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Bonjour, je pense avec mon utérus

Réfléchir aux politiques publiques de petite enfance, à l'égalité entre les êtres humains, à la liberté d'aimer qui on aime y compris si c'est une personne du même sexe, vouloir que tous les enfants mangent à leur faim à la cantine: utérin, tout cela, féminin! Accessoire!
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«Vous pensez avec votre utérus.»

Un jour, un homme, pour me signifier qu'il était en désaccord avec mon propos trop «féminin-centré» pour lui, m'a posté en commentaire cette petite phrase: «Vous pensez avec votre utérus.» Il s'imaginait sans doute spirituel, fier de son bon mot, assénant son jugement condescendant: une femme qui pense, ça ne peut qu'être avec son utérus.

Réfléchir aux politiques publiques de petite enfance, à l'égalité entre les êtres humains, à la liberté d'aimer qui on aime y compris si c'est une personne du même sexe, vouloir que tous les enfants mangent à leur faim à la cantine: utérin, tout cela, féminin! Accessoire!

J'imagine que c'était là un genre de miroir féminin du «Il pense avec sa b...». Mais pourquoi avoir choisi l'utérus? Pourquoi me dire que je pensais avec mon utérus, plutôt qu'avec mon vagin, mes seins, mes trompes de Fallope, mes ovaires, mon nombril, mon chromosome Y? Comme si l'utérus était la caractéristique suprême du féminin. Tu as un utérus, donc tu es une femme.

Et tu dois te sentir insultée qu'on te remémore ce fait: tu es une femme, la preuve, tu as un utérus, et c'est une insulte. D'ailleurs l'insulte est toujours d'être une femme, ou d'être efféminé: con! lopette! pas de couilles!

Personne ne crie à un humain pour l'insulter «espèce d'homme, va!» Et personne ne considère que les hommes qui dirigent le monde entre eux «pensent avec leur b...» quand ils arbitrent voitures, coupe du monde de football, enjeux stratégiques importants, en hochant la tête, Monique vous nous apporterez trois cafés pendant ce temps? (Allant de soi que l'on ne convie pas Monique, la pauvre, elle n'entend rien aux voitures, elle sait instinctivement comment servir le café, et d'ailleurs, vous le saviez vous, qu'elle avait un UTÉRUS?)

Utérus vient du Grec ὐστέρα, «la matrice». L'utérus, c'est la matrice. La base. D'où viennent les hommes et les femmes. En mathématiques, la matrice est le système d'interprétation de chiffres... La grille de base de la compréhension. Comprendre l'utérus, ce serait comprendre les femmes?

Les documents historiques faisant état de bûchers où ont brûlé des sorcières au Moyen Âge mentionnent une "possession du malin" par leur utérus: celui-ci, non utilisé, improductif, serait rempli par le Diable. La seule solution pour les sauver de l'hystérie serait alors le mariage. La femme qui n'utilise pas son utérus mériterait donc d'être brûlée pour sorcellerie, la femme qui l'utilise mériterait d'être rabaissée avec la condescendance du «paternalisme lubrique»: «ah, ah, elle a un utérus», équivalent adulte (?) du «qu'est-ce que t'as, t'as tes règles?»

L'utérus reste le dernier tabou. La littérature disponible sur les règles et les cycles menstruels évoque d'ailleurs peu l'utérus. Si bien que des générations de jeunes femmes ont leurs premières règles sans même savoir d'où provient exactement le sang, «du ventre», «du vagin»... peut-on lire sur divers sites et dans divers livres, et qu'on représente encore le sang menstruel comme un liquide bleu dans les publicités...

L'utérus est au cœur des théories féministes: pour les essentialistes, il justifie à lui seul toutes les différences entre hommes et femmes. Le rapport entre les femmes et leur utérus reste complexe. Pour écrire ces Lettres à mon utérus, j'ai sollicité des artistes, journalistes, comédiennes, féministes, spécialistes de l'érotisme ou de la maternité ou des deux. Toutes ces femmes talentueuses n'ont pas choisi entre les deux facettes de la femme présentée par les médias.

Elles y analysent la dichotomie maman/putain qui régit encore notre espace médiatique, l'ordre social et religieux qui veut que la femme, parce qu'elle a un utérus, est toujours un genre de déclinaison de l'Homme, l'éternel masculin neutre!

Une brillante journaliste d'Arte appelle son utérus Britney, une femme transsexuelle s'adresse à l'utérus qu'elle n'aura jamais, des utérus sont remerciés, congédiés, sacrifiés, implantés, opérés, une «fille DES» nous raconte comment elle est devenue une jeune maman, on les compare à des montres connectées, on se demande pourquoi on étudie les cycles lunaires et si mal les cycles utérins, on leur écrit des poèmes et on se sert d'eux pour faire des pieds-de-nez.

Décidément, l'utérus est bien un organe protéiforme, et celui qui se prête le mieux à une nouvelle philosophie féministe... qui assume de penser, aussi, l'utérus.

L'ouvrage collectif Lettres à mon utérus paraît le 24 mars aux éditions La Musardine.

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