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Radicalisation: le gouvernement doit diversifier son approche

Le gouvernement ne veut pas parler de radicalisation ou d'intégrisme religieux, seulement de «radicalisation menant à la violence». Mais comment peut-on parler de «radicalisation menant à la violence» si on ne fait pas de recherche sur la radicalisation sans violence?
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Dans un récent article publié dans Le Soleil, plusieurs experts critiquent la stratégie du gouvernement du Québec en matière de prévention de la radicalisation. Dans ce même article, le responsable de la recherche du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), Benjamin Ducol, qualifie la recherche qui s'effectue dans les universités et les collèges du Québec «d'assez théorique et pas nécessairement connectée aux réalités de terrain». Il faudrait peut-être rappeler à M. Ducol que toute bonne recherche doit contenir des éléments théoriques et empiriques et que sa réponse témoigne plutôt de l'incapacité du CPRMV de théoriser son sujet. Cette théorisation est essentielle pour comprendre la radicalisation. Elle permet de situer le phénomène dans le contexte social et historique du Québec et d'identifier les sources et les mouvements qui influencent les agents de radicalisation.

En fait, le CPRMV n'a pas besoin de faire de recherche fondamentale parce qu'il répond essentiellement à des commandes des «intervenants du milieu» qui lui fournissent des cadres théoriques déjà construits pour s'imbriquer aux politiques gouvernementales en matière de prévention de la radicalisation.

Les centres universitaires et collégiaux font aussi beaucoup de recherche-action très (trop) connectée sur les priorités gouvernementales. Ils n'ont pas le choix, car ce sont les gouvernements provinciaux et fédéraux qui définissent les priorités en matière de recherche pour l'ensemble des chercheurs au pays via le Conseil de Recherche en Sciences humaines du Canada (CRSH) et le Fonds québécois pour la Recherche sur la Société et la Culture (FQRSC).

Par contre, les gouvernements n'ont pas de contrôle sur la façon que ces priorités seront étudiées par les chercheurs, ni même quelles équipes de recherche vont recevoir les fonds nécessaires pour faire cette recherche: c'est une compétition. Les différents projets de recherches soumis aux FQRSC et au CRSH sont évalués au mérite par des comités de spécialistes dans le domaine. Ce processus rigoureux garantit l'indépendance de la recherche faite dans les universités et les collèges partout au Québec.

Or, on peut constater que dans le cas de la recherche sur le processus de radicalisation, le gouvernement tente actuellement, via des appels de proposition de plus en plus restrictifs, d'infléchir la recherche pour qu'elle produise des résultats qui correspondent aux politiques gouvernementales en matière de radicalisation. Par exemple, le gouvernement ne veut pas parler de radicalisation ou d'intégrisme religieux, seulement de «radicalisation menant à la violence». Mais comment peut-on parler de «radicalisation menant à la violence» si on ne fait pas de recherche sur la radicalisation sans violence?

Le CPRMV est un organisme gouvernemental qui n'a pas de liberté académique et doit, en conséquence, orienter ses recherches dans le cadre très serré des priorités gouvernementales. Quand M. Ducol affirme que le CPVRM privilégie «une recherche plus orientée vers les préoccupations des intervenants», il ne dit pas que les principaux «intervenants» sont ici la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec qui financent directement son centre.

Lorsque l'on consulte les différents rapports de recherche du CPRMV, on a souvent l'impression d'y retrouver un calque des politiques gouvernementales en guise de résultats de recherche plutôt que des enquêtes plus originales dont d'éventuels résultats hors des sentiers battus permettraient de véritables innovations sociales en matière de prévention de la radicalisation.

Ce n'est en pas traitant les chercheurs universitaires et collégiaux «d'enfants d'écoles» qu'il va être en mesure de créer ces liens.

Ce que les chercheurs universitaires et collégiaux disent c'est que les priorités gouvernementales sont présentement mal orientées et que l'on est actuellement incapable d'évaluer l'efficacité des mesures de prévention de la radicalisation instaurées par les divers «intervenants» du milieu. M. Ducol devrait en prendre note au lieu de parler de l'état de «déconnexion» de la recherche dans les universités et les collèges. Cela est d'autant plus paradoxal qu'un des mandats du CPRMV est justement de «créer des liens avec les milieux universitaires de la recherche». Ce n'est en pas traitant les chercheurs universitaires et collégiaux «d'enfants d'écoles» qu'il va être en mesure de créer ces liens.

Au Centre d'expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIR) que je dirige, nous reconnaissons la qualité de l'expertise du CPRMV en matière d'intervention psychosociale auprès des jeunes radicalisés et de leurs familles. Nous n'avons pas hésité à transmettre des cas de possible radicalisation au CPRMV dans le passé. Par contre, nous sommes plus critiques à l'égard de la contribution du CPRMV en termes de formation et de recherche. Nous estimons qu'un centre de recherche collégial et universitaire comme le CEFIR est mieux placé pour faire de la recherche et de la formation parce que nous sommes justement des enseignants et des chercheurs. Évidemment, il y a plusieurs autres excellents centres de recherches universitaires et collégiaux au Québec avec lesquels nous collaborons. Et ils sont tous, avec des approches différentes, bien «connectés» à la réalité du terrain.

On a l'impression que le gouvernement préfère investir dans un centre de recherche qu'il peut contrôler au lieu d'investir dans plusieurs centres de recherche universitaires et collégiaux qui pourraient avoir des approches différentes de celle qu'il a jusqu'à maintenant privilégiée. Ce que nous disons c'est tout simplement qu'une approche plus diversifiée en matière de recherche sur le phénomène de la radicalisation serait certainement plus efficace que l'approche réactive et sociosanitaire que nous avons eue jusqu'à maintenant de la part de la Ville de Montréal, du gouvernement du Québec et de «leur» CPRMV.

Une approche sociosanitaire qui considère uniquement la radicalisation comme un problème de santé mentale ou d'intégration sociale ne peut être l'unique source d'explication du phénomène. Il y a beaucoup plus de travailleurs sociaux et de psychologues cliniciens que de chercheurs au CPRMV, cela oriente nécessairement l'approche du centre. Cette approche est respectable et utile, mais ce n'est qu'une approche parmi tant d'autres.

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Mai 2017

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