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La tête à Papineau

Cet endroit mérite mieux comme destin et doit être sauvegardé par le patrimoine du ministère de la culture. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre ça!
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Vous connaissez Louis-Joseph Papineau, du moins les grandes lignes sur le chef du parti des Patriotes. Vous savez sûrement que Papineau a eu une grande influence sur l'histoire du Québec. Il y a une avenue à son nom, mais aussi un parc, une station de métro et un district électoral fédéral qui, ironiquement, a comme député le nouveau premier ministre du Canada. Vous trouverez aussi l'œuvre de verres dans la station de métro et son visage fait une petite apparition dans le monument aux Patriotes au Pied-du-Courant. Je veux dire, le personnage est si important qu'il possède sa propre expression dans notre langage populaire.

Notre intérêt d'aujourd'hui s'arrête sur l'immeuble en sandwich entre un bâtiment de briques jaunes construit en 1940 et un bâtiment de briques brunes construit en 1927.

Le 1242 rue Saint-Denis, selon les différentes sources qui ne semblent pas s'entendre, est construit entre 1871 et 1879 par Napoléon Bourassa. Le peintre, architecte, sculpteur et professeur se voit offrir par son beau-père l'opportunité de construire sa demeure, que ce dernier offrira en cadeau à sa fille sur un de ses terrains de la rue Saint-Denis. L'épouse de Bourassa, Azélie Papineau, fille de Louis-Joseph Papineau, vient d'accoucher du cinquième et dernier enfant du couple, Henri. La vie n'est pas rose pour le couple Bourassa-Papineau et le beau-père n'a pas toujours tenu son gendre dans son cœur. Mais le vent semble changer, les contrats de portraits par le Séminaire de Saint-Hyacinthe à la fin des années de 1860 leur permettent de reprendre le dessus. Malheureusement, seulement six mois après la naissance d'Henri, l'épouse de Napoléon meurt de façon plutôt nébuleuse en mars 1869 d'une «fièvre cérébrale»; d'autres diront qu'elle est morte de dépression ou de folie. Azélie n'habitera jamais la résidence d'été de la rue Saint-Denis.

Maintenant que le contexte est installé, je vais passer les détails familiaux pour revenir à cette maison. C'est à cet endroit qu'avec son apprenti, un certain Louis-Philippe Hébert, un jeune sculpteur ayant fait des études à Rome, que les deux hommes dessinent ensemble, entre autres, les plans de la chapelle Notre-Dame-de-Lourde du 430 rue Sainte-Catherine Est et les esquisses d'un monument honorant Maisonneuve qui sera installé sur la Place d'Armes de la ville.

Hébert créera la sculpture qui ornera le dessus de la porte principale de la maison de Bourassa. Deux muses, une représentant la peinture, l'autre la sculpture. Au milieu un visage de femme qui pourrait bien symboliser l'épouse du maître. Plus haut, un masque représentant Da Vinci regarde la rue d'un œil veillant.

Mais regardez comme il faut la photo ci-bas, la géométrie de l'œuvre est brisée par un buste à la gauche. En s'y approchant on remarque que c'est la tête à Papineau, rien de moins. Cachée derrière les muses se trouve la seule et unique statue du politicien à Montréal, et seul un marcheur aguerri pourra en voir la présence. Louis-Philippe Hébert deviendra un illustre sculpteur reconnu encore aujourd'hui comme un des plus grands artistes de l'époque au Canada. Ces œuvres se retrouvent autant sur la colline parlementaire à Ottawa que sur l'Hôtel du Parlement du Québec.

Napoléon Bourassa ne se remariera jamais et élèvera ses enfants avec l'aide de la famille Papineau et surtout de sa belle-sœur, Ézilda, sœur d'Azélie. Le petit Henri passera une bonne partie de sa jeunesse entre la maison de la rue Saint-Denis et la maison familiale de Montebello. Il héritera de son père l'amour des beaux-arts et des lettres, de son grand-père celui de la politique, et de sa tante et éducatrice celui de la religion. C'est surtout la politique qui retiendra son attention, il deviendra même maire de Montebello à l'âge de 21 ans. En plus d'être un fermier dans la région, il est aussi journaliste passionné et lance plusieurs journaux à saveur sociopolitique pour les Franco-ontariens, Le Ralliement et L'Interprète. Sous les libéraux de Laurier, il est élu en 1896 député de Labelle. En signe de confiance, Wilfrid Laurier, avec l'aide de son ami Israël Tarte, propriétaire du journal La Patrie, lui trouve le poste de directeur de cette publication. Après maintes victoires et défaites dans le monde politique, Henri a comme projet de publier son propre quotidien pour y faire passer son idéologie politique. Il publia le 10 janvier 1910 Le Devoir pour y passer ces idées politiques et ses principes. La devise du journal est alors «Fais ce que dois», et il est toujours publié de nos jours.

L'après Bourassa-Papineau de la résidence est plus ou moins connu. Des sources y placent les bureaux de la Compagnie chimique franco-américaine. La compagnie pharmaceutique fait la fabrication et la promotion de pilules rouges, médicament miracle pour la tuberculose et les femmes «pâles et faibles». Cette hypothèse expliquerait le nom de l'édifice gravé au-dessus de la porte. Par contre, la seule adresse que je peux trouver pour la compagnie est le 274 rue Saint-Denis et je n'arrive pas à trouver de cartes de Montréal qui replacent cette adresse vers cet endroit précis dans l'histoire.

La première faculté de chirurgie dentaire de l'université Laval à Montréal y aurait aussi déplacé suite aux incendies majeurs avant le déménagement à l'endroit actuel dans le Pavillon Roger-Gaudry. Encore une fois, aucun signe dans les archives de l'Université de Montréal ne semble assigner la faculté exactement à cet endroit. Si vous en savez un peu plus sur ces deux hypothèses, merci de m'en glisser un mot.

La seule compagnie enregistrée à cette adresse que j'ai été en mesure de trouver dans les registres est l'éditeur d'un quotidien à saveur satirique qui y installe ses bureaux et son imprimerie. Les chroniques courtes et drôles du journal Le Perroquet dénoncent les travers de la société québécoise: il traite de sujet aussi divers que la femme, le théâtre, la médecine et le cinéma, et les caricatures y sont mordantes pour l'époque. La première parution du Perroquet fut le 13 juin 1926. Il m'a été possible de trouver d'autres petites surprises, comme une annonce pour recevoir votre horoscope personnalisé parue dans l'édition du Photo-Journal du 31 octobre 1940.

Ce que nous savons, c'est qu'aujourd'hui ce n'est qu'un immeuble locatif portant le nom «Le Franco-Américain». Malgré son poids significatif dans l'histoire du Québec, ayant vu des familles aussi importantes que les Papineau et les Bourassa y habiter et bien que ce fut l'endroit spécifique des débuts de l'illustre artiste Louis-Philippe Hébert, cet immeuble est tombé dans un anonymat complètement déconcertant.

Cet endroit mérite mieux comme destin et doit être sauvegardé par le patrimoine du ministère de la culture. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre ça!

Ce billet a été initialement publié sur le blogue ProposMontréal.

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