Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'Afrique au défi de la démocratie?

Alors que l'Europe est à la peine, et malgré un contexte international déprimé, le rapport "Perspectives Économiques en Afrique 2013" prévoit cette année une croissance supérieure à 7% pour 12 économies africaines.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Aujourd'hui, «l'émergence» économique de l'Afrique fait la une des journaux, mais on ne peut comprendre la performance économique d'un pays indépendamment des mouvements sociaux et politiques qui l'animent. Alors que l'Europe est à la peine, et malgré un contexte international déprimé, le rapport Perspectives Économiques en Afrique 2013 prévoit cette année une croissance supérieure à 7% pour 12 des 54 économies africaines... Cette trajectoire économique positive en cache une autre, moins médiatisée: les dix dernières années ont aussi été celles d'une transformation remarquable des relations entre gouvernements et citoyens en Afrique. Terrorisme au Kenya, guerre au Mali, troubles en Égypte..., le flux de l'actualité complique l'analyse des tendances longues sur un continent qui compte des pays très différents. C'est pourquoi, en plus de suivre les variations des agrégats économiques, nos Perspectives mesurent depuis des années, pays par pays, l'intensité des tensions civiles sur la base d'une analyse des dépêches quotidiennes vérifiées de l'AFP et Reuters, en distinguant les violences commises par des acteurs non gouvernementaux et les protestations comme les grèves et manifestations, qu'elles soient motivées par des raisons politiques, économiques ou sociales (Figure 1). La méthodologie et l'analyse complètes sont disponibles ici.

Figure 1. Indices des protestations et des violences civiles, 1996-2012 (base 1996 = 100)

Source: Centre de développement de l'OCDE (d'après des informations AFP)

Que nous apprend l'analyse de ces évolutions? Depuis la fin des années 1990, l'intensité des protestations a connu trois mouvements successifs: une réduction de moitié jusqu'en 2005; une remontée suite à la flambée des prix alimentaires et des carburants en 2006-09; puis une augmentation forte à la suite des révolutions des «printemps arabes». Cette augmentation des manifestations et grèves peut être lue comme l'affirmation politique progressive des citoyens africains.

Ces manifestations se font par ailleurs moins violentes, de nombreux groupes d'acteurs civils se convertissant à des modes de revendication politiques, sociaux ou économiques plus pacifiques. Autre fait notable : si certains gouvernements ont recouru à la violence pour disperser les manifestants, la plupart ont fait preuve d'une ouverture croissante et autorisé une liberté d'expression accrue face à ces protestations. Quant aux revendications des manifestants, l'analyse des dépêches montre qu'en 2012, 35% d'entre elles étaient d'ordre économique, les revendications salariales étant les plus fréquentes (23%). Le manque d'emplois décents et le partage insuffisant des fruits de la croissance de la décennie écoulée sont source de frustration et d'instabilité. Les "émeutes de la faim" qui ont éclaté notamment en 2006/07 dans plusieurs pays en sont une illustration marquante. Dans le cas des révolutions d'Afrique du Nord en 2011, les frustrations engendrées par des décennies de privation des droits civils ont été amplifiées par le manque d'opportunités et de perspectives, notamment pour les jeunes.

Deuxième tendance, plus préoccupante: alors que l'indicateur moyen des violences civiles avait baissé pour atteindre en 2009 un indice quatre fois inférieur à sa valeur de référence en 1996, elle a rebondi suite aux printemps arabes, pour revenir en 2010 à son niveau de 1996 (alors que dans le même temps l'intensité des manifestations, elle, a doublé par rapport à 1996). Ainsi, en parallèle du recours plus fréquent aux moyens de revendication démocratiques, la période récente voit également une recrudescence des violences civiles, et l'émergence de tensions entre groupes sociaux, notamment lors des périodes électorales. Depuis les années 1990, un nombre sans cesse croissant de pays africains ont en effet organisé des élections, légalisé le multipartisme et fixé des limites temporelles aux mandats électoraux de leurs dirigeants.

Tous les citoyens africains - à l'exception des ressortissants de l'Érythrée et de la Somalie - peuvent désormais désigner leurs dirigeants par l'intermédiaire d'un processus électoral. Mais ces élections sont souvent des périodes de tension, voire d'instabilité. Même des pays à longue tradition démocratique, comme le Sénégal ou le Ghana, en ont fait récemment l'expérience. Entre 2000 et 2012, un quart au moins des scrutins ont été marqués par des troubles. La marginalisation ethnique ou les tensions liées à la propriété foncière posent un risque à ce que des dirigeants, s'accrochant au pouvoir, attisent des rivalités entre différentes factions. La démocratie reste ainsi un acquis fragile en Afrique. Le coup d'État militaire au Mali et l'empêchement des scrutins en Guinée, en Guinée-Bissau, en Mauritanie et au Togo nous le rappellent.

La bonne performance économique de l'Afrique des dix dernières années s'accompagne ainsi d'une relation complexe entre citoyens et gouvernements : d'une part, les premiers hésitent de moins en moins à exprimer leurs doléances de manière pacifique, en dehors des processus électoraux, encouragés par une baisse tendancielle de la répression par les gouvernements ; d'autre part, les élections polarisent une partie de la violence entre groupes sociaux, qui redouble sur la période récente. On peut en tirer deux conclusions : premièrement, la bonne performance des économies africaines condamne en quelque sorte leurs gouvernements à la réussite: à défaut de progrès rapides vers une croissance plus inclusive -création massive d'emplois décents, amélioration des services publics, etc.-- ils devront faire face à un accroissement des revendications citoyennes pour plus d'opportunités économiques et sociales d'autant plus rapide que l'Afrique continue de connaître une poussée démographique forte; de 200 millions aujourd'hui, la jeunesse africaine (les 15 à 24 ans) passera à 400 millions en 2035. Deuxièmement, au-delà de la tenue d'élections, il faut décupler efforts pour asseoir la démocratie sur des bases institutionnelles transparentes, respectueuses des droits sociaux et politiques des citoyens.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

"Les signataires par le sang" de Mokhtar Belmokhtar

Les mouvements islamistes en Afrique

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.