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Le rapt du nous. Le rap du vous.

Je suis de ceux qui déplorent l'engagement citoyen qu'une fois tous les quatre ans. S'il faut agir vigoureusement pour secouer notre démocratie, l'alternative proposée par la CLASSE - la démocratie directe sollicitée à chaque instant - ne me paraît pas constituer une démarche très responsabilisante.
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CAPTURE D'ÉCRAN

Le document publié par la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante qui porte le titre « Nous sommes avenir » serait un manifeste de la CLASSE aux yeux de plusieurs intervenants. Il s'agit bien d'un texte pamphlétaire en prélude d'une tournée de mobilisation, motivée par la volonté d'élargir un mouvement initié par « une grève » étudiante ce printemps.

« Ce qui a commencé comme une grève étudiante est devenu une lutte populaire : la question des droits de scolarité nous aura permis de toucher à un malaise plus profond, de parler d'un problème politique d'ensemble. Parce que, oui, il s'agit d'un problème d'ensemble. Et pour y répondre, il est temps de remonter à la racine du problème, de donner corps à notre vision. »

Les expressions « grève sociale », « syndicalisme de combat » et « marchandisation des individus » me paraissent représentatives du ton du document. Les premières réactions se sont concentrées sur l'utilisation d'un pompeux « Nous sommes le peuple » qui a fait réagir Mathieu Bock-Côté en particulier. Dans son billet « Message à la CLASSE : non, vous n'êtes pas le peuple », il incarne assez bien la critique qui n'a pas tardé à se manifester sur cette tentative de s'accaparer le « nous »...

« Vous êtes une organisation militante située à gauche de la gauche, une organisation très radicale, qui représente ses membres, mais pas au-delà (et encore là, il faudrait voir si le fonctionnement très problématique de ce qu'on appelle la «démocratie étudiante» ne donne pas à la Classe plus de membres qu'elle n'en a réellement). Vous dites que le parlement ne représente pas vraiment le peuple. Et vous, d'où vient votre prétention à être le peuple ? Il y a bien des limites à dire n'importe quoi. »

Ce texte contient des passages séduisants avec lequel je me sens plutôt à l'aise. Qui sera contre une « prise en charge permanente de la politique par la population » ? Qui s'opposera de front à la formule trouvée pour baliser à la fois l'exploitation minière et sexuelle ?

« Nous avons réalisé que notre sous-sol ne se mesure pas en tonnes de métaux et que le corps d'une femme n'est pas un argument de vente. »

Il y a plusieurs autres de ces habiles passages qui font écrans dans un texte qui veut essentiellement faire passer la démocratie représentative pour une tare qui n'a plus sa raison d'être.

Je suis de ceux qui déplorent l'engagement citoyen qu'une fois tous les quatre ans. S'il faut agir vigoureusement pour secouer notre démocratie, l'alternative proposée par la CLASSE - la démocratie directe sollicitée à chaque instant - ne me paraît pas constituer une démarche très responsabilisante. À force de présenter la démocratie représentative en stimulant la démagogie et en lui accolant l'irresponsabilité, on tombe dans un travers qui finit par devenir embarrassant : la seule et véritable démocratie serait celle qui consisterait à interroger le peuple aussi souvent que possible.

La CLASSE a prouvé ce printemps que la démocratie directe est très utile quand on souhaite faire de l'obstruction. Certains leaders d'opinion n'avaient aucune gêne à invoquer le caractère anarchiste de leur démarche qui consiste trop souvent à ne plus pouvoir se montrer responsable individuellement étant tributaire de l'ensemble. Pas de condamnation possible de la violence, pas en mesure de se prononcer sur des offres de règlement de conflit puisqu'il faut interroger les membres avant de bouger. Le modèle de société proposé dans le « Nous sommes avenir » de la CLASSE ressemble bien davantage à un déni de la responsabilité individuelle qu'autre chose.

La version préliminaire du « manifeste » annonçait un plaidoyer encore plus fort envers le syndicalisme de combat et c'est probablement ce qui explique que la CLASSE obtienne autant d'attention - et d'argent - des groupes de pression et des grandes centrales syndicales. Quand on analysera la façon dont le gouvernement Charest de 2012 a composé avec le mouvement étudiants dans quelques années, on sera obligé d'être très sévère avec lui tellement il a livré à la CLASSE bon nombre des étudiants contre la hausse et plusieurs des gens à gauche de l'échiquier politique, incluant les étudiants membres d'associations marginales et les membres de la FEUQ ou de la FECQ. On ne peut pas blâmer la CLASSE d'avoir profité du besoin de Jean Charest d'instrumentaliser le conflit pour se positionner avant un scrutin devancé pour éviter de faire face à la Commission Charbonneau, mais on peut trouver ironique le fait que cette tirade de la CLASSE dénonce cette même instrumentalisation; ne pousserait-on pas un peu fort...

Si la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante a l'initiative actuellement, c'est bel et bien parce que Jean Charest s'est servi de l'impraticabilité de la démocratie directe et ainsi justifier son incapacité à régler le conflit. Était-il vraiment motivé à le faire ?

Résultats : nous n'entendons plus que le rap du « vous », sur le dos des méchants adversaires, dans une lutte devenue populaire... La démocratie ne respirerait que dans la rue ! Au sein des institutions, entreprises et organisations en 2012, « vous » êtes contre l'égalité des femmes, contre les travailleurs et contre l'environnement et surtout, contre la gratuité, écrit-on. Vous êtes pour les bâtons, le poivre et les gaz lacrymogènes ! Vous êtes aussi pour une « juste part », symbole suprême de DISCRIMINATION !

Lise Ravary a assez bien démontré que le pire est à venir : il faudra se réunir en assemblée générale entre étudiants pour se demander si on reconnaîtra la légitimité des prochaines élections générales !

Personnellement, je suis prêt à débattre sur le fond avec des représentants de la CLASSE que ce que nous avons construit au Québec par la démocratie représentative n'est pas la saloperie de merde qu'on nous décrit.

S'il y a de nombreux problèmes à résoudre, la révolution proposée ne doit pas s'incarner dans un vol en pleine rue d'un « nous » exclusif sur une musique de dénigrement systématique et accusatrice d'un « vous » évasif !

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