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Fermeture des communautés aborigènes: de l'incurie à l'abandon, c'est toujours non!

Le gouvernement d'Australie-Occidentale n'a pas renoncé à fermer les communautés autochtones: il souhaite les voir s'éteindre de mort lente.
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Le gouvernement d'Australie-Occidentale n'a pas renoncé à fermer les communautés autochtones: il souhaite les voir s'éteindre de mort lente. L'année dernière, nous avons publié au printemps une tribune en réponse à l'annonce, par le premier ministre d'Australie-Occidentale, de son intention de fermer plus d'une centaine de communautés aborigènes en cessant de financer leurs services essentiels (eau, électricité). Commençons par remercier tous ceux qui ont soutenu, partagé et diffusé cette initiative, car ils ont par là soutenu les mobilisations en cours en Australie et permis, même modestement, d'accroître la pression sur les gouvernements australiens.

L'annonce est aujourd'hui devenue une feuille de route, présentée le 14 juillet 2016 au public australien. Monument de colonialisme contemporain, ce rapport ravive notre colère et notre engagement auprès des individus, collectifs et communautés aborigènes d'Australie pour défendre leurs droits à l'autodétermination, à la terre et à la dignité.

Intitulée Resilient Families, Strong Communities («Familles résilientes, communautés solides»), la feuille de route pour les communautés aborigènes en région et celles isolées emprunte à une langue désormais classique dans laquelle le vocabulaire du soin est mobilisé pour entériner la domination et la contrainte. En 2010 déjà, la législation prolongeant pour 10 ans l'intervention paternaliste musclée dans 76 communautés du Territoire du Nord s'intitulait Stronger Futures for the Northern Territory, signant par là même leur condamnation. C'est une langue simple mais qui doit se lire à contre-pied: derrière le titre de la feuille de route se profile l'abandon par l'État de la quasi-totalité des communautés isolées.

Certes, on ne parle plus de fermeture mais d'investissement, de programmes, de co-design et de consultation, mais l'ensemble de ces prouesses ne concerneraient qu'une dizaine de communautés, selon les déclarations de l'un des ministres signataires de la feuille de route, soit moins de 4 % des 274 communautés aborigènes de l'État. Les autres n'ont qu'à rechercher par elles-mêmes les moyens de leur survie, à l'écart de toute forme de service public. Apartheid?

Pour bien comprendre ce qui se joue autour de ces communautés, il faut revenir à ce qu'elles sont, ce pourquoi elles ont été créées et ce qu'elles disent de la relation entre les Aborigènes et l'État d'Australie-Occidentale. Pour cela, il est nécessaire de distinguer entre les «réserves urbaines» (town reserves) et les communautés isolées (remote communities). Les premières ont été créées par les pouvoirs publics australiens au début des années 1970 pour accueillir les Aborigènes expulsés des stations d'élevage où ils avaient été sédentarisés de force à partir de la fin du 19ème siècle. Le début des années 1970 marque en effet en Australie-Occidentale l'abrogation d'un régime de ségrégation stricte qui a servi d'inspiration aux lois d'apartheid sud-africaines. Les secondes, quant à elles, ont été créées à partir des années 1970 par des collectifs aborigènes pour s'éloigner de ces centres urbains et réoccuper leurs territoires traditionnels, leurs pays. Leur idée était d'y vivre selon un mode de vie dit «two-way» articulant la modernité australienne aux lois aborigènes à parité de dignité. La lutte pour leur défense est un nouveau chapitre de leur histoire.

Car les communautés aborigènes isolées sont bien le résultat d'un mouvement historique de reconstruction d'une infrastructure nomade pour des sociétés qui ne se sont jamais résolues à la sédentarité, aussi violemment qu'on ait voulu leur imposer. Elles sont tout autant des lieux, de vie et de mémoire, que des nœuds d'un réseau où circulent personnes, biens, idées et ressources. Elles ont d'abord été construites dans l'adversité, au sein d'un État qui s'est toujours refusé à légiférer un droit à la terre pour les Aborigènes. Puis ces communautés ont ensuite bénéficié d'abord de financements fédéraux et, à partir de 1993, de la loi fédérale sur le titre indigène (Native Title), en dépit de ses limites.

Cette réoccupation du territoire leur a permis de rechercher des modes de vie appropriés, à l'écart des maux de la ville (surpopulation, alcool, violences) et de réinvestir le territoire, les langues, les systèmes d'échange et de parenté dans un monde renouvelé par deux siècles d'occupation coloniale. Les mobilisations en cours alimentent de nouvelles initiatives ou renforcent celles déjà déployées, dans l'ensemble de l'Australie. L'ensemble de ces petits pas construit un autre avenir possible.

Le vieux rêve colonial de l'élimination des Autochtones a la vie dure.

Ces communautés sont ainsi une démonstration des capacités de survie et d'innovation des Aborigènes dans des circonstances pour le moins adverses. L'attaque en règle menée contre elles par l'actuel gouvernement de Colin Barnett s'inscrit dans une histoire longue de tentatives d'effacement de la présence et de la singularité des sociétés autochtones sur le territoire australien. Cette capacité à reconstruire, selon des modalités continuellement renouvelées, les articulations entre les pays, la loi et la culture aborigène sont précisément ce que la feuille de route entend, elle aussi sous de nouveaux masques.

Le vieux rêve colonial de l'élimination des Autochtones a la vie dure. Fait significatif, la feuille de route ne mentionne à aucun moment l'importance et l'intérêt de la présence autochtone sur le territoire, passant par exemple entièrement sous silence les programmes de gestion des ressources culturelles et naturelles menés par des collectifs autochtones, pourtant vantés au niveau international.

En matière de développement et d'aménagement du territoire, le principal exemple donné dans la feuille de route est le port de Dampier sur la péninsule de Burrup, le deuxième plus grand port d'exportation de matières premières au monde, dont la construction et l'extension ont nécessité le déplacement et la destruction de pétroglyphes millénaires qui auraient toute leur place au patrimoine mondial de l'Humanité.

Il n'est dès lors pas surprenant que la feuille de route ne propose pour seul avenir aux habitants des communautés isolées que de se regrouper dans les communautés les plus grandes, alors même que les communautés avaient été initialement créées pour lutter contre les effets néfastes d'une densité mal gérée: «En se concentrant sur les villes et les communautés les plus grandes, le gouvernement d'État s'attend à soutenir moins de communautés à l'avenir, en particulier avec l'accélération de la migration à l'écart des petites communautés» (p.28). La feuille de route opère ainsi un tournant dans l'attitude des pouvoirs publics vis-à-vis des communautés autochtones isolées: d'une incurie manifeste qui voit près de 5 milliards annuels évaporés pour des résultats invisibles («Lots of money is being spent on services but it is not well targeted, and nobody is clear if it is making any meaningful difference» (p.14)) à une stratégie de l'abandon.

Le gouvernement d'Australie-Occidentale entend ainsi laisser à leurs propres ressources près de 15 000 personnes parmi les plus défavorisées de sa population.

Si le gouvernement adopte cette stratégie, c'est qu'il semble incapable d'envisager les Aborigènes autrement que comme une frange défavorisée de la population, attribuant au traumatisme historique de la relation coloniale la responsabilité de sa propre incurie.

Jamais la question de la relation entre pouvoirs publics et communautés aborigènes n'est abordée sous l'angle d'un dialogue ou d'une résolution de conflit. Encore et toujours, il s'agit pour les Aborigènes d'atteindre aux bienfaits de la modernité: propriété privée (maisons, compteurs individuels), salariat, individualisme, soit l'exact contre-pied des valeurs qui sous-tendent encore l'organisation socio-territoriale autochtone. En matière de dialogue, la feuille de route, élaborée au sein de l'administration de l'Australie-Occidentale avec la contribution de quelques personnalités choisies, en reste à la seule consultation.

Le futur des Aborigènes est déjà tout tracé, pour leur propre bien mais sans leur consentement.

Il n'est pas anodin que la feuille de route soit signée par les ministres du Développement régional et de la Protection de l'enfance. Le premier a pour objectif de généraliser la fracturation hydraulique d'un bassin artésien qui est l'infrastructure culturelle majeure des sociétés du désert et est déjà largement contaminé par les activités industrielles. La seconde réussit l'exploit de placer plus d'enfants aborigènes à l'écart de leur communauté qu'aux pires heures des «générations volées», pour ne rien dire de l'incarcération massive des adolescents aborigènes dans des conditions qui, récemment mises au jour dans le Territoire du Nord, ont amené à une condamnation sans appel de l'Australie par les Nations unies.

La publication de la feuille de route dans ce contexte ranime la mobilisation des organisations autochtones opposées au futur destructeur qui leur est tracé par des gouvernements hostiles. Nous renouvelons notre soutien à leurs initiatives et à leurs luttes. Voici la déclaration récente du collectif constitué pour s'opposer à la fermeture des communautés isolées:

«Il est temps de se rassembler à nouveau

La communauté aborigène n'a AUCUNE CONFIANCE dans le gouvernement d'Australie-Occidentale

Ce rapport signale le démarrage des fermetures forcées - en retirant les services publics jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de vivre sur le pays

C'est une attaque contre nos droits fondamentaux

C'est une violation de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones

Cela se passe sans notre consentement libre, préalable et informé

Il s'agit de génocide

Nous savons qu'il n'y a pas eu de consultation

Nous savons qu'il s'agit là d'un accaparement de terre massif pour l'expansion dans le nord de l'Australie

Nous savons qu'il s'agit d'un acte de terrorisme à l'encontre des peuples autochtones

Nous n'acceptons pas ce rapport.»

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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