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Anticosti, le vol du siècle?

Notez le manque de cohérence : ce même gouvernement dépense 200 millions pour un amphithéâtre à Québec malgré l'absence de garanties qu'il y aura une équipe d'hockey, mais refuse de payer 300 millions pour une réserve estimée, à l'époque, à plusieurs centaines de milliards de dollars.
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Ajout (31 juillet 2012): La compagnie Junex a répondu à ce billet de blogue. Vous pouvez lire leur texte ici.

Il y a tant de scandales au Québec depuis quelques années qu'aujourd'hui plus rien ne nous surprend. Lorsque la page frontispice d'un journal titre qu'un ministre libéral aurait distribué de juteux contrats à de généreux donateurs, nous ne prenons même plus la peine de lire l'article tant ceci semble banal, voire normal. Malgré tous ces présumés scandales, il y a lieu de se poser de sérieuses questions sur un sujet en particulier : la cession des droits d'exploitation de pétrole de l'île d'Anticosti.

Des études ont récemment démontré que le sous-sol de l'île d'Anticosti pourrait contenir l'équivalent de 30 à 40 milliards barils de pétrole. À plus de 100 dollars le baril, ceci signifie qu'il y aurait jusqu'à 4 000 milliards de dollars de pétrole. Pour fins de comparaisons, la dette du Québec est de « seulement » 250 milliards $. De nombreux géologues ont noté, et ce dès 1987, que la composition de l'île laissait entendre qu'une importante réserve de pétrole s'y trouverait.

En 2002, le gouvernement dirigé par Bernard Landry avait élaboré un plan d'exploration par Hydro-Québec qui devait coûter 330 millions $ et devait ultimement mener à l'extraction du pétrole d'Anticosti. Le plan prévoyait étaler les travaux d'exploration entre 2002 et 2010 afin de trouver où se situait la réserve de pétrole, déjà estimée à l'époque à plusieurs dizaines, voire centaines, de milliards de dollars uniquement pour l'île d'Anticosti. La ministre de l'Énergie de l'époque, Rita Dionne-Marsolais, a récemment affirmé au Devoir que son ministère savait qu'il y avait du pétrole sous Anticosti, contrairement à ce qu'affirme aujourd'hui le gouvernement Charest. Les travaux d'exploration effectués par Hydro-Québec ont également confirmé la présence de pétrole sous l'île.

Arrive 2003 et l'élection du gouvernement libéral dirigé par Jean Charest. Dès le départ les Libéraux ont appuyé sur la pédale de frein pour les travaux d'exploration. Déjà en 2005, moins de deux ans après l'élection du Parti libéral, le gouvernement décidait de mettre un terme à l'exploration, prétextant qu'il n'y avait rien sous Anticosti (après avoir pourtant investi seulement 10 des 330 millions prévus pour l'exploration) et que les dépenses (330 millions) étaient un risque que le gouvernement ne voulait pas prendre.

Notez le manque de cohérence : ce même gouvernement dépense 200 millions pour un amphithéâtre à Québec malgré l'absence de garanties qu'il y aura une équipe d'hockey, mais refuse de payer 300 millions pour une réserve estimée, à l'époque, à plusieurs centaines de milliards de dollars. En 2007 et début 2008, Hydro-Québec a discrètement cédé ses droits d'exploration et d'exploitation aux entreprises Pétrolia et Junex, le tout avec des clauses secrètes que même l'ancienne ministre, Nathalie Normandeau, n'a jamais voulu dévoiler. Peu après, toujours en 2008, le gouvernement a décidé d'abolir la division Pétrole et Gaz d'Hydro-Québec. Entre-temps, de nombreux employés d'Hydro-Québec ont quitté pour siéger au Conseil d'administration ou pour travailler directement chez Junex et Pétrolia, c'est-à-dire que les mêmes personnes qui ont cédé les droits d'exploitation travaillaient maintenant pour les entreprises à qui ils les ont cédés. À 10 cents l'hectare, les permis qu'ont obtenus les deux entreprises ne rapportent strictement rien aux Québécois. Comble de l'incohérence, ces deux pétrolières continuent d'avoir droit à des subventions et des crédits d'impôts à même les taxes des Québécois.

Junex et Pétrolia

Le gouvernement Charest aime rappeler que ce sont des entreprises québécoises qui exploiteront ces richesses et que nous devrions être fiers de leurs réussites. Là encore, le hic est que ces deux entreprises sont détenues en grande partie par des actionnaires étrangers et que, par conséquent, le pétrole extrait (dont nous ne savons toujours pas quelles seront les redevances) profiterait davantage aux actionnaires hors Québec qu'aux Québécois. Du côté des redevances, si le Plan Nord est une indication, tout permet de croire qu'elles seront également faibles pour le pétrole : les redevances sur les ressources minières sont calculées sur le profit plutôt que sur le produit extrait, ce qui fait en sorte qu'avec quelques combines de comptabilité l'immense majorité des minières ne paient déjà, en ce moment même, aucune redevance à l'État.

La composition des employés de ces entreprises mérite également notre attention : Jean-Yves Lavoie, chef de la direction de Junex, a généreusement donné plusieurs milliers de dollars annuellement au Parti libéral du Québec entre 2004 et 2010 selon les données du DGE. De plus, comme mentionné ci-haut, de nombreux membres des CA et employés de ces deux entreprises sont d'ex-employés d'Hydro-Québec : André Caillé (ancien PDG d'HQ), Jacques Aubert, Peter Dorrins, et plusieurs autres sont tous d'anciens employés d'Hydro-Québec. Sont-ils coupables pour autant? Rien n'a été prouvé et il peut sembler normal qu'un géologue qui s'est retrouvé sans emploi à la suite du démantèlement de la division Pétrole et Gaz d'Hydro-Québec se réoriente vers un emploi similaire. Malgré tout, ceci soulève la question à savoir quand ils ont été approchés, si les entreprises ont fait du lobbying et des pressions sur Hydro-Québec et si cette dernière a donné des informations privilégiées au privé avant l'abolition de la division Pétrole et Gaz.

La question des permis pose problème : les mêmes qui ont cédé les droits d'exploration et d'exploitation se retrouvent dans l'entreprise à qui ils ont donné ces droits. Sur ce point, la libérale Nathalie Normandeau a elle-même quitté le ministère des Ressources naturelles pour devenir vice-présidente de la firme d'experts-comptables Raymond Chabot Grant Thornton, où elle conseille aujourd'hui des clients qui souhaitent profiter du Plan Nord! Les réformes sur l'éthique adoptées par le gouvernement Charest semblent donc être très flexibles, et ce malgré tous les fiascos libéraux, incluant le cas d'Anticosti.

Pourquoi refuser de dévoiler les ententes et pourquoi réduire les attentes?

Les entreprises qui ont obtenu les droits d'exploration et d'exploitation se gardent de dévoiler les conditions des ententes qu'elles ont eues avec Hydro-Québec et évitent de spéculer sur les éventuelles retombées. Et pour cause : la majorité de leurs actionnaires n'étant pas du Québec, l'incertitude quand à une éventuelle exploitation persiste. Hors Québec, l'impression générale est qu'un changement de gouvernement pourrait mener automatiquement à une nationalisation sans compensation. D'un autre côté, la population pourrait exiger un moratoire si elle découvre que les conditions des ententes avec Hydro-Québec lui sont défavorables.

Alors le mot d'ordre est vraisemblablement de réduire les attentes lorsqu'ils s'adressent aux médias, tout le contraire de lorsqu'ils s'adressent aux actionnaires. D'ailleurs, ils ne veulent catégoriquement pas dévoiler les ententes avant d'avoir débuté l'exploitation. Pourquoi? Dès que l'entreprise aura débuté sa pleine exploitation, elle pourra exiger de généreuses compensations à ses actionnaires en cas de nationalisation, à l'image du Québec d'autrefois qui avait acheté à grands prix les entreprises hydroélectriques afin d'éviter d'aliéner les investisseurs étrangers. Ceci leur permettrait un enrichissement bien supérieur à ce qu'ils pourraient espérer s'ils étaient toujours en phase d'exploration lors d'une éventuelle nationalisation. Ils ne veulent donc probablement rien dévoiler avant le début de l'exploitation afin de mettre les Québécois devant un fait accompli (donc trop tard pour un moratoire) tout en s'assurant d'un généreux « dédommagement » de l'État en cas de nationalisation.

Ils se gardent également de mentionner combien de pétrole ils prévoient retirer, se contentant d'affirmer que l'entente est très favorable aux Québécois. Bien que nous parlons d'un total de 4 000 milliards $ en pétrole, il est impossible de l'extraire à 100%. Avec la technologie actuelle, nous parlons d'une possibilité de retirer jusqu'à 15% du pétrole d'Anticosti (donc pour un total non négligeable de 600 milliards de dollars, soit 2,5 fois la dette du Québec). Malgré tout, de futures percées technologiques pourraient permettre d'augmenter la quantité totale de pétrole extraite de l'île.

Conclusion : un vol?

Bien que parler de vol serait prématuré et possiblement diffamatoire, il existe de nombreux éléments qui devraient préoccuper les Québécois au plus haut point. Les relations entre Hydro-Québec et ces entreprises privées devraient être soigneusement examinées afin de déterminer si les ex-employés d'Hydro-Québec étaient bel et bien en conflit d'intérêts. Il faudrait également déterminer si ceux-ci savaient qu'il y avait du pétrole avant de tout céder au privé sans n'en dire mot aux Québécois. Au niveau politique, la décision du gouvernement de céder les droits est tout simplement incompréhensible. Compte tenu des nombreux manquements à l'éthique du gouvernement Charest, une forte odeur de scandale flotte autour du démantèlement de la division Pétrole et Gaz d'Hydro-Québec. L'éthique douteuse de Nathalie Normandeau ajoute de la crédibilité aux accusations portées par de nombreux activistes, dont Daniel Breton, actuel candidat péquiste pour Sainte-Marie - Saint-Jacques, mieux connu comme étant le fondateur du mouvement MCN 21e Siècle, qui qualifie l'opération derrière Anticosti de rien de moins que « le vol du siècle » .

Peu importe qu'il y ait eu vol ou non, un fait demeure : une richesse incroyable échappe aux Québécois. La Norvège, un pays dont s'était inspiré Bernard Landry pour le programme d'exploration, s'est enrichie de plus de 560 milliards de dollars grâce à son exploitation pétrolière. D'autres États, avec pourtant de plus grandes réserves pétrolières, voient leurs ressources contrôlées par une minorité et leurs revenus filer à des intérêts étrangers. Le modèle à Jean Charest s'inspire de ces derniers États et n'enrichirait qu'une poignée d'individus plutôt que l'ensemble de la société. Cet enjeu devrait être au centre de la prochaine campagne électorale tant il est vital pour l'avenir du Québec. La classe moyenne croule aujourd'hui sous une multitude de taxes alors que la dette a augmenté de près de 70 milliards en seulement 9 ans de règne libéral. Le Québec aurait bien besoin d'un gouvernement qui saura considérer les intérêts de l'ensemble des Québécois plutôt qu'être uniquement au service des intérêts privés!

---- Mise à jour : 30 juillet 2012

Junex a récemment envoyé un courriel avec les informations suivantes :

"-Contrairement à ce que vous affirmez, Junex n'a jamais conclu quelque entente que ce soit avec HQ concernant les droits d'exploration d'Anticosti. Les permis que nous détenons dans le Sud de l'île étaient disponibles à qui voulait bien les prendre auprès du Ministère des ressources naturelles et de la faune. L'entente à laquelle vous faites référence concerne Pétrolia et non Junex.

-Contrairement à ce que vous affirmez, la très grande majorité des actionnaires de Junex sont des Québécois, soit près de 90%, incluant Investissement Québec et la CDPQ. Tous nos employés sont également des Québécois comme vous et moi, tout comme la majorité de nos fournisseurs de services."

L'île d'Anticosti vue par le photographe Marc Lafrance

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