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Lettre à Phylip St-Jacques, mon faux frère autiste

Ce milieu de l'autisme que tu me disais tellement vouloir aider, tu l'as entaché. Alors non, Phylip St-Jacques, tu n'es plus mon frère autiste.
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Tu m'as approchée au printemps 2013, me disant que tu étais aussi blogueur et autiste, et nous sommes devenus « amis » sur Facebook. De toi, je ne me suis jamais méfiée. Très tôt dans nos conversations privées, tu as abordé la question de tes problèmes d'hygiène personnelle, mais par pudeur, je t'ai ramené plus d'une fois à mon inconfort d'avoir ce type de conversation avec un étranger. Par prudence sans doute, tu as retiré ce type de conversation de nos échanges. Mais nos échanges ne se sont pas terminés si abruptement. Il faut dire aussi que je n'avais pas d'enfant, alors pour toi, je n'étais pas ce type de proie.

Durant plus d'un an, tu as été mon petit frère, mon petit protégé spirituel. Il ne se passait pas 3 jours, sans au moins un petit coucou, un « comment ça va soeurette? » de ta part, une prise de nouvelles récurrentes. Tes silences occasionnels m'inquiétaient et m'agaçaient comme une étiquette de chandail qui érafle la nuque. À chacun de nos contacts, tu te plaignais : personne ne croyait en toi, personne ne te donnait de chances pour développer des projets pour aider tes frères et sœurs autistes. Moi, je te rassurais comme une bonne grande sœur câline quand tu disais vouloir cesser d'écrire, je te poussais à continuer. Je croyais en ton potentiel d'aider ton prochain.

J'avais la tête inondée de projets à développer pour aider les autistes et leurs familles, je t'en parlais inlassablement, et ensemble, on reconfigurait le monde. Un monde à nous. Car bien sûr, je t'incluais invariablement dans mes projets futurs, comme collaborateur, comme conseiller, comme partenaire. Tu es ainsi entré dans ma tête. C'est sans doute ce qui t'a maintenu accroché à moi, femme sans enfant à abuser, scotché comme une pièce de velcro bien emboitée qui ne lâche pas prise.

Je te croyais autiste, honnête et goinfré de bonne volonté. Mais tu mentais à tout le monde. Des gens du milieu croyaient très fort en toi et t'ouvraient toutes grandes d'immenses portes, je l'ai appris dernièrement. Tu avais des tentacules partout pour te faire connaitre, pour inspirer confiance, pour te positionner comme un expert de confiance. Tu m'écrivais que tu étais toujours seul, pauvre et affamé, mais tu avais une centaine de confidentes bien entretenues régulièrement comme moi, dont certaines qui te recevaient chez elles, qui te payaient des sorties et s'occupaient maternellement et sans arrière-pensée de toi.

Nos quelques projets de rencontres en personne ont toujours été avortés, alors j'ai au moins eu le privilège de ne jamais vraiment te voir. Malgré tout, tu étais un fin manipulateur qui identifiait les ficelles à tirer, puisque j'ai développé toute l'affection du monde pour toi. Savoir qui tu étais vraiment, quand je l'ai appris, m'a fait une peine d'amitié incroyable.

Phylip St-Jacques, tu n'es peut-être pas vraiment un autiste, l'avenir nous le dira. Mais tu étais un bon « moi-aussiste ». À chacune de mes confidences sur mes difficultés sociales, sur mes anxiétés profondes, sur ma peur sauvage des déplacements routiers en lieu inconnu, sur toutes mes maladresses, tu avais cette réponse invariable « Moi aussi ». Tu me répétais inlassablement que j'étais comme ta sœur spirituelle et au partage de tous ces « moi aussi », j'y croyais dur comme du béton armé.

Mais tu as ébranlé notre petit milieu de l'autisme. Un minuscule univers hermétique où des parents et des adultes autistes luttent à chaque jour pour la tolérance et la compréhension de la différence. Pour une inclusion sans préjugés des autistes dans la société. Aujourd'hui, en accolant le mot autiste à ton nom, tu nous poignardes et tu fais de nous des êtres mauvais, dangereux et pervers. Ce que nous ne sommes pas, au contraire.

Dans mon cœur, tu ne peux pas être un vrai autiste. Les autistes ne manipulent pas, car même s'ils le voudraient, ils n'y parviendraient pas. Non par manque d'intelligence, mais par manque de malice, de désir de pouvoir, de besoin de dominer. Tu as joué avec nous comme un chat diabolique avec une souris vulnérable.

Ce milieu de l'autisme que tu me disais tellement vouloir aider, tu l'as entaché. Alors non, Phylip St-Jacques, tu n'es plus mon frère autiste.

Découvrez d'autres textes de Marie Josée Cordeau sur son blogue 52 semaines avec une autiste asperger

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Avril 2018

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