l'Ontario qui représente, et de loin, la première source de recettes fédérales, avec 85,2 milliards (39,5 % du total). La quatrième province à verser le plus au gouvernement fédéral est la Colombie-Britannique, avec 27,2 milliards (12,6 %) alors que les six autres provinces versent, ensemble, 26,2 milliards (12,1 %).

Finalement, notons que pour 2010 (l'année étudiée par Stéphane Gobeil), l'Institut de la Statistique du Québec affiche que le Québec aurait versé 40,25 milliards de dollars au gouvernement fédéral.

Ajout du 7 mars 2013

Les données affichées par Statistique Canada et par l'ISQ sont composées de données exactes et d'estimations. Un employé de l'ISQ m'a récemment confirmé qu'ils n'ont aucun moyen d'obtenir l'ensemble des données exactes (voir mon billet du 25 mai 2013 pour cette réponse). Par conséquent, il faut traiter ces données avec prudence. Pour obtenir les données brutes, référez-vous aux Comptes publics du Canada.

Dépenses courantes de l'administration fédérale

Passons maintenant aux dépenses courantes de l'administration fédérale, la base de l'ouvrage à Stéphane Gobeil. Avant de présenter ses conclusions, voyons la situation générale présentée par Statistique Canada. Encore une fois, les données de 2010 manquent à l'appel, seules les données pour le Québec sont disponibles grâce à l'ISQ. Les données ci-dessous incluent également la part du service de la dette canadienne pour chaque province, simplement calculée en tenant compte de la population de chaque province. Par exemple, puisque le Québec représentait 23,2 % de la population canadienne en 2009, on attribue 23,2 % du service de la dette fédérale au Québec, soit plus de 6,2 milliards de dollars. Au niveau des services, le fédéral réalise essentiellement le même calcul. Par exemple, pour la défense, il attribuera 23,2 % des dépenses au Québec, peu importe si les dépenses réelles dans la province sont moindres, ce qui, comme nous le verrons plus tard avec l'ouvrage à Stéphane Gobeil, gonfle les dépenses réellement attribuées aux provinces.

Sauf l'Alberta, toutes les provinces envoyaient moins d'argent à Ottawa qu'elles en recevaient pour 2009. Par exemple, le Québec aurait reçu, selon Statistique Canada, 13,6 milliards de plus qu'il en a versés au gouvernement fédéral. La part des dépenses courantes au Québec représenterait donc 21,6 % du total canadien, soit moins que la part démographique du Québec, mais plus que son poids économique. Ce montant inclut l'ensemble des transferts fédéraux, incluant bien sûr la péréquation. Notons au passage que l'Alberta a contribué à hauteur de seulement 2,2 milliards de dollars au Fonds de la péréquation de 2009 (montant total de 13,5 milliards), soit moins que le Québec et l'Ontario - avec respectivement 2,5 et 5,3 milliards de dollars -, bien que l'Alberta n'ait pas reçu de chèque.

En excluant le service de la dette, le total des dépenses courantes pour le Québec serait plutôt de 47 milliards, ce qui donnerait un déficit de 7,4 milliards. Si les chiffres semblent effrayants, notons qu'une petite province comme le Manitoba affiche un déficit de 6,5 milliards entre les recettes et les dépenses courantes pour 2009! En 2010, l'année qui nous intéresse, le déficit au Québec serait de 17,8 milliards, alors que le Canada affichait un déficit record de 55,6 milliards. Bien entendu, en pleine crise économique, les déficits sont difficilement évitables, ce qui rend la comparaison avec les années «normales» difficile, voire impossible. C'est néanmoins dans ce contexte visiblement catastrophique pour le Québec que Stéphane Gobeil a décidé d'ouvrir les comptes publics afin d'examiner les dépenses réelles du gouvernement fédéral.

Un gouvernement de trop?

Revenons au livre de Stéphane Gobeil, Un gouvernement de trop: l'auteur est allé fouiller dans les comptes publics afin de vérifier, ligne par ligne, où allaient les dépenses du gouvernement fédéral. Il y découvre notamment une aide à l'industrie automobile ontarienne de 6,6 milliards de dollars. Il découvre également une hausse des transferts aux provinces de 10,5 milliards, alors que le Québec n'aurait reçu que 302 millions de cet énorme montant.

Autre exemple: la Commission canadienne de la sûreté nucléaire, avec des dépenses totales de 138 millions de dollars en 2009, aurait en réalité dépensé moins de 10 % de son budget pour le Québec étant donné que le Québec possède moins de 6 % des centrales de production. On découvre aussi que le ministère des Ressources humaines et Développement des compétences dépense seulement 12 % au Québec en achat de biens et de services sur un total de plus de 500 millions sur l'ensemble du Canada. Pour Pêche et Océan, on attribue 23,2 % des dépenses au Québec alors que l'industrie québécoise des pêches ne représente que 7,5 % du total canadien. On apprend même que des subventions sont incluses dans le portefeuille de certains ministères, comme un chèque de 108 millions à «L'initiative de revitalisation du secteur riverain de Toronto» par le ministère des Finances!

Résultat: on attribuerait 23,2 % des dépenses au Québec alors qu'en réalité, tant au niveau des services reçus que des dépenses réelles, le Québec ne reçoit pas sa juste part dans la plupart des cas, et ce malgré l'explosion des dépenses (30 milliards de déficit en 2009 et 55 milliards en 2010). Et on ne parle pas ici des contrats pour la construction de navires pour la Marine Royale Canadienne: 33 milliards pour construire des bateaux à Halifax et à Vancouver alors que le Québec ne recevra absolument rien. Idem pour le plan d'achat des F-35, qui, si le gouvernement va de l'avant, coûterait jusqu'à 30 milliards alors que le gouvernement canadien évalue, avec l'habituel optimisme des partis au pouvoir, des retombées économiques de moins de 10 milliards pour l'ensemble du Canada (avec 55 % de l'industrie aéronautique, le Québec obtiendrait donc un maximum théorique d'environ 17 % des retombées alors qu'on lui attribuera 23,2 % des dépenses dans les statistiques officielles).

De plus, Gobeil, tout au long de son livre, fait remarquer au lecteur que le gouvernement du Québec s'en sort mieux économiquement que le gouvernement du Canada, notamment avec une dette proportionnellement moins élevée (service de la dette fédérale attribué au Québec pour 2009 de 6,23 milliards versus le service de la dette du gouvernement québécois pour 2009 de 6,1 milliards) et une explosion des dépenses (déficits de 55 milliards en 2010 pour le Canada contre 3 milliards pour le Québec et une dette brute de plus de 987 milliards pour le Canada contre une dette brute de 223 milliards pour le Québec).

En établissant la part réelle reçue par le Québec, les dépenses qu'il devrait assumer en étant indépendant (ambassades, pensions de vieillesse, etc.) et les économies en administration publique, Gobeil arrive donc à estimer que le Québec sauverait 2 milliards de dollars. Évidemment, comme il s'agit d'estimations, plusieurs pourraient être portés à critiquer certains chiffres. D'autres - comme moi d'ailleurs - pourraient critiquer le fait que l'auteur saute davantage aux conclusions qu'à la démonstration, ce qui rend la reproduction de son étude difficile à effectuer sans devoir refaire entièrement le travail effectué. À ma connaissance, le seul qui ait tenté de commenter l'étude fut le professeur Martin Coiteux, membre du think tank fédéraliste «L'Idée fédérale». Celui-ci, qui de son propre aveu n'a pas vérifié les comptes publics, croit que Gobeil sous-estime certains coûts qu'aurait à assumer un Québec indépendant, notamment en défense nationale (Gobeil estime que le Québec pourrait avoir une armée et une force aérienne au coût équivalent à 0,93 % du PIB québécois, ce que le professeur Coiteux croit impossible - notons au passage que le Canada dépensait pour 1,1 % de son PIB dans la défense en 2005 tout en étant engagé en Afghanistan et en ayant une coûteuse force navale, ce que le Québec n'aurait pas). La réponse du professeur Coiteux n'étant plus disponible, il faudra se contenter de la réponse de Gobeil à cette critique, toujours disponible sur le site de L'Actualité.

Évidemment, il est fort possible que Stéphane Gobeil ait surestimé ou sous-estimé certaines données. Pour le savoir, il faudrait que d'autres répètent l'exercice auquel il s'est livré. Malheureusement, peu disposent du temps nécessaire pour effectuer un travail aussi rigoureux. Néanmoins, d'autres études réalisées dans le passé arrivaient à des conclusions similaires à cette de Stéphane Gobeil. En 1994, Jacques Parizeau avait commandé au secrétariat à la Restructuration une étude sur les dépenses et recettes qu'apporterait l'indépendance. Cette étude arrivait à la conclusion qu'un Québec indépendant économiserait près de 3 milliards en 1995. Une mise à jour de la commission Bélanger-Campeau estimait en 2000 à 2,1 milliards les surplus d'un Québec indépendant. Puis mentionnons également le budget de l'an 1 de François Legault qui estimait qu'un Québec indépendant dégagerait plus de 5 milliards de dollars en surplus!

Bref, peu importe que ce soit 4 milliards de déficit (comme les données de Statistique Canada pour les années «normales» le laissent entendre - légèrement supérieur à 1 % du PIB du Québec) ou 5 milliards de surplus (comme l'étude de François Legault - encore une fois légèrement supérieur à 1 % du PIB du Québec), un fait s'impose: un Québec indépendant serait viable économiquement. Il serait intéressant -voire nécessaire - que d'autres, qu'ils soient souverainistes ou fédéralistes, refassent des études comme celle qu'a faite Stéphane Gobeil.

Comme le souligne à de multiples occasions l'auteur, tous les yeux du Québec sont tournés vers le gouvernement québécois alors que le gouvernement fédéral multiplie les gaspillages. D'ailleurs, n'est-il pas plutôt ridicule de constater que les premiers à décrier sur tous les toits la lourdeur bureaucratique de l'État québécois sont aussi les premiers à applaudir les politiques de l'actuel gouvernement conservateur?

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