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Les Soudanais sont dans la rue, mais qui s’en soucie?

Malgré l'ampleur des manifestations et la brutalité des forces de l'État, peu de voix s'élèvent.
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Des manifestants dans les rue de Khartoum, le 15 février 2019
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Des manifestants dans les rue de Khartoum, le 15 février 2019

La crise au Venezuela est sous la loupe des puissances mondiales. Il est clair qu'avec ses richesses pétrolières, ce pays attire l'attention de nos dirigeants. Bien évidemment, la crise humanitaire qui s'y déroule doit nous faire réagir. Mais ailleurs dans le monde, des peuples descendent aussi dans les rues afin de demander la chute d'un régime autoritaire sans attirer la même attention.

C'est le cas du Soudan, pays qui connait des soulèvements citoyens par intermittence depuis plusieurs années. En 30 ans, le régime du dictateur Omar Al-Bashir s'est déjà retrouvé sur la sellette plusieurs fois. Entre 2011-2013, diverses révoltes contre l'austérité et la corruption avaient mené un bon nombre de jeunes Soudanais dans les rues. Mais le manque de structure et la réaction violente du gouvernement mirent fin aux soulèvements. 122 personnes furent tuées en l'espace de cinq jours en 2013.

La situation apparait aujourd'hui différente. D'après Mohamed Kamal, mon contact soudanais à Khartoum, le sentiment de colère à l'encontre du régime autoritaire pourrait bien empêcher Bashir d'utiliser ses traditionnelles méthodes «de diviser pour mieux régner». Les manifestants semblent résister aux violence commises par les forces de sécurité. On peut y voir plusieurs raisons : l'ampleur géographique et démographique des manifestations, la présence d'un leadership, et les revendications dues de la situation économique et politique du pays.

Depuis la mi-décembre, le mouvement ne diminue ni en ampleur ni en virulence, malgré l'extrême brutalité des forces de sécurité.

Dans le passé, les mouvements de protestation se déroulaient principalement à Khartoum, la capitale. Cette fois, ils ont commencé dans la périphérie avant de s'étendre à d'autres villes à travers le Soudan. Depuis la mi-décembre, le mouvement ne diminue ni en ampleur ni en virulence, malgré l'extrême brutalité des forces de sécurité. Alors que dans le passé on trouvait parmi les manifestants principalement des étudiants ou des jeunes professionnels, cette fois-ci une grande partie de la population semble participer.

Cela est en partie dû à la nature des revendications. La situation économique du pays s'est aggravée depuis 2013, atteignant un taux d'inflation de 73%. L'indépendance du Soudan du Sud en 2011 a privé Khartoum d'une importante source de financement. La crise de la liquidité, la corruption, la hausse du prix de l'essence et la pénurie de denrées de bases ont mis le Soudan dans une situation extrêmement précaire.

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Par-delà les considérations économiques, il y aussi les problèmes politiques. Cela fait 30 ans que Bashir est au pouvoir. Ce qui a commencé par un mouvement de colère contre l'arrêt des subventions pour le pain s'est étendu à des demandes plus larges, telles que la justice, la démocratie et autres libertés dont les Soudanais ne jouissent pas. Les jeunes en particulier ne veulent plus de la politique basée sur le privilège, le pillage des ressources, l'argent et la religion. Ils n'hésitent pas à chanter des slogans tels que «le régime doit tomber». Selon Mohamed Kamal, ce que les manifestants veulent maintenant, c'est un gouvernement transitoire qui mènera à des changements sociaux et démocratiques.

On observe donc un mouvement plus organisé qu'auparavant, mené entre autre par un réseau d'organisations civiles et de syndicats. Les jeunes de 20-35 ans se sentent particulièrement aliénés du régime, selon Mohamed, et bénéficient de l'existence d'internet qui leur permet de s'organiser. Des applications telles que WhatsApp permettent aux internautes de mettre sur pieds des campagnes de financement. Ils utilisent aussi les réseaux sociaux pour s'encourager, tout en mettant l'accent sur la nécessité d'éviter que le mouvement devienne violent.

Alors que dans le passé, Bashir avait réussi à diviser la population sur des bases ethniques, religieuses et politiques, ses tactiques ne semblent plus fonctionner aujourd'hui. Questionné au sujet du génocide commis dans la région du Darfour, Mohamed pense que les Soudanais des centres urbains ont enfin réalisé ce dont le régime est capable. Ces conflits se déroulaient loin des grands centres, ne permettant pas aux Soudanais des grandes villes de se rendre compte de la violence de l'armée. Aujourd'hui, ils réalisent que Bashir et ses forces de l'ordre ont du sang sur les mains.

Pourquoi ce silence?

Mais voilà, les pays occidentaux semblent bien peu se soucier de ce qui se déroule au Soudan. Malgré l'ampleur des manifestations et la brutalité des forces de l'État, peu de voix s'élèvent. Le manque d'attention des pays occidentaux inquiète aujourd'hui les meneurs du mouvement. L'Occident y a pourtant des intérêts étant donné que l'économie du pays est étroitement liée à celle de toute la région. Le pays est un carrefour pour le trafic de personnes et d'armes et la région est en proie au terrorisme.

Pourquoi un tel silence? Le gouvernement soudanais a de puissants amis dans la région, particulièrement les pétromonarchies que sont l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ensuite, certains pays occidentaux collaborent désormais avec Khartoum dans la lutte anti-terroriste. En octobre 2017, l'administration Trump a allégé certaines de ses sanctions économiques imposées depuis 1997 afin de bénéficier de l'aide du Soudan dans sa lutte anti-terroriste et de saluer les progrès du gouvernement en terme de respect des droits de la personne et des libertés d'expression.

L'Europe, quant à elle, n'a pas hésité à conclure des accords bilatéraux avec le gouvernement soudanais dans le but de prévenir les flux migratoires vers l'Europe, donnant de riches sommes au régime. Pourtant, le Soudan est l'une des principales sources d'immigration d'Afrique.

Dès lors, peu importe le génocide commis au Darfour ou la guerre violente avec les régions du sud. On se rappellera pourtant que Bashir fait face à un mandat d'arrêt de la Cours pénale Internationale pour trois chefs de génocide à l'encontre des groupes ethniques au Darfour. Serrer la main du diable ne semble pas être un problème dans le cas présent.

Les pays occidentaux devraient voir une opportunité dans le mouvement de protestations qui se déroule au Soudan mais leurs supposés intérêts les empêchent de voir que cette dictature est une source d'instabilité dans la région. Le système politique autour du président est en état de panique et pourrait bien s'effondrer.

Si nous sommes capables de condamner le régime de Maduro, nous pouvons faire de même avec le Soudan. Sans une certaine forme de soutien de pays de l'Union Africaine et des pays occidentaux, on peut encore craindre le pire, car on ne sait pas combien de temps le peuple tiendra.

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