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Funérailles nationales: un privilège réservé aux hommes

J'aimerais soulever que les neuf personnalités bien de chez nous ayant bénéficié de funérailles nationales à ce jour sont des hommes. Neuf en neuf. 100%. Dites-le comme vous le voulez.
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Ça m'avait frappé, déjà, lors du décès de Jean Béliveau, il y a un peu plus d'un an. Ça m'est revenu avec celui de René Angélil cette semaine. Non, je ne parle pas du côté très «sport et divertissements» des personnalités québécoises ayant eu droit à des funérailles nationales, puisque, sur cette liste select, les hockeyeurs et - cette fois-ci, un gérant d'artistes - côtoient des peintres de renom, des poètes et un cinéaste de talent.

Je n'ai pas tellement envie non plus de revenir sur la pertinence d'offrir au gérant de Céline Dion de telles funérailles, d'autres avant moi ont avancé des arguments en défaveur de l'initiative auxquels je souscris totalement. Entre autres, sur la page Facebook de la maison d'édition Lux, on peut lire la déclaration suivante :

«Nous sommes favorables aux funérailles nationales pour le citoyen Angélil si parmi les preuves de sa loyauté et de son amour pour le Québec se trouve la déclaration de ses revenus au fisc, et non leur évasion dans les paradis du sud, ou simplement dans ce paradis des milliardaires qu'est son pays d'adoption, les États-Unis. On dit ça, parce qu' "engager des musiciens québécois et donner à la Fondation Sainte-Justine", ça nous semble un peu court comme manifestation remarquable de patriotisme.»

Toute féministe que je suis, en mettant mes lunettes roses, je pourrais dire que c'est Céline Dion et son rayonnement exceptionnel (qu'on aime l'artiste ou non) que l'État tente de souligner à travers lui. Malheureusement, il semble de plus en plus évident que l'on souhaite, à l'inverse, honorer René Angélil précisément pour le succès de la chanteuse, puisque, comme je l'ai malencontreusement lu à de nombreuses reprises ces derniers jours, plusieurs considèrent qu'il est «l'homme qui a fait Céline». Comme si le talent de cette dernière n'était pas la plus essentielle des variables de l'équation!

M'enfin, et c'est là l'essentiel, j'aimerais soulever que les neuf personnalités bien de chez nous ayant bénéficié de funérailles nationales à ce jour sont des hommes. Neuf en neuf. 100%. Dites-le comme vous le voulez.

Voici précisément la liste que m'a fournie lundi matin la Direction des communications et des affaires publiques du gouvernement du Québec, en ordre chronologique selon la date de tenue de la cérémonie:

1. Gaston Miron, poète. 21 décembre 1996

2. Camille Laurin, ex-ministre. 16 mars 1999

3. Maurice Richard, sportif. 31 mai 2000

4. Jean-Paul Riopelle, artiste peintre. 18 mars 2002

5. Louis Laberge, syndicaliste. 24 juillet 2002

6. Claude Ryan, ex-ministre. 13 février 2004

7. Gilles Carle, cinéaste. 5 décembre 2009

8. Claude Béchard, ex-ministre. 11 septembre 2010

9. Jean Béliveau, sportif. 10 décembre 2014

Pourtant, l'histoire récente du Québec ne manque pas de femmes méritoires. Rapidement, j'ai tout de suite pensé à la formidable Madeleine Parent (1918-2012), sans oublier l'incontournable Anne Hébert (1916-2000). Eh ben non, aucune de deux n'a eu droit aux honneurs.

Puis, j'ai consulté Gabriel Martin, qui dirige le «Petit dictionnaire des grandes Québécoises» à paraître plus tard cette année, dans lequel on trouvera les portraits biographiques de 100 femmes marquantes de l'histoire du Québec (disclosure, je collabore à cet ouvrage en signant le portrait de Marie-Claire Kirkland-Casgrain).

Sur ces 100 femmes, il m'a fourni la liste de celles décédées depuis les années 1950, que j'ai écourtée ici à celles décédées à partir de la deuxième moitié des années 1990, puisque j'ai découvert en chemin que les premières funérailles nationales avaient eu lieu en 1996.

Finalement, j'ai (subjectivement) sélectionné les neufs femmes qui me semblaient les plus connues, puisque j'ai constaté que funérailles nationales riment non seulement avec accomplissements, mais aussi notoriété:

1. Pauline Julien, chanteuse et militante (1928-1998)

2. Anne Hébert, auteure (1916-2000)

3. Léa Roback, syndicaliste et militante (1903-2000)

4. Marcelle Ferron, artiste visuelle, signataire du Refus global (1924-2001)

5. Hélène Pedneault, auteure et militante (1952-2008)

6. Nelly Arcan, auteure (1973-2009)

7. Azilda Marchand, militante (1918-2010)

8. Madeleine Parent, syndicaliste et militante (1918-2012)

9. Claire Martin, auteure (1914-2014)

Voici donc neuf femmes qui comptent des accomplissements remarquables. Croyez-vous sincèrement qu'aucune d'entre elles, zéro, ne méritait des funérailles nationales? Je veux bien que le sexe d'une personne ne soit pas un critère de sélection pour les décréter et ça me va, mais je n'en pense pas moins que le fait que la totalité des personnes en ayant bénéficié soient des hommes en dit beaucoup sur nous collectivement et sur le chemin qu'il reste à parcourir.

J'ai écrit l'automne dernier ce billet dans lequel je dénonçais le peu de rayonnement des femmes et de leurs accomplissements dans les médias en citant l'exemple de la défunte émission de télé 125 Marie-Anne, où elles formaient seulement le quart des invités de toute la saison 2015. J'écrivais alors:

«L'idée n'est surtout pas de planter une émission et une animatrice que j'adore, mais de se demander, collectivement, comment le fait d'inviter une forte majorité d'hommes à presque chaque épisode, durant toute la saison de 15 semaines, puisse être considéré comme tout naturel. Suis-je la seule à l'avoir remarqué? [...] Le réel problème n'est pas tant le manque d'invitées féminines à cette émission - ça, c'est juste le symptôme - , mais bien le peu de place et de valeur qu'on accorde à la parole des femmes, problème persistant s'il en est un.»

L'invisibilité médiatique des femmes, tout comme le manque de reconnaissance et de valeur accordé à leurs accomplissements, s'inscrivent dans la problématique du plafond de verre auquel elles sont professionnellement confrontées.

Pourtant les femmes sont bien là, engagées. Nombreuses contribuent positivement à notre société. Mais leurs efforts ne rayonnent pas, ne sont pas reconnus. Il faut dire que de lutter contre le sexisme et la discrimination vous rend rarement populaire auprès des décideurs en place, qui sont pour la grande majorité des hommes. Ceci explique probablement cela. De fait, il s'agit d'une couche supplémentaire de sexisme, puisqu'à l'invisibilité objective s'ajoute l'indifférence complaisante.

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