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Le choix des sanctions ou l'art de renforcer Vladimir Poutine

Faisant l'objet d'une vive contestation sur son territoire depuis les législatives controversées de décembre 2011, le président russe parvient à rassembler son peuple dans l'adversité, détournant ainsi l'attention du plus grand nombre des promesses intenables qu'il avait formulées lors de son élection en 2012.
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1200 morts et 3500 blessés. C'est le lourd tribut engendré par les affrontements qui opposent l'armée ukrainienne aux séparatistes du Donbass. Devant cette effusion de sang, les pays membres de l'Union européenne (UE) ont décidé le 29 juillet de durcir le ton face à Moscou, accusée de soutenir délibérément la rébellion armée.

L'attaque de l'appareil de la Malaysia Airlines constitue un tournant en cela qu'elle a unifié la position des États-Unis et de l'UE, les 28 demeurant jusqu'alors rétifs à la perspective d'affaiblir leur partenariat économique avec la Russie. Preuves à l'appui, Washington a mis l'UE face à ses responsabilités, l'obligeant à agir quitte à devoir affaiblir des pans entiers de son économie.

Les sanctions vont affaiblir l'économie russe

Les sanctions sectorielles instaurées par les 28 imposent à une économie rentière à bout de souffle des restrictions sur l'accès aux marchés financiers européens, une suspension des livraisons d'équipements militaires et un arrêt de la coopération technologique dans le domaine énergétique, dont Moscou dépend largement pour extraire ses abondantes réserves d'hydrocarbures off-shore. La Commission européenne évalue le coût de ces mesures de rétorsion à 100 milliards $ sur les deux prochaines années.

Bien que non-rétroactives, pour la plus grande satisfaction de la City et des Mistral de DCNS, et épargnant soigneusement le gaz russe, qui représente 33% des importations européennes, ces sanctions risquent d'accroître la fuite des capitaux et de nuire à la reprise économique du pays.

Toute auréolée de son contrat gazier de 400 milliards de dollars décroché à Pékin fin mai, la Russie a relativisé le caractère pernicieux de ces mesures inamicales tout en promettant d'y répondre sans ambages. Cette réaction est venue du gendarme sanitaire russe, Rosselkhoznadzor, qui a soudainement proscrit l'importation des produits laitiers ukrainiens ou encore des pommes polonaises.

Plus préoccupant, la Douma prépare un texte introduisant la notion de pays agresseur. Seront entichés de ce label les pays qui instaurent des sanctions contre la Russie, ses citoyens ou ses institutions.

Derrière l'action de Poutine, une majorité silencieuse

Oubliés la photo de famille et les gestes d'apaisement sur les plages de Normandie, la tension est aujourd'hui à son comble. Entendons-nous bien : la tragédie meurtrière qui se poursuit aux marges de l'UE et l'indéniable part de responsabilité de la Russie dans celle-ci interdit l'attentisme. Néanmoins, le choix des sanctions risque de se révéler contre-productif. Pour s'en persuader, il faut s'en remettre à l'opinion publique russe qui, quoiqu'on en dise, quoiqu'on en pense, soutient largement l'action de son président au moins depuis les six derniers mois.

En effet, ce dernier a tiré les dividendes de l'annexion de la Crimée en voyant sa côte de popularité s'envoler à 85,9% d'opinions favorables, un record depuis six ans, d'après un sondage réalisé par le Centre russe d'étude de l'opinion publique (VTsIOM) en mai 2014. Peu avant le crash du MH 17, un sondage de Gallup poll révélait que le Président russe recueillait 83% d'opinions favorables contre 30% un an plus tôt.

Largement aidée par la plupart des organes de presse russes, une opinion dominante a émergé depuis le début de la crise ukrainienne et force est de reconnaître qu'elle se trouve diamétralement opposée à celle qui se répand au sein des pays de l'UE.

Cette opinion ultra-majoritaire qui s'est rangée derrière l'action de Poutine accueille avec une vive hostilité les sanctions visant la garde rapprochée de ce dernier et l'économie russe. Toutefois, d'après un sondage réalisé par le Centre Levada, pour 61% des Russes ces sanctions ne sauraient constituer une source d'inquiétude et seulement 26% d'entre eux se prononcent en faveur d'un soutien militaire actif aux insurgés du Donbass.

Cette opinion ultra-majoritaire impute la responsabilité de la tragédie du MH 17 aux forces armées ukrainiennes. Une enquête du Centre Levada montre que 82% des Russes abondent dans ce sens, quand seulement 3% y voient la marque des séparatistes. Cette opinion ultra-majoritaire, enfin, exprime un fort tropisme à l'égard de ces derniers, tel que le révèle un récent sondage de VTsIOM : 39% des Russes avouent avoir du respect, 22% de l'espoir et 19% de la sympathie pour ceux que Kiev qualifie de terroristes.

Autant d'éléments qui donnent à croire que les multiples mesures de rétorsion, aussi sévères soient-elles, renforceront l'assise dont jouit Poutine en politique intérieure. Faisant l'objet d'une vive contestation sur son territoire depuis les législatives controversées de décembre 2011, le président russe parvient à rassembler son peuple dans l'adversité, détournant ainsi l'attention du plus grand nombre des promesses intenables qu'il avait formulées lors de son élection en 2012.

De la négociation viendra la solution

Vladimir Poutine poursuit un seul véritable objectif : la sauvegarde de son régime. Compte tenu de la stagnation des cours des hydrocarbures, dont dépend 50% du budget fédéral et 70% des exportations du pays, la seule solution qui s'offre à lui pour garantir sa survie politique, c'est de « réveiller en Russie l'ego impérial, qui était génétiquement inscrit », comme le suggère l'oligarque ukrainien Dmitro Firtach.

Le portrait de Poutine tracé en 2003 par Thomas Gomart, directeur du développement stratégique de l'IFRI, a aujourd'hui plus que jamais cours : « Sans doute moins visionnaire que tacticien, le président russe gère, s'adapte, plus qu'il n'innove et ne bâtit ». Poutine le tacticien sait combien le peuple russe demeure sensible à la fibre patriotique. La rhétorique de puissance lui permet d'asseoir son autorité à tête de la Russie et tant qu'il recueillera l'assentiment du peuple russe dans ce sens, rien ni personne ne le fera dévier de sa trajectoire.

En clair, en accusant la Russie de tous les torts et en cherchant à l'acculer avec un arsenal de sanctions de plus en plus sévères, les pays occidentaux ne recueilleront que davantage d'hostilité de sa part. Seule la recherche d'un compromis avec Moscou permettra de mettre un terme à la guerre civile en Ukraine. Car cette tragédie dont l'épilogue meurtrier s'éternise ne s'achèvera qu'avec le concours de Vladimir Poutine. Dès lors que son opinion publique plébiscite le soutien apporté aux séparatistes, il apparaît peu probable qu'elle en fera autant si le Président russe doit porter la responsabilité de la déstabilisation de l'Est de l'Ukraine.

La solution, s'il en est, viendra assurément de la négociation. Stanislav Belkovski, président de l'Institut de stratégie nationale et accessoirement cousin de feu-Boris Berezovsky, y va de sa suggestion : une médiation assurée par le Pape François. Une direction qui a peu de chance d'être suivie mais qui a néanmoins le mérite d'être innovante alors que rien ne laisse pour l'heure entrevoir le chemin de la désescalade.

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