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Lettre ouverte d'un cycliste à Daniel Beaulieu le camionneur

Je veux te parler franchement, à cœur ouvert. Je m'appelle Mario, je viens juste d'avoir 57 ans. J'habite Longueuil et je vais travailler en vélo, douze mois par année.
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Salut Daniel,

Salut toi qui fréquentes L'heure juste du camionneur,

Salut toi qui écoutes Daniel sur Truck Stop Québec,

Je veux te parler franchement, à cœur ouvert. Je m'appelle Mario, je viens juste d'avoir 57 ans. Je travaille pour une entreprise de transport en commun dans un bureau au centre-ville de Montréal. J'habite Longueuil et je vais travailler en vélo, douze mois par année.

Je suis dans la grande région de Montréal depuis 1990, mais avant j'ai grandi et habité dans les régions. Principalement l'Outaouais, mais aussi l'Estrie, le Saguenay, la Beauce.

Mon père, mort en 1999, a longtemps été chauffeur d'autobus à Gatineau (Hull, dans le temps), puis camionneur pour des compagnies comme Molson et des entreprises de transport (je me rappelle d'Overnite Express dans les années 1970). Il faisait surtout du local Gatineau-Saint-Jérôme. À 15 ans, ma job d'été, c'était de remplir des 45 pieds chez Larivière Transport à Gatineau (Templeton) avec un lift manuel. Mon beau-père, nouveau retraité, était opérateur de machinerie lourde. Mon beau-frère fait du local dans le centre du Québec.

J'ai le plus grand respect pour vous et le travail essentiel que vous faites pour la société. Jamais je ne rirai de quelqu'un parce qu'il fait des fautes en écrivant, sauf s'il reprend les autres.

Mon père avait une 5e année. Pas un secondaire 5: une 5e année. Cet homme-là - et ma mère - a fait tous les sacrifices pour que ses cinq enfants aillent à l'école et ne manquent de rien. Je suis certain que tous les papas - et les mamans - qui suivent L'heure juste du camionneur et écoutent TSQ sont pareils. Même si je travaille dans un bureau, je fais aussi tout pour ma puce de 5 ans qui va commencer l'école en septembre.

Tu vois, on a probablement plein de choses en commun. Mais tout ce que le monde voit c'est «un gars sur un bécyk habillé en tapette qui suit pas le Code de la route».

Je ne peux pas entrer dans tous les détails de tout ce qui cloche avec le Code de la sécurité routière du Québec. Ce code a été adopté essentiellement pour les véhicules-moteur. Le CSR a été adapté tant bien que mal pour tenir compte des personnes qui se déplacent à vélo. On a voulu en faire un «one size fits all» sous prétexte qu'ils empruntent les mêmes routes, quand ce sont deux modes de déplacement complètement différents.

Il y a une révision du Code dans l'air cet automne. Espérons qu'au terme de celle-ci, le CSR sera mieux adapté à cette réalité en expansion: la place des utilisateurs de bicyclette, que ce soit utilitaire (se rendre au travail, faire ses courses, reconduire son enfant à la garderie) ou encore de loisir (le cyclotourisme, le vélo de compétition).

Je vais en passer quelques-uns en revue, si tu le permets.

Les stops et les feux rouges

Il y a quelques semaines, tu as fait un vidéo où - tu l'avoues toi-même - tu n'étais pas à ton meilleur et capotais sur un gars qui ne faisais pas ses stops dans une rue de banlieue. C'est un des exemples parfaits de ce qui cloche dans le CSR.

Quand on se déplace à vélo, parfois on doit s'immobiliser, mais c'est loin d'être toujours nécessaire. Par exemple, lorsque je m'apprête à arriver à un quatre stops et qu'une voiture me précède, je vais ralentir et lui faire signe d'y aller, puis je me remets à pédaler pour franchir l'intersection et passer avant celui qui est arrivé après moi. Je n'ai pas fait de stop, mais j'ai quand même respecté l'esprit de la loi. L'idée c'est que chacun reparte dans l'ordre où il est arrivé à l'intersection.

Des groupes réclament qu'à vélo, comme ça se fait déjà ailleurs, les panneaux d'arrêt soient considérés comme des «céder le passage». Parce que s'immobiliser ne demande pas la même dépense d'énergie à vélo que lorsqu'on n'a qu'une petite pédale sur laquelle peser.

Non pas que ce soit une justification, mais les conséquences en cas de collision ne sont pas les mêmes non plus. À la blague, je dis: «C'est quoi la différence entre un cycliste et un automobiliste qui ne fait pas son stop?» Une tonne et demie. Avec les différences qu'on peut imaginer en cas d'impact.

Une fois qu'on a dit ça, des erreurs de jugement, ça arrive. Tout le monde en fait. Ça ne fait pas de cette personne un délinquant récidiviste, juste une personne qui s'est trompé, comme ça nous arrive à tous.

Il y a des places dans le monde où démarrer à un feu rouge, particulièrement pour un virage à droite alors qu'on se trouve déjà à l'extrême-droite de la chaussée, est accepté. Deuxièmement, après s'être immobilisé, vaut mieux, pour sa sécurité et la fluidité de la circulation, que le cycliste dégage l'intersection avant les autres, par exemple en décollant sur le feu piéton (ou la petite main qui clignote), une fois que les personnes à pied ont traversé. Ou encore lorsque le feu dans l'autre sens passe au jaune et qu'aucun véhicule vient dans l'autre sens. Petite démonstration ci-dessous.

Certains ne verront qu'un cycliste qui brûle la rouge alors qu'il ne fait que «fluidifier» l'intersection en n'étant plus dans les jambes des automobilistes qui suivent. La vue arrière ci-dessous le démontre bien.

Les pistes cyclables

Je les emprunte quand elles sont bien entretenues, sécuritaires, qu'elles vont où je vais et qu'il n'y a pas trop de monde. Bref des fois oui, des fois non. Tout comme il y a des pros et des amateurs sur la route, c'est pareils sur les pistes cyclables. Je roule en moyenne à 27 km/h en ville. C'est à peu près 10 km/h de plus que la moyenne sur les pistes. À cette vitesse-là, rouler sur un piste congestionnée à l'heure de pointe, c'est trop risqué pour les autres et pour moi. Je suis plus à l'aise dans la rue. En 25 ans de vélo à Montréal, la seule fois où je suis entré en collision avec quelqu'un d'autre, c'est dans une piste cyclable quand l'autre a changé de voie sans avertir.

Plusieurs pistes sont mal conçues et je ne les emprunte pas. La Direction de la santé publique du Québec et le ministère des Transports estiment maintenant qu'il ne devrait pas y avoir de pistes bidirectionnelles - celles où se croisent dans la même piste des cyclistes allant dans des sens opposés. Je ne suis pas un saumon qui fraie et je ne roule pas dans une piste où je vois des automobiles et même de autobus qui viennent dans ma direction. Je préfère circuler dans le sens du trafic, dans la rue, même si la piste est juste de l'autre côté de la rue.

Autobus dans piste Lafayette

Et on ne parle même pas de ceux qui traitent les pistes cyclables comme des stationnements alternatifs: aller chercher des cigarettes au dep'; s'y arrêter pour texter sur leur cell; livrer un colis; parquer le pick-up et le trailer pour faire une job de tondeuse et de taille-bordures, attendre quelqu'un «juste une minute» au lieu de rentrer dans son entrée de cour, etc. Même l'autobus du premier ministre du Canada ne les respecte pas. On voit que les pistes cyclables ne sont pas la réponse à tout.

Circuler sur les routes à trois chiffres (138, 132, 116, etc.)

À part les locaux qui l'empruntent pour se rendre au village chercher un pain, qu'est-ce qu'on rencontre?

Des personnes qui font du cyclotourisme et visitent le Québec. Parfois elles empruntent la Route verte, mais ça arrive aussi qu'elles doivent prendre les routes pas vertes. Qu'elles viennent de l'étranger ou d'une autre région, elles veulent profiter de nos attraits. Elles vont dépenser leur argent ici: pas à Cuba, pas en Italie. Ici. Elles vont faire rouler l'économie locale, faire travailler du monde. Grâce à elles, des camionneurs vont continuer à faire des livraisons pour approvisionner les dépanneurs, les restos, les hôtels.

Un autre groupe, ceux qui s'entraînent: les cyclosportifs, les triathloniennes. Y'en a que c'est la chasse et la pêche; la motoneige; le quatre-roues ou le camping. Eux, leur façon de se détendre, c'est de se dépenser en se tenant en forme en roulant 40-50 km/h - sur le plat - en faisant une boucle 75-100-150 kilomètres le dimanche ou en vacances. Ils peuvent le faire seul, à deux ou à douze. S'ils ne sont pas à la file indienne, c'est qu'on préfère voir un peu plus loin devant que le derrière de celui qui nous précède. D'habitude celui qui se trouve derrière signale l'approche d'un véhicule et les autres se rangent alors en file. Vu de loin, on dirait qu'ils sont trois de large, mais ils ne sont habituellement que décalés. C'est pas toujours ça, mais est-ce une raison pour vouloir lui rouler dessus?

Certains voudraient qu'ils laissent les routes pour aller rouler ailleurs, loin des routes. Le problème c'est qu'il n'y en a qu'un circuit Gilles-Villeneuve, et tous les cyclistes ne vivent pas à Montréal.

Mettons que ces cyclosportifs ou ces cyclotouristes se trouvent sur une route où l'accotement n'est pas suffisamment large et qu'ils roulent côte à côte pour jaser, comme le font deux personnes assises dans la même voiture, et qu'ils font l'équivalent en largeur d'une voiture ou un tracteur de ferme, est-ce vraiment si difficile d'être patient comme on l'est pour de la machinerie lourde, ralentir, changer de voie et dépasser quand la situation le permet?

En conclusion (pour tout de suite)

Je crois qu'une partie de celles et ceux qui critiquent les cyclistes ne le font pas parce qu'ils veulent que les routes soient plus sécuritaires, mais tout simplement parce qu'ils n'acceptent pas leur présence. Ils n'acceptent pas qu'ils roulent sur les mêmes routes qu'eux, ils n'acceptent pas ce mode de transport alternatif et voudrait que ce soit pareil-pareil. Pourtant, on voit bien que ce sont deux objets entièrement différents. La preuve, on peut embarquer un vélo sur son char, pas l'inverse. Deux affaires. Pas pareilles.

Il faudra que les lois, les infrastructures et le comportement de tous changent pour en tenir compte.

Quand je lis certains des commentaires sur le site Facebook de L'heure juste du camionneur - tout comme des commentaires dans les site web de médias - ça me fait peur. Tellement que j'ai deux caméras de montées (avant et arrière) sur mon vélo de vélo-boulot. C'est pas normal. On dirait que parce que certains ont vu des personnes à vélo commettre des infractions au Code de la route, ils sont prêts - peut-être pas à leur rouler dessus - mais à leur faire une bonne frousse en les frôlant, quitte à ce qu'ils se retrouvent dans le fossé, les jambes et les bras en sang.

C'est sans compter tous ceux en ville qui te
pitchent
des canettes, te crachent dessus, klaxonnent, te crient après pour que tu «décâlisses su'a pissiclab».

Pourtant, chaque cycliste, c'est un char de moins dans le trafic, ce qui devrait faire votre affaire. Je t'invite à faire une semaine de vélo en ville pour comprendre pourquoi on peut être parfois un peu «crinqués».

Tous ceux qui nous demandent de respecter le Code de la route sont-ils prêts à dénoncer et faire des vidéos de ceux qui roulent à plus que la vitesse maximale de 100 km/h sur l'autoroute? Maximum 50 dans les zones de 50, maximum 30 dans les zones de 30? Ceux qui n'immobilisent pas les quatre roues de leurs véhicules à tous les arrêts? Ceux qui dépassent la ligne d'arrêt? Ceux qui ne respectent la priorité aux passages piétonniers? Ceux qui n'actionnent pas suffisamment d'avance leur clignotants - quand ils le mettent? Ceux qui ne laissent pas un espace suffisant pour le dépassement sécuritaire d'un vélo? Ceux qui se garent à moins de 5 mètres d'une intersection?

«Un mort, c'est un mort de trop» que tu dis toujours, Daniel. Alors toi, celle ou celui qui fréquente L'heure juste du camionneur et écoute Truck Stop Québec, moi, pourquoi ne pas tous nous conduire pour éviter ce mort de trop, qui pourrait être la fille du meilleur chum, le préposé qui s'occupe de sa mère au CHSLD, l'entraîneur de soccer du plus vieux ou un camionneur à la retraite et sa femme qui font le tour de la Gaspésie et qui roulent sur la 299?

Merci.

Cette lettre ouverte a également été publié sur le blogue personnel de Mario Grenier, ZigZagSouk

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