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Charte des valeurs: la vision néolibéralisante de Michel Seymour

Si aux yeux de Michel Seymour, l'interdiction du port de signes religieux pour les employés de l'État s'apparente à ce que fait le Front national en France, sa propre conception de gérer la diversité religieuse et le vivre-ensemble au Québec s'apparentant à la vision des choses des néolibéraux en économie.
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Dans un article publié dans Le Devoir du 16 janvier dernier, le philosophe Michel Seymour soutient que le projet de Charte québécoise du Parti québécois s'apparente, à certains égards, à un «repli identitaire» et à la «peur de l'Autre», caractéristiques que l'on retrouverait dans le discours du Front national en France. D'où sa référence au fait que le PQ entretiendrait «un discours aux accents frontiste».

Pour Seymour, bien que nécessaire, la Charte du PQ devrait s'en tenir à une simple affirmation de la laïcité de l'État québécois, sans les mesures restrictives visant à obliger les représentants de l'État à incarner la neutralité religieuse de l'institution qu'ils représentent dans le cadre de leurs fonctions. C'est ainsi que, croyant sa façon de concevoir les choses plus vertueuse que celle préconisée par les partisans de la Charte telle qu'elle est présentée actuellement, Seymour qualifie, dans d'autres articles qu'il a publiés sur son blogue au Huffington Post, sa conception de la laïcité d'«inclusive».

Or, peut-être ne s'en aperçoit-il pas, mais si, à ses yeux, l'interdiction du port de signes religieux pour les employés de l'État s'apparente à ce que fait le Front national en France, sa propre conception de gérer la diversité religieuse et le vivre-ensemble au Québec s'apparente à la vision des choses des néolibéraux en économie.

Jean-Claude Michéa et la religion du progrès

En effet, c'est le philosophe et essayiste Jean-Claude Michéa qui, mieux que quiconque, a mis en lumière les liens familiers qui, en Occident, unissent la droite néolibérale et la gauche multiculturaliste dans leur adhésion à ce que Michéa appelle la «religion du progrès». Dans ses nombreux essais, dont l'excellent Complexe d'Orphée, Michéa met en lumière la façon par laquelle la gauche multiculturaliste (au Québec apparentée à Québec solidaire) légitime la droite néolibérale en appliquant ses doctrines économiques et politiques aux niveaux social et culturel. Gauche et droite s'alternant dans les différentes démocraties libérales d'Occident et en particulier en France rempliraient ainsi un même agenda progressiste empêchant toute remise en question du dogme ultralibéral sous peine de paraître comme étant réactionnaire et rétrograde.

C'est donc à partir de ce constat lucide de Michéa qu'il nous est permis de mettre en lumière l'adhésion de Michel Seymour à cette «religion du progrès», alors qu'il qualifie de «repli identitaire» ou de «peur de l'Autre» toute remise en question de sa propre conception des choses. Pour les adeptes de la religion du progrès ultralibéral, il ne peut y avoir de remise en question du dogme qui vaille. Il faut donc la diaboliser.

Ainsi, tout comme les néolibéraux, Michel Seymour redoute le pouvoir politique et refuse que des lois restrictives viennent obliger les individus à se plier à certaines normes communes de la société québécoise, à l'exception de sa volonté de baliser certaines demandes d'accommodements comme celle de l'étudiant de York qu'il qualifie (à juste titre, mais on ne sait par quelles balises, car où s'arrête en effet la liberté de conscience pour M. Seymour?), de déraisonnables. La Charte qu'il préconise consiste donc essentiellement en une coquille vide visant, selon l'article du Devoir qui rapporte ses propos, à «combler le besoin d'affirmation nationale des Québécois». Une Charte, donc, sans réel pouvoir concret visant à favoriser la pensée commune au sein de la population québécoise de plus en plus diversifiée. Ne prenant pas note de l'individualisme et du peu de cohésion de la société québécoise à l'heure actuelle, M. Seymour s'imagine-t-il que le laisser-faire et le pouvoir d'une main invisible sur la société accoucheront éventuellement d'une véritable communauté politique? Du chaos naîtrait-il l'ordre?

L'indispensable pouvoir politique

Contrairement au dogme néolibéral de la main invisible - qui prétend que de laisser les différents acteurs poursuivre leur intérêt égoïste sans aucune entrave de l'État conduit au bonheur commun - certains partisans de la Charte croient plutôt qu'il est du devoir de l'État d'intervenir dans différents secteurs pour assurer le bien-être des habitants de la nation qu'il dessert et pour assurer l'existence d'un monde commun transcendant les différences et les antagonismes. Après tout, qu'est-ce que l'État sinon cet artifice politique créé par et pour les citoyens desservis? Si le dogme néolibéral confine l'État à une simple institution chapeautant des citoyens détenteurs de droits, d'autres lui attribuent donc des fonctions politiques émanant de la volonté des citoyens qu'il représente, dans un amalgame combinant à la fois liberté des Anciens et celle des Modernes.

Ainsi, pour certains partisans de la Charte, dont l'auteur de ces lignes, le pouvoir politique de l'État peut contribuer à la qualité du vivre-ensemble chez des citoyens de plus en plus divers et atomisés au point de vue social, en cultivant la pensée commune et l'esprit civique chez les citoyens par diverses mesures politiques. Et ce de la même manière que l'État est nécessaire pour réglementer l'économie et redistribuer la richesse. En effet, dans les deux cas, il y cette nécessité du pouvoir politique de l'État. L'histoire nous enseigne que de laisser le jeu de la main invisible à elle-même conduit les individus - tout comme les entreprises - à poursuivre leur propre intérêt égoïste. Simples détenteurs de droits, les citoyens en viennent à oublier la notion du devoir et de l'esprit civique et la communauté politique se dissout. L'évolution de la société québécoise depuis 1982 en atteste et le besoin d'affirmation nationale que décèle M. Seymour à l'heure actuelle n'est rien d'autre que ce besoin profondément humain de s'inscrire dans une communauté d'histoire et de destin qui les transcende.

De plus, dans une société qui accueille plus de 50 000 nouveaux arrivants par année et qui se diversifie de plus en plus d'un point de vue religieux, une gestion de la diversité est indispensable. On ne peut se fier au bon vouloir des individus. Des balises incitant les nouveaux arrivants à «faire société» avec leur société d'accueil sont nécessaires pour éviter la fragmentation communautariste.

Ainsi, en encourageant les vertus civiques et en intégrant les nouveaux arrivants à la société d'accueil, le pouvoir politique de l'État peut jouer, en quelque sorte, un rôle pédagogique et d'intégration auprès des individus, rôle qui favorise ensuite le vivre-ensemble. L'interdiction d'afficher ses croyances religieuses pour les employés de l'État s'inscrit donc dans cette logique. Elle s'inscrit - non pas au sein d'un repli identitaire ou d'une quelconque peur de l'Autre - mais plutôt dans une volonté de gérer la diversité religieuse croissante du Québec et pour favoriser un espace civique et commun - l'État - où les différences sont mises de côté pour miser sur ce qui unit les divers citoyens québécois.

Il importe également de préciser que, contrairement aux prétentions de M. Seymour, interdire aux employés de l'État d'afficher leurs croyances religieuses ne brime aucunement le droit fondamental de la liberté de conscience de ces employés. Le pouvoir politique, si important soit-il, ne doit d'ailleurs jamais empiéter sur les droits fondamentaux des individus. On ne saurait en effet accepter qu'une loi ou une balise quelconque entrave la liberté de conscience d'un seul individu. Toutefois, on ne doit pas non plus étendre cette liberté de conscience infiniment jusqu'à prétendre que tout et son contraire relèvent de celle-ci. D'ailleurs, n'est-ce pas justement ce que clamait cet étudiant de York pour justifier le fait qu'il ne voulait pas faire des travaux avec des femmes?

Ainsi, en ce qui regarde l'interdiction du port de signes religieux pour les employés de l'État, ces derniers peuvent continuer de croire en ce qu'ils veulent, mais ils doivent se garder d'afficher ces croyances, par respect pour leur fonction étatique et pour les usagers qu'ils desservent. Chez eux, dans la rue, au marché et n'importe où ailleurs, ils pourront afficher leurs croyances comme bon leur semble. L'on doit d'ailleurs se garder de vouloir enlever toute manifestation du religieux dans la société. Par contre, l'espace étatique sera cet endroit commun et laïque où nous allons miser sur ce qui rassemble les Québécois plutôt que sur ce qui les distingue.

À cet égard et pour terminer, notons cette phrase de M. Seymour: «l'identité religieuse est intimement liée à une appartenance communautaire et elle se vit en groupe». Sans empêcher cette appartenance religieuse communautaire à petite échelle, l'interdiction du port de signes religieux chez les employés de l'État vise justement à ce qu'une autre identité de ces différents individus se vive en groupe, mais à une plus grande échelle: l'identité québécoise, au sein de cette communauté historique et politique qu'est le Québec.

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