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Hébron, voyage en terre coupée

De toutes les villes que nous avons explorées, Hébron est celle qui nous a le plus déstabilisées et durablement marquées. Hébron est unique en Cisjordanie.
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« C'est un acte terroriste. Israël agit avec fermeté contre le terrorisme, quels qu'en soient les auteurs » - Benjamin Netanyahou, 2 août 2015.

Après de nombreux, mais courts séjours dans différentes villes de notre vieille Europe, l'envie nous est venue de partir pour l'est de la Méditerranée : Israël.

De toutes les villes que nous avons explorées, Hébron est celle qui nous a le plus déstabilisées et durablement marquées. Hébron est unique en Cisjordanie : son centre-ville même a été occupé, pas seulement les collines alentours. Et la ville est littéralement coupée en deux, suite à un attentat commis par un colon en 1994. La situation est particulièrement tendue. Au départ, sans doute du fait d'une appréhension quasi instinctive, nous n'avions pas prévu de nous aventurer au-delà de Bethléem. Et puis. Et puis, il a suffi d'embarquer pour la Cisjordanie depuis la gare arabe de Jérusalem Est et de faire la rencontre de K., un chauffeur de taxi, pour comprendre qu'il nous fallait faire un pas plus loin.

Hébron, 1er avril 2015. Il pleut dru.

La route 60 de Bethléem en direction du sud, et menant à Hébron, est plutôt fréquentée. K. nous fait remarquer les plaques d'immatriculation, presque pour moitié israéliennes, et les voitures militaires garées aux croisements :

-Ils surveillent, la route est très empruntée par les colons.

Parfois, à l'embranchement de routes secondaires, de larges panneaux en hébreux, arabe et anglais :

Cette Route mène à la Zone « A »

Sous Autorité Palestinienne

L'Accès En Est Interdit Aux Citoyens Israéliens

Dangereux Pour Vos Vies

Et Puni Par La Loi Israélienne.

L'utilisation des majuscules est abusive, mais le message passe. Par delà ces pancartes s'éloignent des routes désertes. Elles semblent ne mener nulle part.

Nous entrons dans Hébron. Beaucoup de bâtiments inachevés, construits sans permis, sans politique d'urbanisme nous explique K.

-La pagaille. Après l'annexion du centre, la population est venue s'installer dans les extérieurs de la ville. Si des parties du centre-ville sont à nouveau sous contrôle palestinien, peu de familles ont souhaité y retourner.

Nous déjeunons dans un restaurant au premier étage d'un immeuble. K. raconte ses courses dans tout Israël. C'était avant. Depuis la seconde Intifada, il n'est plus habilité à travailler en Israël.

-Le pays est petit, en une journée on peut conduire d'un bout à l'autre.

Avant, il pouvait donc aller jusqu'à la côte, jusqu'à Gaza. Qu'est-ce que ça fait, de ne plus pouvoir sentir la mer ?

Il nous raconte beaucoup de choses, notamment un voyage au Qatar avec sa fille et sa femme. Dans un restaurant il n'avait pas pu dîner avec elles autrement que derrière un paravent dressé pour l'occasion.

-Ça n'est pas ça être un bon musulman.

Son idée de la foi musulmane, la bonne et la dévoyée, il allait l'égrener l'après-midi durant. Polygamie, place de la femme, terrorisme. Concentré sur la route, face à son pare-brise, à un certain point, nous ne distinguons plus si son discours nous est adressé ou s'il cherche à se débarrasser d'une certaine lassitude.

Nous payons et reprenons la voiture pour nous garer sur une placette près du centre.

-Ne laissez rien en évidence sur la banquette.

Nous traversons de sombres voies voutées sous des immeubles en pierre, caractéristiques des vieilles villes arabes de la région. Personne. Quelques enfants, à peine. La chaussée est neuve à l'excès. Des plaques fixées aux murs indiquent que des financements du PNUD ou de pays européens ont contribué à reconstruire les lieux.

Le Tombeau des Patriarches, lieu de culte juif et musulman, est divisé en deux: la mosquée et la synagogue. Depuis l'attentat, il n'est plus possible de circuler de l'une à l'autre. Les tombes des Prophètes sont cependant visibles des deux côtés.

Après la visite de la mosquée, K. nous explique qu'il ne peut aller plus loin et nous invite à aller voir la synagogue. Il nous attendra au commerce au bout de la rue.

-Prenez votre temps.

Nous passons un contrôle israélien.

-Vous êtes juives ?

-Non.

-Quelle est votre religion ?

-Athée pour l'une, catholique pour l'autre, répondons-nous.

On nous laisse entrer. À travers d'autres vitres blindées, nous découvrons à nouveau les mêmes alcôves, les mêmes tombeaux des mêmes prophètes. Nous retrouvons K. Il est assis avec les propriétaires du magasin de souvenirs. Il nous montre une rue.

-Allez-y vous ne risquez rien. Moi je ne peux pas.

-Qu'est-ce que c'est ?

-Elle mène à une colonie. Vous ne risquez rien.

Deux garçons jouent au foot, mais ne dépassent pas l'entrée. Nous nous avançons. Les maisons semblent vides. Des drapeaux israéliens flottent çà et là. Les battants de portes métalliques baillent, non entretenus. Une rue fantôme. Soudain, un peloton de jeunes militaires.

Nous sommes arrêtées par deux soldats, armes automatiques en bandoulière. Quel âge peuvent-ils avoir ? 19 ans ? L'un d'entre eux prend les choses en main et nous interroge d'un ton grave. L'autre le regarde faire, étonné.

-Touristes ?

-Oui.

-Vos passeports.

Le soldat qui observait son camarade en silence pouffe, et s'éloigne pour sourire plus à son aise. Il pourrait penser : Sincèrement ? T'as rien trouvé d'autre pour frimer devant ces deux filles ?

-C'est bon.

Nous progressons jusqu'à l'entrée de la colonie sous bonne garde. Des revendications territoriales sont traduites en l'anglais.

Nous en avons assez vu et rebroussons chemin. K. veut encore nous montrer une partie de la vieille ville. Nous croisons des hommes tirant un char à bras. K. les salue. Ce sont les seuls qui ont gardé un commerce ici. Depuis que les Israéliens ont repris le contrôle du centre, ils ne peuvent plus approcher en voiture, ils doivent assurer le ravitaillement de leur magasin à pied.

Nous traversons le souk, presque désert, jouxtant la colonie. La plupart des commerces ont fermé. Plus d'habitants. Pas de touristes, la ville est trop triste. Au-dessus de nos têtes se mêlent fils électriques, barbelés, fanions palestiniens et drapeaux israéliens de l'autre côté des murs. Ici un panneau de la poste palestinienne, là un autre signalant « Ministère du Tourisme ».

-C'est tout fermé. Il y a juste les panneaux.

Des miradors en pleine rue. K. nous montre :

-Les organisations internationales ont fait repeindre les commerces et repaver les rues. Ils voulaient faire revenir les habitants qui avaient fui. Mais ce dont ils ont besoin c'est de sécurité. Il y a des affrontements le soir entre les habitants, les colons, l'armée. Là, c'était un dépôt de taxi. Mais il était trop près de la colonie.

Il est l'heure de nous ramener à Bethléem. K. nous dépose à l'arrêt du bus. Nous le remercions et prenons place. Rares sont les touristes, le bus est plein de Palestiniens se rendant à Jérusalem.

Au niveau de la frontière, le bus s'arrête, un soldat de Tsahal monte et demande à tous les Palestiniens de descendre pour un contrôle des identités et des sacs. Il fait signe aux touristes de rester assis. Il pleut toujours.

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