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Lettre au jeune homme dépressif que j'étais jadis

Accepte que la maladie mentale fasse partie de ta vie, mais refuse qu'elle en prenne le contrôle et la définisse.
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Montréal, 6 mars 2017

Cher Martin,

J'ose à peine imaginer l'incrédulité et la stupéfaction qui se dessine sur ton visage en lisant le titre qui coiffe cette lettre.

L'effet de surprise qui doit te submerger en prenant connaissance de la date et de l'auteur de ce message. Toutes ces questions qui doivent te traverser l'esprit à cet instant.

Comment est-ce possible de recevoir une lettre destinée à soi-même? Comment s'est-elle retrouvée entre tes mains? S'agit-il d'une machination de l'esprit, une hallucination?

Plus de 20 ans nous séparent, mais l'important, jeune homme, n'est pas de savoir par quel truchement cette lettre s'est-elle rendue à ton attention, mais bien le message qu'elle contient.

Hiver 1994.

Tu vis actuellement les jours les plus sombres de ton existence. Le cours normal de ta vie s'est interrompu par une froide soirée de novembre et, depuis, tes pensées sont envahies par des idées aussi noires qu'un puits sans fond.

Ton corps est complètement désarticulé et tu arrives à peine à mettre un pied devant l'autre. Vidé de l'énergie qui te caractérisait il y a quelques mois à peine, tu restes dorénavant cloîtré dans ton petit appartement, figé par la peur et l'apathie.

L'anxiété et l'angoisse sont désormais ton pain quotidien et tu vis constamment dans l'appréhension de la prochaine « crise ». Ces fameuses attaques de panique, que tu vois poindre à l'horizon et qui échappe à tout contrôle, qui s'emparent de tout ton être et qui y laissent sur son passage que détresse et désespoir.

Avant tout, laisse-moi te rassurer. Des jours meilleurs sont à l'horizon.

Tu en doutes sûrement, j'en suis convaincu, mais le mal-être que tu vis en ce moment se dissipera peu à peu. Dans quelques mois, la tempête aura finalement passée et ta vie de jeune homme fringant reprendra son cours normal.

Cependant, je me dois d'être totalement honnête avec toi. Ce premier épisode dépressif (car il faut bien appeler les choses par leur nom) marquera ta vie d'une pierre blanche et laissera des traces indélébiles.

Malheureusement, cette première tempête ne sera pas la dernière. Loin de là. Désolé de te l'apprendre.

Or, avant de jeter cette lettre à la poubelle, ne désespère pas. Par l'entremise de cette missive, je t'offre des réponses à certaines questions qui te taraudent l'esprit, mais aussi des enseignements précieux et inestimables qui, je le souhaite, nous épargneront le chemin de croix parcouru lors des 20 dernières années.

Premièrement, ne laisse pas la maladie mentale te définir.

Tu vivras au cours des 20 prochaines années plusieurs épisodes de décompensation suivie de moments de grande euphorie et d'anxiété.

Les attaques de panique seront si nombreuses que tu en perdras le compte éventuellement. Ta vie te paraîtra à certains moments comme une énorme montagne russe qui tourne en boucle infiniment et sans aucune possibilité d'y descendre.

Accepte que la maladie mentale fasse partie de ta vie, mais refuse qu'elle en prenne le contrôle et la définisse.

Désespérant à première vue j'en conviens, mais laisse-moi ici t'offrir une première leçon. Accepte que la maladie mentale fasse partie de ta vie, mais refuse qu'elle en prenne le contrôle et la définisse.

Beaucoup plus facile à dire qu'à faire certes, mais, je te le confirme, ton salut est dans l'acceptation.

Tout comme une personne atteinte d'un cancer ne se définit pas par la maladie qui l'affecte, tu es beaucoup plus que les caractéristiques de ta maladie mentale. Tu es peut-être quelque peu différent des autres, mais rien ne peut t'empêcher d'accomplir de grandes choses dans la vie et de réaliser tes rêves les plus fous.

Le plus tôt tu mettras en application cet enseignement, le plus tôt tu te libéreras d'un lourd fardeau inutile et entravant.

Deuxio, ne sous-estime jamais le pouvoir de la parole.

Trop longtemps, j'ai gardé le silence sur les maux qui m'affligeaient par crainte d'être jugé et ridiculisé.

Trop longtemps, j'ai caché ma douleur et mon désespoir derrière une bonhomie de peur que l'on me démasque pour l'être que j'étais réellement : un malade mental, un fou.

Prend bonne note ici : le silence est le complice de l'homme qui souffre.

Afin de briser les chaînes de la stigmatisation et de la peur, le moyen le plus puissant à ta disposition est d'en parler.

À un ami, un membre de la famille, un psychologue. Peu importe. Pourvu qu'il s'agisse d'une personne de confiance et disposée à entendre ton récit.

Bien évidemment qu'il s'agit d'un geste absolument terrifiant. Mais il est empreint d'une grande humilité et d'un si profond courage. Je te le confirme, l'effet libérateur et les résultats positifs de parler ouvertement de ta maladie mentale compenseront au centuple les craintes et la peur des perceptions d'autrui.

Contrairement au vieil adage qui dit que « la parole est d'argent, mais le silence est d'or », je puis te confirmer qu'ici, le simple fait d'en parler n'a pas de prix.

Finalement, n'abandonne jamais.

Dans les moments les plus sombres de ta vie. Dans les tempêtes les plus violentes de ton existence. N'abandonne jamais.

Quand le désespoir semblera avoir une emprise manifeste sur ta vie et que la seule solution logique à tes yeux est d'y mettre fin. N'abandonne jamais.

Quand la peur te paralysera et que le doute s'immiscera pernicieusement dans ton esprit. N'abandonne jamais.

Malgré l'adversité, la douleur et la tristesse. Reste debout, garde la tête haute et laisse passer la tempête.

Car, je te le confirme, la tempête finit toujours par se dissiper. Et à chacun de ses passages, elle laisse dans son sillage un apprentissage et une leçon inestimable.

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort et la vie, ta vie, mérite d'être vécue. Ne l'oublie jamais.

Sur ce, suis ces quelques modestes conseils et enseignements et ton chemin dans la vie en sera grandement facilité et ton fardeau nettement allégé. J'en fais la promesse solennelle.

Et comme le disait si bien le vieux sage Aristote : « l'espoir est un rêve éveillé » et tu ne rêves pas!

Accepte mes salutations les plus distinguées.

Martin

Ce texte a été initialement publié sur le site Entre les Deux Oreilles

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