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Bedon maudit ou l'hypocrise de la mode pour femmes «rondes»

J'affiche, selon les standards de beauté de notre société occidentale, ce qu'on appelle un surpoids. Ouin, pis?
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La dernière année fut tissée de malchance en ce qui me concerne. Je me suis fait frapper par un camion. J'ai eu une fracture du bassin et de la hanche. J'ai dû avaler une foule de médicaments et rester allongée. Puis, il m'a fallu me faire balader en fauteuil roulant. J'ai évidemment été forcée d'arrêter le vélo et la course à pied. Dans l'ordre et dans le désordre, j'ai pris une trentaine de livres dans le temps de le dire.

J'ai pris des seins (joie!), des fesses (sexy!), mes cuisses se sont arrondies et... mon ventre aussi. Ne serait-ce de ma consommation assidue de vin, bière et autres boissons alcoolisées, le premier venu pourrait me confondre avec une jolie génitrice en devenir. Seule ma balance se réjouit de pouvoir afficher autre chose que les sempiternelles 130-135 livres habituelles, qui demeuraient inchangées depuis mes années de collège.

Les joies du bikini

Récemment, à Cuba, j'étais étendue sur une chaise longue au bord de la mer. La seule chose qui me préoccupait, c'était ce ventre désormais volumineux, rebondi. Étais-je futile, coupable d'un excès de conscience de soi (self-consciousness) ? Je ne le crois pas.

La société des apparences indique aux femmes que leur valeur est liée à leurs atouts physiques et qu'il faut à tout prix demeurer jeune et mince. Or, il se trouve que je suis de moins en moins jeune et de plus en plus grosse. Étendue sur le dos, tentant la position la plus avantageuse, mon ventre était toujours ample, comme soufflé, pointant outrageusement vers le ciel. Impossible de ne pas le voir, de faire semblant que ce nouvel appendice ne m'humiliait pas.

Des mensonges, toujours plus de mensonges

Je suis une ex-mince, qui réalise a posteriori le privilège que cela constitue en le perdant. Je suis une ex-jeune, hétérosexuelle, qui, bientôt, n'existera plus dans le regard des hommes de moins de 40 ans. Je suis désormais l'amie, de celles qui ont une «belle énergie», de moins en moins baisables. C'est à la fois navrant et soulageant. Devenir invisible, doucement, mais indéniablement, est de toute façon inévitable.

J'ai jusqu'à flirté avec la mode pour femmes rondes sur le site d'épinglage Pinterest en vue d'accepter ma nouvelle «condition». Mon Dieu, que ces mannequins «taille plus» sont belles avec leur grain de peau parfait, leurs visages sans rides, leur perfection éblouissante (bien sûr, tout cela est 100% naturel, pas retouché pour deux sous...).

Elles sont toutes en volupté, toutes en courbes, partout. Euh woups, attendez... mais non, elles ont le ventre plat! Et pour cause... Saviez-vous que la plupart des mannequins «grande taille» sont en fait des femmes minces qui utilisent des prothèses pour se grossir les hanches, les fesses, bref pour afficher les rondeurs juste au bon endroit, là où elles sont acceptées socialement ?

En décembre dernier, interviewée par le magazine Les Inrocks, la mannequin canadienne Brittnee Blair, dite ronde mais qui est en fait une taille 10, y allait d'un accès de franchise à propos de son utilisation de prothèses. «C'est comme si vous sculptiez votre corps. Est-ce réaliste? Ça dépend. Si vous voyez ça comme quelque chose d'artistique, je le respecte. Mais comme un idéal féminin? C'est malsain, car peu de femmes vont ressembler à ça», a-t-elle candidement avoué.

Pire, dans la foulée des minces qu'on veut faire passer pour des rondes, en 2012, le Huffington Post Québec publiait un diaporama de photos de femmes «rondes et sexy» qui mettait en vedette Monica Bellucci, Beyoncé Knowles et Jennifer Lopez. Non, mais, il faut le faire! Si ces femmes sont rondes, je suis obèse... Coiffant les photos, le texte d'introduction assurait l'insulte à l'injure: «elles sont pulpeuses et n'ont pas honte de leurs courbes. Sans complexes, ces vedettes ont réussi à s'imposer malgré le dictat de la minceur, et leurs rondeurs font fantasmer à travers le monde».

Mais oui, mais oui, toutes corsetées, toutes modifiées avec le logiciel de retouche photo dont on taira le nom et qui compte 25 bougies cette année... Êtes-vous bien certains qu'elles sont sans complexes? En tout cas, à nous, elles en foutent! Et que dire de ces maudits articles de la presse féminine, ces satanées listes de trucs censés nous aider à obtenir un ventre plat, tous plus inefficaces les uns que les autres!

Cachez ce ventre que nous ne saurions voir!

Ventres noués par l'angoisse, ventres contrariés, ballonnés de fureur, ventres serrés, retenus, toujours rentrés, ventres synonymes de restrictions alimentaires, ventres honnis et photoshoppés, masqués par des bandes de nylon amincissantes, sortes d'outils de torture moderne, de gaine et corset version XXIe siècle.... C'est simple, nos ventres ont les viscères comprimés, tout le temps.

«Mesdames, embrassez vos courbes!», qu'on nous dit. Mouais, pourvu qu'elles soient au bon endroit et qu'elles correspondent aux normes strictes, irréalistes et hypocrites édictées par la mode féminine dite «ronde». En résumé, soyez rondes mesdames, mais, oh! shocking!, surtout pas du ventre!

Mais pourquoi, bordel ? Pourquoi ne pas plutôt embrasser ce ventre rond? Ce ventre qui peut porter la vie, ce ventre qui est, de toute façon, généralement rebondi chez les femmes, même les minces? Pourquoi ne pas rompre avec cette foutue obsession du ventre plat, véritable outrage fait aux femmes? Cette exigence du ventre plat de fillette prépubère est un critère de beauté digne d'une société pédophile.

Je suis une femme active, qui se nourrit bien. Je suis en santé. Mais j'affiche, selon les standards de beauté de notre société occidentale, ce qu'on appelle un surpoids. Ouin, pis?

Assise dans ma chaise longue, sous le soleil des tropiques, notant ces quelques mots dans mon carnet de voyage, j'ai cessé de rentrer le ventre. J'ai inspiré profondément et j'ai tenté très fort, envers et contre tous, de m'aimer telle quelle, avec mon ventre en forme de ballon de plage.

Ce texte a initialement été publiée dans la toute nouvelle édition automne 2015 du magazine Muses.

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