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Laissez-nous enseigner et cessez d'improviser

Quand et comment les enseignants vont-ils préparer ce nouveau cours à enseigner dès septembre ? Certains répondront: ils n'ont qu'à travailler durant l'été. Rien que ça !
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Beaucoup de choses ont été dites ces derniers jours sur le programme d'éducation financière mis de l'avant par le gouvernement libéral, dont on a annoncé l'implantation en septembre 2017. À ce sujet, il semble y avoir un certain consensus sur le fond : il est nécessaire que les jeunes Québécois comprennent les enjeux financiers du monde dans lequel ils vivent. Il y avait d'ailleurs eu levée de boucliers de la part des enseignants à la fin des années 2000 lorsque le gouvernement libéral avait annoncé la suppression du cours d'économie au secondaire. À l'époque, on leur servait des arguments tels que « L'éducation économique peut se faire à la maison », comme l'avait soutenu Catherine Dupont en 2007, alors directrice des programmes au MELS.

Ce que les enseignants déplorent, c'est la façon.

Pour ma part, je me questionne sur l'implantation rapide de ce programme. Il faut retarder le projet d'un an. Non pas parce que le Ministère est un mammouth, comme le déclarait Paul Arcand à son émission du 17 janvier, mais parce que les enseignants ne sont pas des machines.

Une mise en contexte s'impose. La dernière année d'implantation de la réforme s'est faite en 2009-2010. En univers social, il y a sept programmes d'enseignement obligatoires. Huit lorsque le cours d'éducation financière sera en vigueur. Au fil des ans, nous avons dû nous approprier tous ces cours à enseigner. Devenir efficient dans un nouveau programme d'enseignement ne se fait pas en criant ciseau : c'est long. Ça prend quelques années pour le maîtriser et pour produire du matériel didactique de qualité. En 2012, le MELS a mis à notre disposition la progression des apprentissages, qui apporte des précisions sur les connaissances que les élèves doivent acquérir. Fort utile, elle a néanmoins considérablement changé notre façon d'enseigner et d'évaluer nos élèves. Et on recommence nos planifications et nos évaluations !

Enfin, ce que les médias ont largement négligé de mentionner, c'est que deux programmes sont présentement en implantation en univers social, en secondaire 3 et 4. Encore une fois, on recommence tout. Quant au secondaire 5, le cours obligatoire s'intitule monde contemporain et se décline en 5 chapitres : population, environnement, richesse, pouvoir, tensions et conflits. C'est seulement la 8e année qu'on l'enseigne. Or, le ministre nous arrive, à quelques mois de préavis, avec un cours d'éducation financière pour septembre. Ce qu'il a décidé, c'est d'amputer le cours de monde contemporain de moitié pour remplacer le contenu par l'éducation financière. Comme pour ajouter l'insulte à l'injure, Sébastien Proulx dit : les enseignants choisiront dorénavant lesquels des 5 chapitres à l'étude ils prodigueront aux élèves. Deux parmi les cinq. Peu importe lesquels. Tant pis pour les élèves qui en sauront moins sur le monde contemporain. Tant pis pour l'uniformité dans les classes québécoises, puisque tous les élèves ne recevront plus les mêmes enseignements, selon l'enseignant qu'ils auront. Tant pis aussi pour les enseignants qui sont enfin efficaces dans leur matière. Jetez plus de la moitié de votre planification aux poubelles et remplacez-la par le cours d'éducation financière. Ajoutez encore une planification à votre tâche, déjà devenue tellement lourde depuis que les coupures ont fait des ravages. Et faites ça vite, ça urge ! Ça relève franchement de l'improvisation.

Depuis le retour des libéraux au pouvoir en 2014, le ministre a imposé, pour chaque nouveau programme, une période d'essai sous forme de projet pilote. Cela permet de repérer les incohérences dans les programmes, de consulter les enseignants, qui sont les vrais experts, et de rédiger du matériel didactique et des évaluations appropriés. Pourquoi cet empressement cette fois-ci ? Est-ce à dire que dorénavant, le ministre pourra, selon ses lubies, catapulter n'importe quel cours dans le cursus scolaire des élèves québécois sans mener de consultation et sans s'assurer que le programme réponde bien aux besoins ?

J'écoutais l'entrevue de Sylvain Mallette, président de la FAE, à Paul Arcand le 17 janvier. Devant les arguments de Mallette, à l'effet que l'implantation est trop rapide, que le programme n'est pas encore mis à la disposition des enseignants et que les maisons d'édition n'auront pas le temps de fournir le matériel didactique avant la rentrée scolaire, l'animateur proposait de sortir l'ancien programme d'éducation économique des boules à mites, de « le revamper et de l'offrir » dès septembre 2017, « quitte à le bonifier pour 2018, et à l'améliorer pour 2019 ». Tout simple au fond !, que les gens doivent se dire. Ces propos démontrent une réelle méconnaissance du métier d'enseignant, voire du mépris. Encore une fois, on propose d'improviser.

Vous êtes-vous déjà mis à la place d'un enseignant ? Pour ma part, j'enseigne dans le réseau public, à la CSDM. J'ai cette année sept groupes dont un à 37 élèves et un autre à 38 élèves, plusieurs ayant des troubles de comportement et/ou d'apprentissage. C'est ça, la nouvelle réalité des enseignants. Lorsque je me présente devant eux, ils s'attendent à ce que je leur livre quelque chose. Un contenu de 75 minutes. Pas une longue improvisation. Ils veulent apprendre, même s'ils ne sont pas tous motivés. Ils respectent les enseignants qui sont préparés. Il ne s'agit pas de savoir faire un budget pour pouvoir l'enseigner. C'est le propre de la pédagogie. Quelle est l'urgence d'agir puisque depuis 2009, les libéraux eux-mêmes étaient d'avis que l'éducation financière devait se faire à la maison ? Les enseignants en univers social auront déjà deux nouveaux programmes à s'approprier en septembre 2017. Serait-il si terrible de retarder le projet d'un an pour leur laisser le temps de bien faire les choses ? Paul Arcand demandait à M. Mallette le 17 janvier : « vous avez peur de quoi dans les finances personnelles ? ». Peut-on poser la question : « quel est le grand péril pour le Québec si nous attendons septembre 2018 » ?

Quand et comment les enseignants vont-ils préparer ce nouveau cours à enseigner dès septembre ? Certains répondront : ils n'ont qu'à travailler durant l'été. Rien que ça ! D'abord, le matériel pédagogique sera-t-il édité et disponible d'ici septembre ? Et puis, les gens savent-ils que les enseignants ne sont rémunérés que pour les 200 jours qu'ils travaillent par année ? Nous n'avons pas de vacances payées : elles sont toutes à nos frais. Durant le congé estival, nous ne recevons pas de salaire. Que répondriez-vous à vos patrons qui, après vous avoir surchargés de travail, vous intimeraient de passer vos congés, non rémunérés, à remplir vos fonctions habituelles pour combler le manque à gagner ? Pourquoi en demande-t-on toujours autant aux enseignants, comme si c'était tout naturel ?

En conclusion, oui à un cours d'éducation financière pour les jeunes Québécois, mais non, catégoriquement, à l'empressement. Non au remplacement du trois cinquièmes du cours de monde contemporain. Non à la non-consultation des enseignants dans l'élaboration de ce nouveau programme. Non à l'improvisation, M. le ministre !

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Mai 2017

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