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Les mois qui suivirent furent atroces. Complètement désarticulé, j'arrivais à peine à vaquer à mes occupations quotidiennes. Comme si chaque geste nécessitait un effort herculéen. Comme si la moindre petite décision se transformait en problème de trigonométrie.
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Il y a 20 ans, pratiquement jour pour jour, je vivais mon premier épisode de dépression majeure. Pourtant, rien ne laissait présager qu'à l'époque, à l'orée de la vingtaine, j'allais vivre la plus difficile épreuve de mon existence.

J'ai vécu une jeunesse que l'on peut considérer de « normale », sans drame particulier. Je n'ai jamais été victime d'abus, de harcèlement ou d'intimidation de quelque sorte. Somme toute, j'étais un garçon tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Anxieux, certes. Prompt à des variations d'humeurs occasionnelles, sans plus.

En vérité, la maladie mentale est apparue sournoisement dans ma vie. D'ailleurs, le souvenir de notre rencontre est encore frais en ma mémoire. J'étais assoupi, sur le point de tomber dans un sommeil profond, lorsque mon cœur s'est soudainement mis à battre la chamade sans avertissement. Je me rappelle m'être levé brusquement du lit, la respiration haletante. Je me souviens de mes mains engourdies, le poids d'une enclume sur ma poitrine et de cette inconfortable sensation de vertige.

À l'arrivée des ambulanciers j'avais retrouvé quelque peu mes esprits. J'ai le vague souvenir de leur avoir demandé à ce moment si j'avais fait une crise cardiaque. « Non. Avez-vous déjà fait des crises de panique? » C'est comme s'ils me parlaient dans une langue étrangère. « Crise de quoi? » avais-je répondu. « Est-ce que l'on peut en mourir? »

Les mois qui suivirent furent atroces. Complètement désarticulé, j'arrivais à peine à vaquer à mes occupations quotidiennes. Comme si chaque geste nécessitait un effort herculéen. Comme si la moindre petite décision se transformait en problème de trigonométrie. Cette constante impression de marcher dans de sables mouvants, de nager à contre-courant.

J'étais prisonnier d'un corps qui ne répondait tout simplement plus aux commandes. Comme si ma tête en avait eu « plein son casque » et avait décidé de fermer boutique. « Désolé. Nous sommes fermés. »

Alors que mes amis profitaient au maximum des douceurs qu'offre la jeunesse, de mon côté, je restais cloîtré dans mon petit appartement, apathique et esclave d'un flot incessant d'idées noires et d'hypocondrie.

Et c'est à ce moment que la phrase qui tue fut prononcée. Et pas par n'importe quel quidam de surcroît.

Après une énième visite à l'urgence et une énième confirmation d'un médecin que je n'avais pas fait d'infarctus ou que je n'avais pas la maladie mangeuse de chair, mon père exaspéré et désespéré de voir son fils souffrir ainsi m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit :

« Ça suffit! Prends sur toi et donne-toi un coup de pied au cul »

La phrase est tombée comme un uppercut lancé par Mike Tyson.

Drette su'l menton.

Pourtant, ce n'était pas par manque d'effort, de volonté ou par pure paresse. Mais c'est difficile, voire impossible de se donner un coup de pied au cul quand la machine est brisée, quand le mental est animé que d'une seule et unique source : la peur.

*Petite parenthèse ici. C'est physiologiquement impossible de se donner un coup de pied au cul. Vous essayerez. C'est comme toucher son coude avec la main du même côté. Mission impossible. Fin de la parenthèse.

Mais le problème, je le sais pertinemment aujourd'hui, n'était pas mon arrière-train, loin de là, mais plutôt ce qui se passait entre mes deux oreilles. Je souffrais d'une maladie mentale et tous les coups de pied au cul du monde n'auraient pu y changer quoi que ce soit.

J'avais besoin d'aide et de support. L'aide est finalement arrivée quelques mois plus tard sous forme d'un médecin qui a posé le diagnostic salvateur : dépression majeure avec trouble panique.... les petites pilules jaunes et bleues incluses.

Le support est venu d'une source tout à fait particulière et inattendue. De ma petite amie de l'époque, de ma mère, de mon frère évidemment, mais aussi plus tard, de mon père.

Mon père est issu d'une génération d'hommes pour qui la maladie mentale est l'apanage des faibles. Un homme, ça ne pleure pas. Un homme, ça ne demande pas de l'aide. Et un homme, ça ne souffre certainement pas de maladie mentale. Lève-toi, prends ton grabat et marche!

Cependant, les tabous et les préjugés envers la maladie mentale ne naissent pas tous égaux. Certains sont nés de l'ignorance ou d'un manque d'éducation. Souvent, d'un désir de se moquer, de juger. Parfois, par contre, les préjugés peuvent tenir leur source d'un puits beaucoup plus profond.

Ce jour fatidique où mon père a prononcé cette phrase qui restera gravée à jamais en ma mémoire, je me rappelle très bien avoir vu dans le bleu de ses yeux, une profonde douleur, une tristesse incommensurable. Celle d'un père impuissant devant le désespoir de son fils.

Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai saisi la réelle signification des mots lancés par mon père ce jour-là. Il s'agissait en vérité, d'un cri du cœur. Un immense gage d'amour envers son fils lancé avec les seuls mots connus et à sa disposition à l'époque.

Et c'est à ce moment également que j'ai compris que pour changer sa perception, sa vision des choses qu'il fallait que je brise le silence et que j'ouvre le dialogue avec mon père sur ma maladie mentale.

Depuis l'établissement de mon diagnostic, il y a 20 ans, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. J'ai cessé de compter le nombre d'épisodes de décompensation et de crises de panique vécus. J'en ai d'ailleurs perdu le compte. Bien que je me considère très privilégié d'être sous les soins d'un excellent médecin-psychiatre, je sais que la dépression et l'anxiété seront mon pain quotidien pour le reste de mes jours.

Mais ce qui me rassure c'est que je sais que je peux compter sur l'appui indéfectible de mes proches et de ma famille.

Et je sais également que s'il y a orage à l'horizon, mon père sera là pour me regarder droit dans les yeux et me dire : « Viens. On va en jaser. »

Albert Einstein a dit : « Il est plus facile de désintégrer l'atome que de briser un préjugé ».

Mon père n'est certes pas un physicien, mais il est la preuve vivante qu'un préjugé peut être atomisé, réduit à néant. Il suffit d'un peu d'ouverture, d'écoute et d'amour.

Mais surtout, il suffit d'en parler.

Ça ne se fait pas en criant ciseaux, mais c'est toujours mieux qu'à grand coup de pied au cul !

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