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L’éducation au Québec ou la loi de l’Omerta

En tant qu'enseignant, devrais-je exécuter des tâches inconsciemment sans réfléchir pour atteindre des taux de réussite et me plier à des conventions de gestion élaborées puis votées subito presto?
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Le 26 mars, Le Soleil rapportait que de jeunes profs se disent muselés par des directions d'écoles. Si des profs ressentent le besoin de parler et que des directions tentent de les en empêcher. Devrait-on comprendre que des administrateurs essayent de garder le couvercle sur une marmite? Cela témoigne que des pratiques ou des phénomènes au sein des écoles suscitent des conflits. Les enseignants sont-ils de simples employés qui doivent se taire ou des professionnels qui auraient raison, le devoir même, de dénoncer des torts ou des négligences susceptibles de porter préjudice aux élèves?

Dans le réseau scolaire québécois, parler a un prix. La liberté d'expression a des conséquences. Depuis 2011, je me suis mouillé en espérant changer des choses. J'ai écrit des lettres d'opinion, je me suis présenté comme candidats aux élections générales provinciales en 2012, je tiens un blogue et j'ai écrit un mémoire personnel à l'actuel ministre de l'Éducation, dans le cadre de sa politique sur la réussite scolaire, tout en maintenant mes activités d'enseignement et de chargé de cours à la formation des maîtres.

Au cours de ma carrière, j'ai subi des conséquences pour mes initiatives citoyennes. Ma salle de classe a déjà été déménagée dans un sous-sol sans préavis. J'ai perdu l'accès à un tableau interactif pour enseigner. Un cadre à l'interne d'une commission scolaire est intervenu pour m'empêcher d'avoir de la visibilité dans un média institutionnel. On a modifié mes notes à mon insu en prétextant que j'étais trop exigeant à l'égard de mes élèves. J'avais informé des adolescents de 5 secondaire que la qualité de leur français compterait pour 10% dans le cadre d'un cours d'éthique et culture religieuse... La direction a jugé que cela minait ses chances d'atteindre les taux de réussite ciblés dans les conventions de gestion!

Certains seront peut-être tentés de me dire : « Ferme ta yeule pis travaille... T'as un(e) bon(ne) job, fais c'que ton boss te dit, paye ton hypothèque, ta pension alimentaire pis tes taxes comme tout l'monde! » Certes, je détiens un emploi régulier. Cependant, en tant qu'enseignant, devrais-je exécuter des tâches inconsciemment sans réfléchir pour atteindre des taux de réussite et me plier à des conventions de gestion élaborées puis votées subito presto?

En 2018, il serait opportun de repenser le rôle, les responsabilités, les pouvoirs, les droits et l'organisation de la tâche des pédagogues québécois.

En 2018, il serait opportun de repenser le rôle, les responsabilités, les pouvoirs, les droits et l'organisation de la tâche des pédagogues québécois. Les profs devraient-ils être responsables de veiller au bien-être et à l'intérêt des élèves ou devraient-ils demeurer des employés serviles soumis aux diktats des directions d'écoles? Les enseignants sont-ils des fonctionnaires ou plutôt des professionnels responsables qui auraient avantage à disposer de droits et de moyens légitimes et nécessaires pour agir et pratiquer une profession?

Quand des directions usurpent l'autonomie professionnelle des enseignants dans le monde scolaire, cela peut sembler anodin. Cependant, les conséquences sont plus profondes et insidieuses. Par exemple, on a déjà abordé à l'Assemblée nationale le phénomène des notes gonflées. Des administrateurs scolaires soutiennent, statistiques à l'appui, que les taux de réussite augmentent. Or, le taux d'alphabétisation des jeunes Québécois n'évolue pas pour autant. Donc, malgré la hausse des taux de diplomation, le niveau de littératie des Québécois ne s'améliore pas. L'école québécoise nivèle par le bas. On diplôme des analphabètes fonctionnels! Pendant tout ce temps, des enseignants veulent sonner l'alarme, mais on tente plutôt de les faire taire.

Depuis longtemps, j'escomptais que des collègues emboitent le pas pour faire de la question de l'école publique un enjeu provincial. Dans le sprint final de ma carrière, je persiste. Je refuse de m'accrocher par désespoir et de laisser pantois mes collègues. Je suis ravi de savoir que des jeunes enseignantes et enseignants se tiennent debout.

Comme plusieurs, j'ai ressenti de l'isolement dans ma vie professionnelle. J'ai quitté la salle de classe pendant un moment pour aller voir ailleurs, mais j'y suis revenu parce que j'y crois. Je connais la lourdeur de la tâche, j'ai été témoin de son évolution et je me réjouis des initiatives et des travaux du groupe virtuel « Profs en mouvement ».

Enfin, j'invite les 100 000 profs qui œuvrent quotidiennement de Gatineau à Gaspé en passant par Val-d'Or, Kuujjuaq, Shawinigan, Saguenay et Blanc-Sablon à témoigner leur appui aux jeunes enseignantes et enseignants qui ont le cran de penser et de s'exprimer. Je salue leur courage et la rigueur qu'ils manifestent à l'égard de la qualité de leurs services professionnels. Ils s'engagent et veillent au maintien et à l'avenir d'un service public essentiel garant de développement culturel et économique pour le Québec : l'éducation!

Avril 2018

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