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Darwin contre la domination masculine dans les rapports hommes/femmes

Peggy Sastre a publié le mois dernier. Convaincue qu'on ne nourrit sa réflexion qu'avec un minimum de contradictions, je l'ai lu et annoté.
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Peggy Sastre a publié le mois dernier La domination masculine n'existe pas. Un livre au titre provocateur, "boycotté" par certaines féministes de mon entourage, "plébiscité" par d'autres, dans tous les cas promesse de réflexions et de débats piquants. Convaincue qu'on ne nourrit sa réflexion qu'avec un minimum de contradictions, je l'ai lu et annoté.

Docteure en philosophie des sciences, Peggy Sastre y explique sur la 4ème de couverture : "L'homme (avec un petit h et un pénis de taille variable) est une pourriture : c'est lui qui vole, viole, pille, tape, tue, refuse de laver ses sous-vêtements et préférerait crever plutôt que de supporter un monde où ses boniches peuvent devenir PDG. C'est la version officielle de notre histoire, mais cette histoire est fausse."

L'accroche est un brin caricaturale (c'est le principe d'une accroche). mais le fond du livre nettement moins tranché. Peggy Sastre ne nie pas, en réalité, la domination masculine dans cet ouvrage : elle l'explique, l'analyse, via un prisme résolument darwinien, son domaine de spécialité. Pour elle, une répartition des rôles s'est instaurée entre hommes et femmes, au fil de l'évolution de l'espèce humaine. Jusque-là, en fait, nous sommes d'accord, puisque l'étude du genre ne dit pas autre chose : nos habitudes d'hommes ou de femmes sont le fruit d'un conditionnement social. Pourtant, certaines de ses approches bousculent les théories féministes.

En voici quelques-unes

"Si les hommes ont le pouvoir, c'est parce que les femmes l'ont bien voulu. (...) Vous avez un utérus et votre système de reproduction vous fait courir un danger vital."

Le principe de base de la domination masculine n'est donc pas nié. L'auteure la reconnaît, puisqu'elle en fait la partie connue de son équation. Sur l'analyse, je ne le dirais pas exactement comme ça, mais dans Plafond de mère, le chapitre "la théorie de la peur" expose une idée proche : à une époque où les analyses existentialistes priment, où les femmes ont acquis l'égalité des droits, la différence majeure qui subsiste entre hommes et femmes reste effectivement liée à la biologie. C'est la source de la plupart des formes de sexisme. (J'écrivais dans Plafond de mère : "Contrairement au plafond de verre, phénomène social lié au sexe des individus, le plafond de mère prend sa source dans un événement naturel et biologique : la grossesse. De même, il peut parfois se justifier et relever même de la propre initiative de la femme concernée").

En revanche, affirmer que "les femmes l'ont bien voulu" cela me semble dévier vers du spécisme - et au demeurant, invérifiée factuellement à ma connaissance. L'histoire est au contraire jonchée de femmes qui ont voulu prendre le pouvoir et qui en ont été empêchées. Les femmes n'ont pas "bien voulu" que les hommes aient le pouvoir, néanmoins elles ont, dans l'évolution de l'espèce pour garder un vocabulaire naturaliste, contribué à une répartition genrée du pouvoir. Comme le souligne Elisabeth Badinter dans L'Amour en plus, "ce qui a poussé les femmes à reprendre en charge l'éducation des enfants au XVIIIe siècle, c'est tout simplement leur volonté de puissance." Aux hommes le pouvoir, aux femmes la puissance?

"La façon que l'on a d'appréhender le harcèlement sexuel est issue d'une idéologie féministe sourde et aveugle au réel, qui fait primer le pouvoir sur la sexualité."

"Les hommes ont toujours utilisé le pouvoir comme moyen de parvenir au sexe."

Dans ces affirmations, Peggy Sastre omet à mon sens une notion primordiale dans la question du harcèlement sexuel : la notion de consentement. Il y a harcèlement à partir du moment où des faits sont perçus comme tels, on peut d'ailleurs être harcelée par un subalterne. Le harcèlement n'est pas fatalement corrélé au pouvoir. D'ailleurs, dans Les filles bien n'avalent pas de Marie Minelli, on apprend que la plupart des femmes ne sont pas spécialement attirées par le pouvoir social des hommes, mais plus par le caractère commun à bien des hommes de pouvoir (esprit de conquête, etc.).

"Cette dichotomie stratégique explique pourquoi les hommes ont davantage tendance à percevoir des signaux sexuels dans les comportements féminins."

Peggy Sastre développe ici une idée à laquelle je ne souscris pas. Pour elle (se référant à Darwin) les "signaux sexuels" des femmes sont forcément des signaux reproducteurs : seins, hanches, etc. Elle va jusqu'à préciser que les hommes prenant comme "facteurs excitants" des signaux "non reproducteurs" (pieds, oreilles...) seraient fétichistes ou déviants. Et les femmes aimeraient les hommes de pouvoir aptes à les "protéger".

Ca soulève l'évidente question d'une approche hétéronormée de sexualité, et une vision purement "reproductive" et pas "récréative" (copyright Stéphane Rose) des rapports sexuels. Je ne crois pas, en effet, que deux hommes attirés l'un par l'autre le soient par désir de se reproduire ensemble biologiquement...

"Une loi universelle des échanges sexuels est exprimée par David Buss : personne, nulle part, n'a de désir sexuel identique pour tout le monde."

On ne peut que souscrire. Peggy Sastre se base sur cette théorie pour expliquer que "toutes" les femmes ne sont pas des cibles pour "tous" les hommes. Je rejoins cette analyse, et comme elle je crois qu'il faut en finir avec une vision "des hommes" perçus systématiquement comme des menaces pour les femmes ou des harceleurs en puissance. Même si la question des rapports non consentis du point de vue des hommes reste un sujet majeur d'études, comme je l'évoquais dans Où sont les violeurs?

D'autres idées développées dans La Domination masculine n'existe pas me donnent des frissons. Le chapitre consacré au viol est, par exemple, je le sens, une grande source de débats à venir. L'idée défendue selon laquelle le viol traumatisera plus la femme s'il atteint sa capacité de reproductrice (comme si être violée après la ménopause ou avant la puberté était moins grave), et moins s'il est proféré par une personne "de sa connaissance", me semble dangereuse, notamment dans l'approche juridique de cette question.

Certaines me semblent tout simplement en décalage avec l'état actuel des rapports hommes/femmes, l'importance accordée à la reproduction me semblant démesurée (et pourtant, je rappelle que c'est aussi mon sujet d'étude préféré...) .

En revanche, l'analyse darwinienne défendue par Peggy Sastre apporte un éclairage neuf, un paramètre rarement pris en compte dans la philosophie féministe, qui renouvelle le genre.

En connaissant mieux la source d'inégalités hommes/femmes, sans rejeter aucune vision y compris les plus tranchées, on ne pourra que mieux les combattre. Ces visions des rapports de domination entre genres peuvent être contradictoires et complémentaires. Elles n'en sont pas moins nécessaires. Ce livre en est une.

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