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Le budget Leitão, une catastrophe pour l'éducation

En tant qu'enseignant, je rêve à ce que l'école québécoise devrait être. Le gouvernement Couillard n'est uniquement préoccupé que par ce qu'elle devrait coûter.
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Il y a près de 20 ans déjà, j'ai choisi de devenir enseignant. Pour tout dire, il serait plus juste d'affirmer que c'est l'enseignement qui m'a choisi : j'avais la ferme conviction qu'il s'agissait d'un métier «particulier». J'étais un incorrigible rêveur, un perpétuel idéaliste qui croyais qu'au Québec, tout le monde percevait l'éducation comme notre principal outil d'épanouissement collectif et d'accroissement de la richesse. Pour moi, l'acte d'enseigner, parce qu'il est intrinsèquement centré sur le don de soi au service du développement d'autrui, était la meilleure manière de changer le monde un enfant à la fois.

Pour le pédagogue que je suis, dire que le récent budget Leitão m'apparaît catastrophique relève de l'euphémisme. En limitant à 0,2 % la croissance des dépenses en éducation, ce gouvernement déploie sans retenue le rouleau compresseur du néolibéralisme, cet impitoyable bulldozer en vertu duquel les besoins des individus ne se résument qu'à de triviales écritures comptables.

Dans cette optique terriblement réductrice, le gouvernement Couillard considère comme une dépense ce qui est, à long terme, un investissement. Pour illustrer mes propos, prenons un exemple aussi simple que l'achat de matériel scolaire, qui se réduit comme peau de chagrin en temps d'austérité. Veut-on vraiment nous faire croire que l'achat de dictionnaires, de manuels de sciences ou de livres de lecture n'est qu'un gaspillage sans retour sur l'investissement? Veut-on sérieusement nous convaincre qu'une vingtaine de dollars consacrés à l'achat d'un roman pèsent plus lourd que l'apport de la lecture à la culture générale et à l'imaginaire d'un enfant?

Ajoutant l'insulte à l'injure, ce gouvernement ne se limite pas qu'à priver l'école de ressources matérielles : il désagrège peu à peu tous les mandats qui lui sont confiés. Quand on choisit de sabrer dans la culture scientifique (Chapeau, les filles!) ou dans la formation artistique (Secondaire en spectacle) des enfants pour épargner moins de 300 000 $, c'est qu'on est prêt à bafouer le plaisir d'apprendre et l'éclosion de jeunes talents pour épargner bien peu. Quand l'État se prive annuellement d'une somme 200 fois plus importante (600 000 000 $) en refusant de rétablir la taxe sur le capital, abolie progressivement de 2005 à 2011 par le PLQ, il envoie carrément le message qu'il préfère faire des cadeaux fiscaux aux mieux nantis qu'éduquer les enfants du Québec.

Qu'il s'agisse de matériel scolaire, d'entretien des bâtiments, d'aide particulière offerte aux élèves en difficulté ou de programmes culturels, les coupures témoignent d'un seul et même drame : on subordonne l'apprentissage et la culture, souvent intangibles à court terme, à une logique comptable dont l'horizon se limite à une année fiscale ou à un mandat électoral. Même s'il existe des solutions favorisant le bien commun, tous les gouvernements de la planète se plient servilement aux diktats des Moody's et des Standard and Poors de ce monde. Cela s'explique aisément : il est beaucoup plus simple de faire porter le poids de l'austérité sur les épaules de la population que sur celles des banques et des corporations, dont les ramifications avec le pouvoir politique sont complexes et souvent occultes. Un bête exercice de communication publique, où l'on martèle sans cesse que "chacun doit faire sa part" et que "nous agissons pour l'avenir du Québec", suffit à justifier l'injustifiable.

Pourtant, l'histoire des peuples nous a appris que les réformes purement idéologiques sont souvent imposées par la désinformation et la "déséducation". Il n'est pas hasardeux d'affirmer que moins une société est instruite, moins elle est outillée pour analyser les choix de ses dirigeants. Négliger l'éducation condamne notre jeunesse à n'être qu'une masse informe d'individus n'ayant ni la culture ni le sens critique pour pratiquer sa citoyenneté de façon éclairée. N'est-ce pas le meilleur moyen de gouverner sans être inquiété par le peuple?

En poussant mon raisonnement plus loin, j'en viens à me poser une question brutale : se pourrait-il que les gouvernements, quels qu'ils soient, soient parfaitement conscients de ce que j'énonce dans le précédent paragraphe? Se pourrait-il qu'ils sachent qu'en éduquant nos enfants "juste assez, mais pas trop", nous créerons des individus assez instruits pour obéir aux grandes orientations essentiellement économiques de l'État, mais pas suffisamment pour en analyser toutes les nuances et pour remettre en question le modèle néolibéral qui les sous-tend? Auraient-ils compris qu'une "société hiérarchisée n'[est] possible que sur la base de la pauvreté et de l'ignorance", pour citer le tristement prophétique roman 1984 de George Orwell?

Il est clair que MM. Couillard et Coiteux feront toujours passer les agences de crédit avant les besoins de la population. Sous-financer l'éducation ne provoquera jamais un torrent de larmes à Wall Street. Il est donc nécessaire que nous, citoyens engagés, accentuions la pression pour faire de l'éducation une priorité nationale. Éduquer nos enfants, c'est d'abord et avant tout leur donner les outils nécessaires à leur réussite personnelle, mais c'est aussi leur inculquer suffisamment de jugement critique pour qu'ils remettent en question et bousculent l'ordre établi.

En tant qu'enseignant, je rêve à ce que l'école québécoise devrait être. Le gouvernement Couillard n'est uniquement préoccupé que par ce qu'elle devrait coûter. Résister, s'opposer et revendiquer un réinvestissement massif en éducation sont des devoirs citoyens. C'est pour que nos enfants aient la capacité de changer le monde, une injustice à la fois, qu'il faut se battre.

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