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Où irons-nous armés de chiffres?

Où irons-nous armés de chiffres?
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Le titre de ce billet est emprunté à Hélène Monette, dans son recueil «Où irez-vous armés de chiffre?», publié aux Éditions Boréal, en 2014.

Chère Jocelyne Richer de La Presse Canadienne,

Je sais bien que vous n'êtes pas une chroniqueuse, et que vous ne faites, par conséquent, que « rapporter » des faits, « informer » les citoyens, M. et Mme Toutlemonde. Seulement, il y a, il me semble, des manières un peu moins subjectives de le faire, et des informations plus pertinentes, pour le développement et l'évolution d'une société, que d'autres. Mais ça, c'est mon opinion, vous avez la vôtre, et c'est bien correct. La seule différence, c'est que, pour critiquer votre article, je ne prétendrai pas « informer » et donc, être objectif. En d'autres termes, je vais dire ce que je pense.

Dans votre récent papier, «Épreuve de français écrit: l'école privée supplante l'école publique», vous déclarer qu'«il vaut mieux inscrire son enfant à l'école privée si on veut lui donner toutes les chances de pouvoir rédiger un court texte dans un français acceptable à la fin de ses études secondaires.»

Arrêtons-nous d'abord sur le titre. Effrayant, non? Un peu comme « Lucian Bute, dans un combat historique, détruit Denis Grachev » ou « Le Canadien écrase les Bruins à la maison » ou encore « George St-Pierre humilie Josh Koscheck.» Ça donne envie de lire tout de suite, de mettre Carmina Burana à fond dans le steréo, de s'installer dans son lazy boy avec un chocolat chaud et un muffin aux bleuets et de se laisser avoir des frissons en rêvant de devenir le roi du monde.

Le petit bémol, mais quand même assez gros pour me tenir éveillé en pleine nuit parce que je suis pompé, c'est qu'on parle ici d'Éducation. De notre système d'éducation québécois. J'ai envie de dire que ce n'est pas normal, dans une société qui se dit civilisée comme la nôtre, de voir se confronter deux secteurs qui, à la base, sont censés avoir le même mandat, soit celui de former des citoyens capables de débattre, de questionner, de critiquer, de réfléchir.

Mais je remplacerai plutôt « pas normal » par « inacceptable », « aberrant », « révoltant », puisque c'est cette « normalité », ce rang qu'on essaie de nous faire suivre, qui me fait précisément suer. Mais ça, ça ne se quantifie pas. Ce n'est pas demain la veille que nous verrons être publiée une étude du genre « 3% des Québécois sont marginaux » ou « 92% des diplômés du secondaire n'ont pas d'esprit critique ». En d'autres termes, le ministère peut couper dedans.

Dans votre article, vous vous contentez de dire que le privé est plus fort que le public, sans dire mot des causes possibles de cette différence notoire entre les deux secteurs. Vous savez, Mme Richer, qu'une maladresse au privé peut coûter l'exclusion à l'élève, et que l'élève ainsi exclu risque fort bien de se retrouver au public, dans son école de quartier ? Êtes-vous consciente, au-delà de la nature de sa maladresse, de l'impact que peut avoir une exclusion sur le développement de l'élève, sur son estime ? En êtes-vous seulement consciente ? Avez-conscience, également, bercée par les pourcentages que vous étayer, du taux de jeunes défavorisés, dont les parents n'ont souvent pas terminé leur secondaire, qui fréquentent le secteur public ? Dur, quand même, quand tes parents sont analphabètes fonctionnels, de te taper un 90% dans ta rédaction de français. Dur, aussi, d'accoter tes voisins du privé, quand t'es arrivé au Québec à 12 ans parce que c'est la guerre dans ton pays, que ta mère monoparentale dont on ne reconnaît pas le diplôme doit travailler dans un Dollarama et que tu as dû apprendre le français en même temps de l'apprendre à tes parents. En parlez-vous dans votre article ? Non. Vous dites que le privé est meilleur que le public. Vous vous appuyez sur des chiffres, sur des résultats, pour homologuer la qualité. Absurde, non ? Pourtant, on accepte cette absurdité. On se laisse conforter par les chiffres, par cette course folle pour le sommet des classements biaisés, et sans conscience de notre aveuglement, on s'applaudit, on se donne des médailles, des trophées et des diplômes et on dort bien.

Si on ferme la porte du privé aux élèves qui ne sont pas assez performants, vous comprenez que les chiffres et les classements ne valent plus rien. Alors à quoi servent-ils, sinon se raffermir l'ego et l'estime en entretenant la croyance biaisée qu'ils nous définissent et indiquent le niveau de notre intellect ?

En lisant des articles comme le vôtre, j'enrage. J'enrage d'autant plus que je ne pense sincèrement pas que vous soyez ignorante, mais plutôt démagogue. Et je me demande du plus profond de mon être ce que cela peut apporter au développement de notre société.

Peut-être avez-vous, Mme Richer, une réponse à me donner ?

En attente de vos nouvelles,

P.S. Je rêve du jour où les élèves du public et du privé feront front commun pour dénoncer les aberrations du système, la glorification de la performance et la mentalité malsaine de compétition qu'on nous inculque, dans un secteur comme dans l'autre.

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