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Quelles perspectives pour l'Ukraine en 2015?

C'est purement et simplement le sauvetage de l'économie ukrainienne, et le retour sur le chemin de la croissance, qui sont en jeu pour l'année 2015.
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Après une révolution «ratée» en 2014 et le redécoupage des frontières d'un État que l'on considérait comme souverain, l'année 2015 sera plus que jamais un tournant de l'histoire nationale ukrainienne. Entre réformes politiques et économiques vitales et l'enlisement du conflit dans le Donbass, Kiev doit aujourd'hui se battre sur deux fronts concomitants. Cette double ligne directrice va irriguer la politique nationale pendant l'année 2015.

1/ De la nécessité des réformes politiques et économiques

L'application des réformes par le gouvernement. Si tout le monde parle de réformes, personne ne s'accorde réellement pour savoir lesquelles faire passer en priorité (si ce n'est voter le budget 2015, déjà source de problèmes). Parmi les plus importantes, on trouve :

  • La réforme des retraites, point focal des mécontentements sociaux possibles en 2015 ;
  • La structuration d'un État de droit et la réforme du secteur public : réforme de la police, du système pénal, de l'administration publique, approfondissement de la loi anti-corruption, lustration, etc.
  • La refonte totale du système judiciaire, qui traine depuis l'ère Ianoukovitch et qui représente un point majeur de la pérennité de l'Accord d'Association avec l'UE. L'Ukraine aurait déjà dû effectuer la réforme pour obtenir la signature du document par Bruxelles ;
  • La modernisation des forces armées : la coalition parlementaire prévoit que 3% du PIB soit attribué à la défense, ce qui semble insuffisant pour un pays en «guerre» et une armée exsangue. À noter que les derniers équipements militaires ont été fournis en novembre par les Etats-Unis lors de la visite de Joe Biden ;
  • Les mesures clés de la coalition : la décentralisation, le retour de la Crimée (qui ne sera même pas discutée par Moscou en 2015) et l'accession à l'OTAN (qui ne sera pas à l'ordre du jour, du moins tant que la question du Donbass n'est pas réglée).

Le gouvernement est donc attendu au tournant en 2015 et devra faire ses preuves, sous peine de provoquer une vague de mécontentement des activistes civils issue de Maïdan. Le rythme des réformes va en réalité surtout dépendre de la capacité de la Rada à faire son travail correctement sans entraves de l'opposition, qui risque de déchaîner le peu de ressources administratives qui lui reste pour casser la coalition et entraver la majorité constitutionnelle. Ralenties par ces nombreux facteurs d'incertitude, les réformes se feront de manière progressive, lente et pas-à-pas. Or les réformes sont intrinsèquement liées entre elles et doivent être coordonnées de manière concomitante : c'est justement là où des problèmes apparaitront en 2015, dans le sens où il va être difficile de déterminer lesquelles réaliser en premier. Une forme de «compétition aux réformes» prioritaires, selon les intérêts des gouvernants et la répartition des tâches au sein de la coalition, risque de voir le jour l'année prochaine.

L'économie : argent contre réformes ou l'inverse ?

Plus que jamais, c'est purement et simplement le sauvetage de l'économie ukrainienne, et le retour sur le chemin de la croissance, qui sont en jeu pour l'année 2015. Depuis 9 mois, la communauté internationale fournit à Kiev le minimum nécessaire en termes de prêts et de financement pour éviter un inévitable défaut de paiement et l'effondrement total du pays.

Le FMI a d'ailleurs annoncé le 9 décembre que 15 milliards de dollars supplémentaires seraient nécessaires pour renflouer l'économie ukrainienne, en plus des 17 milliards d'aide initialement prévus dans le plan d'action d'avril 2014. Début décembre 2014, l'Union Européenne avait également déclenché l'enveloppe de 500 millions d'euros sous forme de prêts, inclue dans le programme d'aide d'1,6 milliards d'euros signé en mars dernier.

2015 sera une année charnière en termes de choix économiques. D'intenses réformes sont donc nécessaires, sur fond d'austérité provoquée par la conditionnalité de l'aide du Fonds Monétaire international (FMI) et de la Banque Mondiale ainsi que concernant le respect des critères de convergence de la partie économique de l'Accord d'Association de l'Union européenne (DCFTA). On s'attend à ce que l'Ukraine connaisse au moins 5 ans de marasme économique, les critères macro-économiques du pays étant aujourd'hui au niveau de ceux années 1990.

L'Ukraine a besoin de plus de 40 milliards de dollars d'assistance pour sortir la tête de l'eau, alors même que les prêteurs internationaux demandent des conditions d'austérité qui risquent de provoquer des vagues de mécontentement social l'année prochaine. Les points de crispation se cristalliseront sur la question du gel des augmentations de salaire et des aides sociales, de la réforme des retraites, de la montée du chômage et l'absence d'investissements étrangers pour relancer l'économie.

De plus, l'année 2015 risque de connaître une nouvelle crise gazière entre Kiev et Moscou après mars 2015, date officielle de la fin de l'accord gazier du 30 octobre dernier signé entre les deux états sous la bienveillance de l'Union européenne. En l'échange du remboursement immédiat de 1,45 milliard de dettes à Gazprom, Moscou avait convenu de la reprise de fourniture de gaz à Kiev sous condition de prépaiement (comme c'est toutefois le cas pour tous les états européens). Ce faisant, Kiev avait déboursé les deux tiers de son enveloppe d'aide du FMI et de l'UE pour rembourser Moscou, représentant ainsi un camouflet sévère pour les autorités européennes et internationales. Pour rappel, les livraisons de gaz russe avaient repris le 9 décembre, après 6 mois d'arrêt.

En plus du chantage sur les futures livraisons, Moscou pourrait également tenter de renégocier à la hausse le prix du gaz, déjà élevé pour Kiev. En effet, l'Ukraine paye aujourd'hui entre 378 et 375 dollars pour 1 000 mètres cubes de gaz russe, comparé à 304 dollars en moyenne en UE.

2/ Entre le Donbass et Moscou, l'avenir sécuritaire de l'Ukraine dans la balance

En plus des réformes, l'Ukraine devra gérer de front en 2015 la relation avec Moscou et le conflit dans le Donbass, qui dure déjà depuis plus de 7 mois. Les perspectives de règlement du conflit avec les territoires séparatistes du Donbass, à savoir la République populaire de Donetsk (DPR) et la République populaire de Lougansk (LPR), semblent s'éloigner de jour en jour, ce à mesure que le conflit s'enterre dans une logique de guerre de position entre des belligérants de plus en plus retranchés et jusqu'au-boutistes. Kiev devra alors passer par une phase de négociation - ou du moins d'ouverture - avec la Russie, source potentielle de friction au sein du gouvernement ukrainien. Moscou, de son côté, n'a pas l'intention de faire machine arrière.

Stabiliser ou reprendre le Donbass ?

Les enjeux stratégiques de l'année 2015 sont primordiaux pour Kiev, d'autant plus que le président Poroshenko a fait du retour de la Crimée une de ses priorités. Mais dans la perspective où la Crimée est désormais belle et bien russe, perdre définitivement les deux territoires de l'est représenterait un premier échec politique et un facteur supplémentaire de crispation pour la population. Cette stratégie est à double tranchant pour Poroshenko, dont le côté "va-t'en guerre" pourrait provoquer des mécontentements et la perte du soutien populaire en cas d'incapacité (probable) de l'armée de récupérer le Donbass.

L'impossibilité totale d'infléchir Moscou sur la question de la Crimée va donc pousser le gouvernement de Kiev à se concentrer en 2015 uniquement sur la récupération du Donbass dans une logique jusqu'au-boutiste. Au final, Kiev va devoir gérer la partition de facto de son territoire.

Le contexte sécuritaire dans l'est va devenir de de plus en plus précaire en début d'année 2015. Autour de Donetsk, les échanges de tirs et les bombardements étaient encore quotidiens début décembre, ce en raison des tentatives d'incursions des forces armées et des tirs d'obus sur les points stratégiques tenus par les rebelles. Malgré l'organisation d'une «Journée du Silence» le 9 décembre - sorte de test de cessez-le-feu- les combats vont continuer dans les mois à venir.

Quoi qu'il en soit, la phase active des combats est donc terminée pour le moment : l'hiver 2014 va littéralement «geler» le front sur les positions actuelles et Moscou s'oriente maintenant sur une bataille diplomatique pour la reconnaissance des territoires de l'est. Le 19 novembre, le Cabinet des ministres adoptait un décret présidentiel prévoyant la démarcation unilatérale de la frontière entre l'Ukraine et la Russie : la création d'une ligne de front fortifiée pérennise encore plus le "gel" du conflit et son inscription dans la durée. Les prochains mouvements de troupes auront lieu, si c'est le cas, au printemps 2015.

Cette situation d'attentisme entraîne malgré tout un large potentiel de déstabilisation envers les forces armées ukrainiennes, ce étant donné que les deux parties au conflit sont rentrées dans une logique de guerre de position. En cela, les «opérations antiterroristes» (ATO) ont échoué dans leur objectif de reprendre rapidement les positions dans l'est et mettre fin aux velléités séparatistes.

Gérer Moscou, mais comment ?

La situation dans le Donbass reste un fait accompli pour le Kremlin, qui va désormais devoir gérer les appels des deux «Républiques» à un rattachement au territoire de la Fédération de Russie en 2015. Leur indépendance, fictive, n'aura pas duré longtemps.

Les leaders séparatistes appellent désormais à la création d'un «nouveau statut» négocié sur une base égale et bilatérale avec Kiev dans le cadre du groupe de contact de Minsk ainsi que la révision du protocole d'armistice du 5 septembre dans un sens qui pousserait Kiev à reconnaitre de facto l'existence des entités du Donbass. En 2015, La Russie va par conséquent chercher à renforcer le rôle diplomatique officiel des leaders rebelles, présents à la table des négociations depuis juin dernier, et sur la nécessité d'un dialogue direct entre Kiev et les séparatistes - de préférence sous médiation russe.

Toutefois Moscou n'est pas dans l'optique d'un règlement rapide du conflit, préférant voir la situation dans l'est se détériorer et «pourrir» tout en créant des conditions de vie telles qu'il sera quasi-impossible de réintégrer le Donbass à l'Ukraine territoriale sans le sacrifice économique de Kiev et un travail plurigénérationnel de confidence-building entre les populations. La logique de guerre civile prenant de plus en plus le dessus, Kiev aura du mal à recréer un climat de confiance avec les populations de l'est, meurtries par les frappes indiscriminées de l'armée et l'appellation de «terroristes». La logique jusqu'au-boutiste du président, qui a même déclaré être prêt à livrer une «guerre totale» dans l'est, s'accommode mal avec les perspectives d'une reconstruction post-conflit et la réintégration des territoires à l'Ukraine. Le Kremlin en est conscient, le temps jouera en la défaveur de Kiev, dans un scénario similaire aux territoires séparatistes de Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud), ou dans une autre logique la Corée du Nord.

Kiev et Moscou n'étant au final pas sur la même longueur d'onde - volonté de récupérer les territoires d'un côté contre nécessité de temporiser de l'autre - les négociations de paix dans le cadre du processus de Minsk se sont déjà enlisées.

Grande perdante dans l'histoire, l'Ukraine devra s'accommoder de négocier avec la Russie l'année prochaine, et donc forcément consentir à faire des concessions. De son côté Moscou jouera la carte de l'apaisement, mais sans réelles avancées diplomatiques, tout en plaçant progressivement ses hommes sur la scène diplomatique et en poussant pour la reconnaissance des territoires.

Pour résumer

Sur le plan politique, l'année 2015 sera marquée par le rythme des réformes structurelles, et en premier lieu la décentralisation, sous le contrôle de la société civile issue de Maïdan. Des craquements pourraient toutefois apparaître dans la coalition "pro-européenne" majoritaire au Parlement ainsi que dans le duopole entre le président Poroshenko et le premier ministre Iatseniouk.

Sur le plan économique, 2015 sera comme un couperet en termes de survie même d'un pays en défaut de paiement virtuel et sa capacité à gérer à entamer des réformes, conditionnées à l'obtention des prêts internationaux. Il s'agira de relancer la croissance, dont les moteurs restent à définir, et gérer la probable crise gazière au printemps 2015.

Sur le plan stratégique et sécuritaire, Kiev va devoir gérer à la fois le «gel» du conflit dans le Donbass et la pression accrue de Moscou. Si la Crimée semble s'éloigner définitivement, la question des "Républiques" de l'Est reste ouverte et l'Ukraine devra forcément faire face à son voisin russe pour éviter la perte totale de contrôle sur ses territoires.

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