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Orange Is The New Black: sortir de sa zone de confort

Peut-être ne sera-t-elle pas récompensée aux Emmy Awards comme, mais la série, diffusée sur Netflix, n'a rien à envier aux grandes séries de ces dernières années.
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Dans le monde des séries, Netflix est entré dans la cour des grands. Le distributeur de films et séries en flux continu sur Internet s'y est imposé de force lorsqu'il a commencé à produire ses propres programmes. Il a ravi les fans d'"Arrested Development" en permettant à la série d'obtenir une quatrième saison, 7 ans après son arrêt. Il a décroché le Graal avec "House of Cards", une série politique avec Kevin Spacey et Robin Wright, qui a été nommée aux Emmy Awards 2013 dans la catégorie "reine", les meilleures séries dramatiques de l'année.

Il ne lui manquait plus qu'une comédie dramatique à la hauteur des espérances de ses aficionados. C'est chose faite avec "Orange Is The New Black", qui a des chances de suivre sa petite sœur aux Emmy Awards l'an prochain.

"Nurse Jackie", "The Big C", "Enlightened" : les chaînes câblées américaines ont lancé depuis quelques années la mode des "dramédies", ces comédies dramatiques qui n'hésitent pas à user d'humour noir, de sexe et violence verbale quand il le faut. Netflix surfe sur cette vague avec l'histoire de Piper Chapman, jeune femme blanche, blonde, qui vient d'une famille aisée, soudainement propulsée dans une prison pour femmes.

Évidemment, on dit "prison pour femmes" et tout le monde s'imagine un environnement sombre où règnent violence et sexe lesbien (je vois votre œil goguenard!). Pourtant, comme le dit si bien une des prisonnières dans le premier épisode de la série : "ici, ce n'est pas comme dans 'Oz'" (le programme très noir de HBO qui se passe aussi dans le milieu carcéral).

Et à raison : là-bas, c'est plutôt comme dans "Nurse Jackie", où alternent répliques comiques et périodes de désespoir. La prison est une "minimum security prison", ce qui signifie que les détenues ne sont pas dans des cellules, mais dans des espèces d'open-space dans lesquels elles partagent des "boxes". Les relations entre les prisonnières sont donc facilitées, ce qui avantage bien les scénaristes de la série (œil goguenard #2).

"Orange Is The New Black" est une version librement adaptée du livre du même nom de Piper Kerman. La créatrice de la série n'est autre que Jenji Kohan, la maman de "Weeds", qui a été diffusée pendant 8 saisons jusqu'en 2012 sur Showtime. Elle s'attaque aujourd'hui à un nouveau personnage féminin, de prime abord un peu sage, qui se révèle être beaucoup plus complexe.

Piper Chapman, brillamment interprétée par Taylor Schilling, a eu une jeunesse mouvementée. Alors qu'elle avait à peine la vingtaine, elle est tombée amoureuse d'Alex Vause, une femme plus âgée qu'elle qui travaillait pour un cartel de drogue international, et l'a aidée à transporter de l'argent qui provenait de la vente de drogue. 10 ans après les faits, Alex et Piper ne sont plus ensemble et cette dernière s'est casée avec un gentil garçon (Jason Biggs, qui peine à se séparer de son aura "American Pie") pour mener une vie tranquille. Sauf qu'Alex, attrapée par la police, l'a dénoncée. Elles se retrouvent ainsi dans la même prison (une liberté qu'a prise Jenji Kohan pour les besoins de la série) (oeil goguenard #3).

Une montée en puissance au fil des épisodes

Mercredi 10 juillet à minuit, Netflix a mis en ligne les 13 épisodes de la série (un journaliste d'AP était d'ailleurs dans les locaux de l'entreprise lors du lancement). En l'espace de quelques heures, elle a pris son envol pour entrer rapidement dans le top 10 des épisodes les plus téléchargés sur sa plateforme. On peut être critique de la manière dont Netflix encourage la consommation de séries en mettant en ligne tous les épisodes d'un coup, mais elle s'adapte parfaitement à la manière dont "Orange is the new black" est construite. Simplement parce qu'il ne faut pas s'arrêter après le premier épisode, et certainement pas à la moitié de la série.

Celle-ci gagne en puissance au fur et à mesure des heures qui défilent, et elle atteint son summum à l'épisode 11. S'arrêter au Pilot revient à ne pas savoir que les prochains épisodes ne se focalisent pas sur Piper Chapman, mais développent les histoires des autres protagonistes, qui héritent de flashbacks comme les personnages principaux.

Ce fonctionnement peut déplaire. Les flashbacks sont un artifice connu et dont les séries ont usé, voire abusé depuis les années 2000. Aussi, un programme qui s'aventure dans les retours en arrière doit savoir qu'il ampute une bonne partie du temps d'un épisode, qui pourrait être consacrée au présent. Cela parait logique, mais cela indique en fait un parti-pris affirmé par Jenji Kohan : ce n'est pas la prison qui est l'héroïne de l'histoire, ce sont bien les personnages. Aussi, les "codes" imputés à cet endroit dans d'autres "Oz" ou "Prison Break" ne sont ici que survolés dans les premiers épisodes avant d'être relégués au second plan.

Les détenues sont au cœur de l'intrigue, et "Orange Is The New Black" réussit la prouesse de transformer des personnages de prime abord caricaturaux en personnes de la vie de tous les jours. Rarement une série a-t-elle réussi à dépeindre autant de visages différents, autant d'histoires complexes et nuancées. Si certaines détenues ont hérité d'un caractère relativement prévisible (la chef cuisinière dure en apparence, mais qui sait se montrer aimable quand les jeunes prisonnières en détresse viennent lui demander de l'aide), d'autres sont des OVNIS dans le paysage audiovisuel américain.

Une ode à la tolérance

L'actrice transgenre Laverne Cox par exemple, éblouit par sa justesse. Alors que l'on ne voit que rapidement son personnage dans les premiers épisodes, le troisième est entièrement dédié à son passé. Ce n'est d'ailleurs qu'à ce moment-là que les moins perspicaces (dont l'auteure de ce billet) découvriront qu'elle est transsexuelle. Cet épisode réalisé par Jodie Foster - qui a récemment fait son coming-out lors des Golden Globes 2013 - montre le chemin que "Orange Is The New Black" va emprunter tout au long de la saison 1. Un programme qui propose des péripéties innovantes et qui se fait un plaisir de surprendre son public. Et que dire de son niveau de tolérance, absolument remarquable et inspirant ?

Une des phrases les plus justes de la série est lâchée par le frère de Piper, un gros nounours bourru qui discute avec le fiancé de sa sœur, Larry. Celui-ci s'inquiète, et se demande si sa petite-amie n'est pas (re)devenue lesbienne depuis qu'elle est en prison. Ou si le fait qu'elle oscille entre lui et Alex veuille plutôt dire qu'elle est bisexuelle.

Le frère, d'un air détaché, lui répond simplement : "un des problèmes, dans ton cas, c'est que tu aies besoin de dire qu'une personne est quelque chose de précis." Un appel rare au respect de l'individu, au-delà d'un besoin de mettre une étiquette sur l'autre pour le comprendre, au-delà du besoin de labelliser pour respecter.

Dans cette logique prônée par la série, la question de la sexualité de l'héroïne n'est pas au centre de l'intrigue, et c'est un choix brillant. L'intrigue est plus intéressante que le fait que la protagoniste oscille entre un homme et une femme. Elle n'hésite pas parce qu'ils sont de sexes différents, mais bien parce qu'ils sont différents, de par leur caractère, leur manière de voir les choses et la manière dont ils la traitent.

Cet éloge du respect de l'autre est d'autant plus pertinent qu'elle est combattue bec et ongles par d'autres personnages dont l'antipathie n'a d'égal que leur ignorance. "Orange Is The New Black" est un programme de contradictions, de contraires qui s'attirent. Elle marque l'audience, aussi bien dans les flashbacks sombres que dans l'humour décalé dont font preuve les détenues à l'intérieur de la prison.

Le rire, plus clivant que les larmes

C'est à la fois son plus grand atout et son plus gros fardeau : "Orange Is The New Black" est une série "comique". En cela, elle est automatiquement plus "clivante" (ou "segmentante" comme on dit en marketing), et il est moins bien vu de la défendre unilatéralement. Ce n'est pas pour rien que la catégorie "meilleur drame" des Emmys Awards ou des Golden Globes est la plus surveillée : c'est l'épreuve reine. A côté, les comédies sont considérées, encore aujourd'hui, comme des objets plus difficiles à approcher, car l'humour ne toucherait pas autant de gens.

"Orange Is The New Black" part ainsi avec ce boulet autour du pied (pas de mauvais jeu de mots avec le champ lexical de la prison), que "House of Cards" ne portait pas : une comédie aura toujours moins de chance de faire l'unanimité qu'un drame. Si l'on rajoute quelques personnages imprévisibles et une représentation assumée des minorités (ethniques, sexuelles, religieuses) - qui constituent d'ailleurs la majorité des personnages -, "Orange" a réussi son pari, et haut la main.

Son succès est d'autant plus important qu'elle ne cède pas à la facilité. Le personnage principal n'a rien d'une héroïne classique, ou même d'une "antihéroïne" comme peut l'interpréter Edie Falco dans "Nurse Jackie".

Piper Chapman n'est pas un simple personnage "neutre" qui évolue à l'intérieur d'une prison, et permettrait ainsi au téléspectateur de découvrir ce nouvel environnement. Si au début de la série, elle semble être relativement lisse, il est difficile de passer à côté de son égoïsme saillant après quelques épisodes. Le personnage dérange, non pas parce qu'il n'est pas simplement aimable ou détestable, mais parce qu'il est imprévisible. Et un téléspectateur pris au dépourvu est rarement satisfait.

De l'art de déranger le téléspectateur dans sa zone de confort

En cela, Piper Chapman ressemble au personnage de Lena Dunham, Hannah, dans "Girls". Alors qu'elle amusait les téléspectateurs dans la saison 1, ces derniers se sont majoritairement lassés la deuxième année, pour en venir à détester les diatribes égocentriques de la jeune new-yorkaise. Comme s'il fallait éviter d'en faire trop, comme s'il fallait surprendre, mais pas trop. Dunham a choisi d'exacerber encore plus les défauts de son personnage dans la saison 2. Jenji Kohan, elle, a simplement dissimulé certains traits de caractère de Piper pendant les premiers épisodes avant de lui donner de l'ampleur dans les dernières heures de la saison 1.

Aussi, au bout de quelques heures, Chapman se révèle être bien moins "blanche colombe" qu'on ne le croit. Mais au lieu de s'arrêter là, de décider que ce personnage serait finalement une énième "rebelle cachée qui a oublié son passé mouvementé pour se ranger et mener une vie fade et pépère", Jenji Kohan va plus loin. Il est impossible de classer Piper aussi facilement. Car si elle semble malheureuse dans un quotidien stable et sans embûches, un futur mouvementé ne lui sied pas non plus complètement. Au-delà de ce qu'elle préfère, Piper est dirigée par une peur incontrôlable, celle de finir seule. Quitte à faire du mal à tous ceux qui l'entourent.

Le triangle amoureux qui se dessine au fil des épisodes n'est donc pas "classique", comme on a pu s'en lasser dans les innombrables séries qui en ont usé et abusé. Il est différent, car Piper n'hésite pas entre Alex -qui partage son quotidien derrière les barreaux-, et son fiancé Larry -qui l'attend à la sortie de la prison-, parce qu'elle leur trouve des qualités différentes. Elle hésite en fonction du degré de solitude qu'elle ressent, et de l'importance de sa peur de finir seule plus tard. Elle parvient ainsi à faire tellement de mal à ses deux prétendant-e-s que le téléspectateur se prend plus d'affection pour eux que pour elle.

Taylor Schilling est bluffante dans ce rôle, qui est l'un de ses premiers à la télévision. Avec son allure de grande blonde un peu froide à l'air hautain et sa capacité à changer d'un moment à l'autre, et à devenir naïve, impulsive ou hilarante, elle tient un rôle qui marquera sa carrière.

Peut-être ne sera-t-elle pas récompensée aux Emmy Awards comme "House of Cards", mais "Orange Is The New Black" n'a rien à envier aux grandes séries de ces dernières années. On peut lui reprocher ses airs de soap opera ainsi que sa tendance à vouloir mélanger trop de procédés de narration à la fois (flashbacks, scènes dans la prison et en dehors, triangle amoureux, série chorale, "dramédie"), au risque de perdre en substance. Mais "Orange Is The New Black" est marquante, addictive et sonne juste. Ce n'est pas un programme de minorités fait pour les minorités, mais simplement une très bonne série, qui mérite largement sa place dans la cour des grandes.

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