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La vie au temps d'Instagram

Je suis préoccupée de l'effet que toute cette impression de «réalité botoxée» peut avoir sur nous, simples mortels dont le quotidien à trop souvent plus à voir avec un bordel sans nom qu'avec cette image de perfection idéalisée qu'on veut ici nous vendre comme étant la normalité.
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Je me souviens qu'il y a quelques années seulement - n'était-ce pas seulement hier? - nous regardions les photos de magazines dans lesquels on nous présentait des mannequins si excessivement parfaites que nous n'étions rien de moins que littéralement en pâmoison! Tellement que, de leur ressembler, ça avait tout l'air d'une entreprise digne du Saint-Graal: définitivement la promesse d'un bonheur sans fin et d'une félicité éternelle!

Ah! Si seulement je pouvais avoir l'air de ça, me disais-je alors!

Bien sûr, nous savions tous très bien, même à l'époque, que tout cela ce n'était que du vent! Et que certainement, nous ne pouvions qu'en rêver. Parce que, très clairement, Photoshop et son ombre étaient passés par là bien avant nous...

N'empêche, la vérité c'est que nous avions envie d'y croire.

Lorsque je regarde nos vies aujourd'hui, je me demande parfois si les choses ont tellement évolué depuis. Et, même si de nos jours, parler de Photoshop, ça nous assure instantanément de passer pour un dinosaure technologique tant il semble que plus personne n'ait l'air de s'intéresser de quelque façon que ce soit à ce logiciel du passé. Un bidule qui, un peu comme une gomme à effacer, prétendait pouvoir gommer tous nos «défauts» et «imperfections», les plus réels comme les totalement imaginaires. Ceux-là mêmes que nous semblions d'ailleurs être les seuls à voir...

Aujourd'hui, en regardant ce qui se passe dans notre société dite évoluée, je me questionne... Tous ces blogues qui naissent et qui meurent; tous ces jeunes dits de cette génération des Milléniaux qui semblent faire leur pain et leur beurre en décidant du jour au lendemain de raconter leur vie, non pas sur un blogue, mais sur YouTube ou Instagram... Ou encore, qui en moins de temps qu'il n'en faut pour crier ciseau, se proclament du jour au lendemain gourous du web, prodiguant à 15 ans ou 20 ans leurs «conseils expérimentés» sur leur chaîne YouTube à des masses de «suiveurs» et d'abonnés, ces derniers se comptant par millions, et qui suivent à la trace leur moindre réaction ou leurs plus précieux conseils...

Tout cela, je l'avoue, me laisse bien perplexe!

Parce qu'aujourd'hui, la réalité idéalisée, on ne la retrouve plus seulement sur du papier glacé ou sur la bobine d'un film au cinéma. Mais aussi, et surtout, sur les chaînes Youtube et les comptes Instagram de stars autoproclamées qui s'acharnent à nous présenter une réalité fantasmée comme étant une réalité à laquelle nous devrions tous et toutes aspirer...

Par exemple? Ces vedettes qui collectionnent sur Instagram leurs photos de maternité ainsi que les clichés (au propre comme au figuré) de leur vie familiale si parfaite. Un monde fantasmé ou les enfants ne sont jamais en crise et surtout, toujours bien mis... Des photos ou - avez-vous remarqué? - le divan est toujours d'une blancheur immaculée.

Tout cela me rappelle justement un article du Cosmopolitan sur lequel j'étais tombée l'an dernier et qui racontait comment une mère britannique avait fait de ses deux petites filles âgées à l'époque de deux et trois ans littéralement des «reines de beauté», stars incontestées du web avec plus de 16 000 abonnés sur leur compte Instagram. Mais ça bien sûr, c'était l'an dernier! Un bref coup d'oeil sur la page Instagram @DrenkGirls aujourd'hui et on se rend compte que ce chiffre est aujourd'hui passé à plus de 40,000 abonnés !

De la pure folie, c'est ce qu'on ne peut s'empêcher de se dire!

N'empêche! Au-delà des questions de l'hyper sexualisation des petites filles que cette histoire suscite inévitablement en nous, au-delà aussi de la question de savoir ce que ces petites filles devenues grandes penseront un jour de cette surexposition de leur image lorsqu'elles seront devenues adultes, je suis perplexe. En ce qui me concerne, je suis préoccupée de l'effet que toute cette impression de «réalité botoxée» peut avoir sur nous, simples mortels dont le quotidien à trop souvent plus à voir avec un bordel sans nom qu'avec cette image de perfection idéalisée qu'on veut ici nous vendre comme étant la normalité.

Je suis préoccupée de l'effet que toute cette impression de «réalité botoxée» peut avoir sur nous, simples mortels dont le quotidien à trop souvent plus à voir avec un bordel sans nom qu'avec cette image de perfection idéalisée qu'on veut ici nous vendre comme étant la normalité.

Et l'automne dernier, je suis tombée sur cet autre article qui en a rajouté une couche dans mon débat intérieur. La chroniqueuse racontant alors sa stupéfaction en découvrant cette histoire d'Emma Verde, une youtubeuse de tout juste 20 ans ne comptant rien de moins que le faramineux nombre de 540 000 abonnés sur sa chaîne YouTube. Cela, en plus des 318 000 personnes qui la suivent sur Instagram. Et des quelque 22 000 «amis» qui attendent la publication de chacune de ses publications sur Facebook comme si elles étaient paroles d'Évangiles...avec une ferveur qui semble dépasser l'entendement.

Ce que «vend» cette Emma à ses admirateurs? Rien de bien précis, si ce n'est les précieux conseils qu'elle prodigue à tout vent et qui tous se nourrissent de valeurs liées à la consommation à outrance de produits cosmétiques et autres objets inutiles sensés garantir le bonheur et la jeunesse éternelle (eh oui, à 20 ans, semble-t-il qu'il faille se soucier de la jeunesse éternelle!).

Mais je vous rassure, je ne me lancerai pas ici dans une critique en règle du contenu des médias sociaux que produit cette youtubeuse. Parce qu'il y en aurait des dizaines d'autres que je pourrais citer en exemple et qui tous, à l'image d'Emma Verde, ont en commun de nous faire croire que d'un jour à l'autre, nous pouvons nous aussi devenir une star du web sans qu'il soit nécessaire pour cela de faire quelque chose qui est le moindrement extraordinaire.

Parce que, la vérité, c'est qu'inventer un nouveau traitement pour le Sida par exemple, ou encore, trouver le moyen d'enrayer la faim dans le monde ou se démarquer d'une façon qui demande un certain dépassement de soi, c'est probablement devenu complètement inutile de nos jours.

On crée une chaîne YouTube et hop! Nous devenons instantanément une star planétaire !

Ou encore, il suffit d'ouvrir un compte sur Instagram et d'y publier les photos parfaitement mises en scène de notre vie forcément tout aussi parfaite et comme par magie, c'est un peu comme si aux yeux du monde, nous DEVENIONS nous aussi instantanément «parfaitement parfait»!

Ici, l'expression «Sky is the limit» n'étant plus un pléonasme!

Tout cela me donne à moi, et peut-être à vous parfois aussi, un sentiment de décalage profond. Parce que mon quotidien est bien loin de ressembler à ça!

Et c'est un euphémisme que de le dire!

Parce que chez moi, les réunions de familles sont devenues si cauchemardesques au fil des années (et je pèse mes mots!) qu'on a cessé de croire que nous pouvions faire «comme si». Alors, en parler et l'illustrer sur Instagram? Oui, mais...non merci! Je me permettrai de vous épargner cela!

Plus encore! La planète sur laquelle je vis, le quotidien avec l'Homme de la maison est bien loin d'être digne d'en tourner un film. La vérité étant que comme c'est probablement le cas de bien des couples, le quotidien ça use. Et que, inévitablement, les bas sales qui traînent, les repas à prévoir à répétition comme dans une scène digne du mythe de Sisiphe, ou encore, les disputes sur tout et rien, ça n'a rien de très romanesque (ou «Pinteresque»!)...

Et je ne parle même pas ici du fait, à la fin d'une journée, d'avoir dû répéter au moins dix mille fois la même chose à mon fils de dix ans qui d'une façon un peu mystique, n'entend jamais les consignes.... Un peu comme un vieux disque rayé qu'on n'entend même plus! Mais attention! Que fiston demande s'il peut jouer avec sa DS et je vous assure que mon «oui», il l'aura entendu avant même que le «i» n'ait fini d'être prononcé...

Petites misères!

Alors je vous le demande! Qui, le moindrement sain d'esprit, aurait envie de cliquer «J'aime» là-dessus?

À la limite, vous me demanderiez le secret de nos quinze ans de vie commune et je me garderais bien de vous répondre! De crainte de ne provoquer rien de moins que le dégonflement de cette immense bulle imaginaire dans laquelle je vois écrit en grosses lettres «Non mais n'est-ce pas merveilleux de vivre une vie de couple qui dure dans le temps!»

N'empêche! Comme au temps de Photoshop, tous autant que nous sommes, nous ne pouvons nous empêcher de chercher, un peu comme pour nous rassurer, une preuve de l'existence de la perfection dans la vie des autres. Dans les photos de voyage que publient nos «amis» sur Facebook tout autant dans les photos de maternité parfaite des vedettes sur Instagram, ou encore, dans la vie si «cool» des youtubeurs et autres blogueurs qui inondent le web de leurs «conseils avisés». Chacun de nous, comme convaincus d'avance, qu'ils ont trouvé la recette du bonheur éternel!

Et cela, malgré la petite voix intérieure qui nous crie, comme à l'époque des photos retouchées avec Photoshop, que tout cela, ce ne sera jamais rien d'autre que du vent!

Mais, la tragédie, c'est qu'on a tellement envie d'y croire n'est-ce pas? Parce qu'en regardant toutes ces photos baignées de grâce et de lumière, nos vies ne peuvent faire autrement que de nous apparaître soudainement bien beiges...

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