La situation sécuritaire entre Kiev et Moscou s'est particulièrement dégradée ces derniers jours autour de la question de la Crimée. Le 10 août, le Kremlin annonçait avoir capturé et tué des « saboteurs » ukrainiens, issus d'une unité de reconnaissance de l'armée, qui auraient tenté de s'infiltrer en Crimée. Un agent des services de sécurité russes (FSB) aurait également été tué. Cette tentative d'incursion en « territoire russe » avait été dénoncée par Moscou comme du « terrorisme » et un acte mettant en péril la stabilité sécuritaire régionale et, en conséquence, des accords de paix de Minsk 2 dans le Donbass ukrainien.
Passées les réactions diplomatiques -- notamment l'annonce du président ukrainien Petro Poroshenko que les troupes ukrainiennes seraient placées en état d'alerte maximale -- et la confusion sur les motifs et les causes derrières ces événements, il convient de constater que des affrontements ont réellement eu lieu à la « frontière » avec la Crimée. Toutefois, de telles incursions -- réalisées aussi bien par les forces russes, qu'ukrainiennes de part et d'autre de la frontière -- sont monnaies courantes depuis 2014. L'affaire reste donc circonstancielle et ne représente pas une tendance à la dégradation du contexte sécuritaire. Il convient par conséquent de relativiser cette soudaine montée de la tension : elle représente un moment plus politique et diplomatique que purement militaire ou tactique.
D'un point de vue purement tactique, les rapports initiaux quant à une éventuelle opération militaire russe d'ampleur sont peu lisibles. En effet, Moscou ne prépare vraisemblablement pas d'intervention armée supplémentaire en Ukraine, que ce soit depuis l'Est ou le Sud en direction Marioupol. Difficile en effet de croire qu'une opération massive puisse être réalisée depuis l'isthme de Crimée. D'autant plus que la posture militaire russe dans le Donbass et le long de la ligne de contact est restée inchangée depuis, un fait reconnu même par le ministère de la Défense d'Ukraine.
Le fait réellement marquant dans les événements du 10 août est la récupération politique totale de l'incident frontalier par la Russie à des fins de dénonciation de l'absence d'avancées concrètes dans les accords de Minsk 2 au sujet du Donbass. En effet, l'événement tombe à pic et aura permis au président Vladimir Poutine d'annoncer très rapidement (il est rare que le président Poutine réagisse « à chaud ») le 11 août qu'une nouvelle réunion au format Normandie, prévue en septembre en Chine aux marges du G20, n'aurait « aucun sens ». Le premier ministre russe Dmitri Medvedev a également fait savoir que dans ces conditions, une rupture des relations diplomatiques avec l'Ukraine ne serait pas exclue.
À noter, non sans ironie, qu'utiliser la Crimée comme plateforme de dénonciation du conflit dans le Donbass montre à quel point la Russie souhaite faire avancer les choses sur la scène diplomatique.
Du pain bénit qui permet à Moscou de dire clairement la réalité des choses, à savoir que le processus de Minsk 2 est bel et bien au point mort. Il serait alors séduisant de croire que l'incident frontalier du 10 août aurait été créé (ou provoqué) par le FSB pour donner une bonne excuse au Kremlin d'annoncer la fin du processus de Minsk et l'ouverture éventuelle d'un nouveau chapitre diplomatique à la rentrée. Cet hypothétique processus, dont les contours commencent à se dessiner, pourrait être calqué sur le rythme des différentes échéances électorales occidentales (États-Unis, France, etc.) ainsi que la levée progressive des sanctions contre la Russie.
À noter, non sans ironie, qu'utiliser la Crimée comme plateforme de dénonciation du conflit dans le Donbass montre à quel point la Russie souhaite faire avancer les choses sur la scène diplomatique et sortir du marasme de Minsk 2. Ceci renforce d'autant l'hypothèse que le Kremlin ne prépare pas de nouvelles opérations militaires d'ampleur contre l'Ukraine.
Enfin, l'incident frontalier du 10 août s'inscrit dans un double contexte politique en Russie. D'une part la rationalisation territoriale de la Crimée : le 3 août, la Crimée a perdu son statut de district fédéral unique pour devenir une « simple » région russe rattachée au District fédéral Sud. Ce changement intervient à quelques semaines des élections parlementaires en Russie et permet de mettre fin au conflit entre le président du parlement local Alexey Chaly et l'ancien gouverneur de Sébastopol Sergey Menyailo (depuis transféré en Sibérie). D'autre part, on assiste à une appropriation militaire de la Crimée. Depuis plusieurs mois, Moscou a considérablement augmenté sa présence militaire dans la péninsule (déploiement de troupe et d'armement, déploiements récents des missiles de défense côtiers Bation-P et des systèmes de missiles antiaériens S-400, etc.).
Ces différents mouvements étaient déjà prévus par le commandement militaire russe et ne représentent pas un fait nouveau ou une conséquence directe des événements du 10 août en Crimée. Aussi, la Russie prépare activement les exercices militaires « Caucase 2016 » de septembre. L'annonce du président Poutine que la mort de l'agent du FSB russe ne « resterait pas impunie » représente également un bon moyen de justifier ce que Moscou réalise depuis plusieurs mois, à savoir le renforcement de sa présence militaire en Crimée.
Ce billet de blogue a été initialement publié sur le Huffington Post France.
VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST