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Quelle place pour l'éthique à l'école?

Il nous apparaît important, voire urgent, de restituer la place de l'éducation éthique dans les écoles, de lui accorder la valeur qui lui revient et que cela soit énoncé clairement dans la grille horaire des élèves.
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Depuis son implantation en 2008, le programme d’Éthique et Culture Religieuse (PECR) a fait couler beaucoup d’encre. À certains égards, hormis les aspects liés à l’éducation à la citoyenneté inscrits au programme d’histoire (lesquels devraient disparaître sous peu d’ailleurs), nous pourrions dire que le PECR est sans doute celui qui a donné lieu aux plus fortes critiques et contestations. En témoigne la parution récente de l’ouvrage La face cachée du cours Éthique et Culture Religieuse, sous la direction de Baril et Baillargeon, qui a contribué à relancer le débat autour de ce programme, parfois même avec une forte virulence. Certains auteurs de cet ouvrage réclament des modifications importantes du programme, alors que d’autres vont jusqu’à mettre en place une pétition demandant son abolition pure et simple. Au final, nous demeurons parfois avec le sentiment que le PECR divise davantage qu’il ne rallie...

En y regardant de plus près cependant, nous avons tôt fait de remarquer que l’essentiel des débats autour du PECR concernent le volet culture religieuse, alors que, quant à lui, le volet éthique n’est pratiquement jamais discuté. Les points de tensions et de disjonctions à l’égard du programme touchent donc plus particulièrement la place de la religion à l’école, et ce, dans une société laïque, la manière dont les contenus religieux sont présentés et enseignés, la géométrie variable qu’il est possible d’y repérer en matière de contenu selon les religions, le peu d’espace destiné à l’enseignement des conceptions séculières avec tout ce que cela peut présenter comme impact sur l’identité spirituelle des jeunes provenant de familles athées ou agnostiques. D’éthique, nous n’entendons que très peu parler...

Pourtant, d’importants enjeux liés à l’éthique meublent l’actualité quotidiennement, des enjeux qui, de près ou de loin, pourraient très bien faire l’objet d’une démarche éducative à l’école. Il suffit de jeter un œil sur les nouvelles pour se rendre compte à quel point les questions d’éthique occupent une place centrale: intimidation, corruption, fraude, environnement et consommation, santé, radicalisation, terrorisme, discrimination, justice sociale, immigration, etc. Seulement, la place de l’éducation éthique en milieu scolaire demeure problématique. Différentes raisons, sur lesquelles nous aimerions attirer l’attention du lecteur, nous conduisent à porter un tel jugement.

Le 17 août dernier, madame Nancy Bouchard, professeure à l’UQAM, publiait un article dans Le Devoir à l’intérieur duquel elle se questionnait à savoir si l’école n’avait pas échoué dans sa mission d’éduquer au vivre-ensemble. Entre autres éléments, la chercheuse relevait qu’une étude menée par l’Association québécoise en éthique et culture religieuse «corrobore les échos que nous avons du milieu scolaire: près de la moitié des écoles (100/211) réduisent sensiblement le temps d’enseignement recommandé par le ministère», un taux qui grimperait aux deux tiers dans la grande région de Montréal. Au primaire, le ministère recommande (mais n’impose pas) une heure d’ÉCR par semaine; au secondaire, de manière générale, les élèves ont deux périodes d’ÉCR par cycle de neuf jours. Si l’on compare, par exemple, aux périodes consacrées au français, à l’anglais, aux sciences, à l’histoire ou aux mathématiques, principalement au secondaire, l’ÉCR fait figure de parent pauvre... Dès lors, retrancher des périodes d’ÉCR au profit d’on-ne-sait-trop-quoi revient pratiquement à annihiler les impacts potentiels que ce cours pourrait avoir sur la formation des personnes, sans compter que cela lance un message aux élèves sur le peu de considération que nous accordons au final à une telle formation...

Cette situation est par ailleurs symptomatique d’une tendance lourde en matière d’éducation: l’éthique n’occupe généralement pas le haut du pavé lorsqu’il est question de l’importance relative accordée, notamment par les enseignants, aux différentes disciplines scolaires. En effet, une étude de Lenoir et Hasni (2010) sur la question révélait que, depuis 1980, l’éducation éthique se classe systématiquement parmi les dernières, au mieux devant l’art dramatique et la danse. En tête de liste se retrouvent, vous l’aurez deviné, le français, les mathématiques, la géographie et l’histoire, les sciences et la technologie, l’anglais, l’éducation physique...Entre 2001 et 2004, l’éducation éthique occupait la 10e position sur 12 matières. Toujours selon cette enquête, 75% des étudiants en enseignement sondés (en provenance des quatre plus grandes universités francophones du Québec) étaient d’avis que l’éthique ne constitue pas une matière de base en éducation.

Il nous apparaît important, voire urgent, de restituer la place de l’éducation éthique dans les écoles, de lui accorder la valeur qui lui revient et que cela soit énoncé clairement dans la grille horaire des élèves.

Ces résultats soulèvent des questions importantes. Loin de nous l’idée de remettre en cause la valeur de l’enseignement dispensé dans les différentes matières scolaires et leur importance dans le développement de la culture générale des jeunes. Cependant, nous sommes en droit de nous demander ce que peuvent bien valoir ces apprentissages s’ils ne sont pas accompagnés d’éthique? Si être bon en français c’est pouvoir insulter les autres sans fautes ou erreur de langage; si notre compétence en mathématiques ou en économie est mobilisée pour frauder autrui; si notre savoir en sciences sert à développer des technologies polluantes ou des armes visant à faire la guerre, à quoi bon consacrer autant de temps à se les approprier? Selon nous, ces apprentissages n’ont de sens et de valeur que s’ils s’inscrivent dans une visée éthique...

Nous pouvons néanmoins, sans nous la justifier, comprendre cette situation. Tel qu’indiqué par la professeure Bouchard, il n’est pas rare, principalement au secondaire, que les tâches d’ÉCR soient attribuées à des enseignants d’autres disciplines (biologie, mathématiques, éducation physique, histoire, théâtre, etc.). Sans présumer du professionnalisme de ces enseignants, nous demeurons persuadés qu’une formation solide en éthique est essentielle pour assurer une formation de qualité dans le domaine. Dans certaines facultés et départements d’éducation, la formation en enseignement de l’ÉCR au secondaire n’est même pas offerte aux étudiants... Quant à la formation des enseignants au primaire, nombreux sont les programmes universitaires qui, sur une période de quatre années, n’offrent qu’un seul cours de didactique de l’éthique et culture religieuse, ce qui demeure nettement insuffisant. En comparaison, ces programmes offrent en moyenne quatre cours de didactique du français, quatre cours de didactique des mathématiques, une dizaine de cours en pédagogie générale... Même munis de la meilleure volonté du monde, ces enseignants n’ont malheureusement pas pu bénéficier d’une formation adéquate pour prendre en charge la complexité que commande l’éducation éthique...

Certains pourraient rétorquer, par exemple, que les enseignants font toujours de l’éthique: dans la cour d’école, à la récréation, dans les corridors, lors des sorties scolaires, etc. Ils pourraient également indiquer que des protocoles d’intervention existent lorsque des situations d’intimidation se présentent entre les élèves. Nous ne nions pas cela et considérons qu’il est précieux de maintenir ces interventions). Cependant, celles-ci s’inscrivent davantage dans l’ordre de la résolution de conflits et non, comme tel, dans une perspective d’éducation éthique au sens large du terme. Dit autrement, bien qu’il soit raisonnable de dire que tout processus de résolution de conflits se rapporte, de près ou de loin, à de l’éducation éthique, il serait faux de prétendre, du même souffle, que toute éducation éthique trouve ses racines dans la résolution de conflits, ce type d’éducation la débordant largement.

En somme, il nous apparaît important, voire urgent, de restituer la place de l’éducation éthique dans les écoles, de lui accorder la valeur qui lui revient et que cela soit énoncé clairement dans la grille horaire des élèves. Bien entendu, les parents ont leur rôle à jouer dans ce type d’éducation, mais à l’évidence ils ne peuvent le faire seuls ni traiter de l’ensemble des enjeux que les jeunes affrontent ou seront appelés à affronter en tant que citoyens. La société actuelle manque parfois, voire souvent, cruellement d’éthique et l’école ne peut plus ignorer la responsabilité qui lui revient de pallier à cette situation. Il en va, selon nous, de la santé générale de notre société.

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