Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

En Australie, prison et torture pour les Aborigènes

Des centaines de manifestations se sont déroulées pour dénoncer les actes de torture perpétrés contre des Aborigènes, captés par des caméras de surveillance.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

En 2008, le premier ministre travailliste Kevin Rudd présentait, au nom du gouvernement australien, des excuses aux Aborigènes et aux Insulaires du détroit de Torres pour les mauvais traitements qu'ils avaient eu à subir par le passé. Au train où vont les choses, il est probable qu'un prochain premier ministre doive de nouveau se plier à l'exercice et, cette fois, prolonger ses excuses par des actes tangibles.

Le week-end dernier, des centaines de manifestations se sont déroulées dans les rues de Melbourne, Sydney, Brisbane et d'autres villes australiennes pour dénoncer les actes de torture et les traitements dégradants perpétrés contre des Aborigènes dans le centre de détention pour délinquants juvéniles Don Dale, à Darwin dans le Territoire du Nord, révélés au cours d'une émission de la télévision publique, ABC.

Issues d'enregistrement des caméras de vidéosurveillance entre 2010 et 2014, les images montrent les gardiens attaquant les détenus au gaz lacrymogène, les attachant encagoulés à des chaises pendant des heures ou encore les plaçant à l'isolement pour plusieurs semaines.

Dans les rues, pourtant, les slogans vont bien au-delà de la seule dénonciation des actes intolérables perpétrés dans le centre Don Dale: aux côtés de Hands Off Aboriginal Kids et d'appels au renvoi des politiciens responsables d'incurie manifeste, on pouvait également lire «No Pride in Genocide». La colère et la détermination des manifestants sont réelles et profondes.

Comment expliquer en effet de tels agissements dans un État de droit qui prétend par ailleurs à un siège au conseil de sécurité de l'ONU?

Plusieurs hypothèses peuvent être formulées. La première consiste à croire en l'exceptionnalité de ce qui s'est passé dans le centre de détention de Don Dale: des gardiens particuliers, un accident de parcours, ou encore des circonstances exceptionnelles. Malheureusement, cette hypothèse ne tient pas.

Les mauvais traitements infligés aux détenus aborigènes s'inscrivent dans l'histoire longue de cette colonie de peuplement.

D'une part parce que les pratiques dénoncées à Don Dale ne sont pas nouvelles - les vidéos diffusées ont été enregistrées à partir de 2010 - et n'y sont pas cantonnées: Amnesty International en Australie a recensé d'autres cas similaires ces dernières années dans les prisons australiennes, et documente, avec Human Rights Watch notamment, les abus quotidiens dont sont victimes les demandeurs d'asile placés dans uncentre de rétention offshore sur l'île de Nauru. Le ministre fédéral des Affaires aborigènes a finalement admis qu'il était informé depuis au moins un an de la situation à Don Dale, mais que cela ne l'avait pas incité à agir.

D'autre part, parce que les mauvais traitements infligés aux détenus aborigènes s'inscrivent dans l'histoire longue de cette colonie de peuplement - accaparement de terres, massacres, vols d'enfants, régimes de ségrégation. Ils ont été particulièrement documentés pour les membres des «générations volées», ces milliers d'enfants enlevés à leurs parents aborigènes entre la fin du 19ème siècle et les années 1970 dans le but de les assimiler et d'effacer leur aboriginalité. Le fait qu'aujourd'hui, il y ait plus d'enfants aborigènes placés à l'écart de leur communauté qu'aux pires heures de ces politiques d'enlèvement et que les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, qui représentent 3 % de la population nationale australienne, constituent près du tiers de la population carcérale et plus de 50 % des délinquants juvéniles placés en détention (97 % dans le Territoire du Nord!), témoigne d'un cadre juridique et institutionnel qui aboutit à une incarcération massive et tout au long de leurs vies des peuples autochtones en Australie.

Vient alors la seconde hypothèse: s'il ne s'agit pas d'une exception, cela doit être la règle.

Une règle qui trouve ses sources dans un régime demeuré colonial. Les chiffres sur l'incarcération des Aborigènes doivent alors être mis en perspective avec plusieurs ordres de fait tels que la réforme brutale de la gouvernance des communautés aborigènes, dans le Territoire du Nord et en Australie occidentale notamment, lesinégalités persistantes qui ancrent les peuples autochtones dans une situation subalterne, ou encore des orientations en matière de développement qui privilégient l'extraction des matières premières et, partant, l'expropriation des Aborigènes de leurs territoires.

Dès lors, le «choc» ressenti par la classe politique australienne au vu des images insoutenables diffusées par ABC ne peut apparaître que comme une posture. Le choc n'est pas celui des révélations, mais bien celui de l'incurie de pouvoirs publics qui, informés de la situation, n'ont pas agi.

Car l'incarcération disproportionnée des Aborigènes en Australie et les discriminations dont ils sont victimes sont des faits établis au moins depuis 1991 et la Commission royale d'enquête sur les morts aborigènes en détention. Celle-ci avait en effet conclu que si les morts aborigènes en détention étaient si nombreux, c'était que les Aborigènes étaient grossièrement surreprésentés dans les prisons australiennes. Pour y remédier, la Commission avait émis pas moins de 339 recommandations, visant d'une part à changer le fonctionnement du système pénal australien, mais aussi, plus largement, à s'attaquer aux causes sous-jacentes que sont le racisme systémique dont sont victimes les Autochtones à tous les niveaux des institutions judiciaires et carcérales, ainsi que l'absence d'autodétermination politique.

Le suivi institutionnel de la mise en œuvre de ces recommandations a été interrompu en 1997 et la vaste majorité d'entre elles sont restées lettre morte. Pourtant, c'est bien une nouvelle commission royale d'enquête que le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, a annoncé en réponse aux prétendues révélations de l'émission 4 Corners, en proposant au départ de mettre à sa tête un ancien juge bien connu de la communauté aborigène pour sa clémence envers des meurtriers d'Aborigènes. Le site militant Blackfulla Revolution détournait ce jour-là un article du site d'information New Matilda, présentant l'historique dudit ancien juge en le retitrant: «Un gouvernement raciste nomme un ancien juge raciste pour présider à une exonération raciste». La réaction immédiate de la société civile et des organisations aborigènes a poussé le gouvernement fédéral à nommer à la tête de la commission l'actuel commissaire à la justice sociale aborigène au sein de la Commission australienne des droits de l'homme, Mick Gooda, ainsi qu'une ancienne juge de la Cour suprême de l'État du Queensland.

Cette même mobilisation, relayée à l'international, a également abouti à ce que le gouvernement australien abandonne la plainte qu'il avait osé déposer contre les adolescents détenus qui avaient engagé des poursuites contre lui pour les mauvais traitements subis à Don Dale.

Seul le maintien d'une forte mobilisation pourra garantir que la question soit traitée de manière transparente et impartiale. Car en l'absence d'une charte des droits fondamentaux en Australie et en dépit de pressions internationales exercées pour qu'elle ratifie le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) et remédie aux atrocités perpétrées dans ses centres de détention, seule une supervision de la Commission royale par une société civile attentive et intransigeante pourra constituer un rempart à la colonialité du pouvoir australien. Un modeste premier pas dans ce sens pourrait être de signer la pétition d'Amnesty International en Australie pour mettre fin à la torture des enfants aborigènes en détention.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.